Les menstruations ne sont pas juste un truc de femmes, disent des personnes trans
Illustration par Mathieu Rouland 

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Santé

Les menstruations ne sont pas juste un truc de femmes, disent des personnes trans

De nombreuses personnes trans et non binaires veulent que vous sachiez qu’elles ont, elles aussi, leurs règles. Et que d’autres souhaiteraient en avoir.

« J’ai dû faire le deuil de plusieurs expériences de femme que je ne vivrai jamais. Les menstruations en font partie », raconte Marianne Cloutier. Cette fonctionnaire de 56 ans a fait son changement de sexe il y a environ quatre ans, mais, comme femme trans, elle n’a pas d’utérus ni d’ovaires. Il est donc impossible pour elle d’avoir des menstruations, une expérience pourtant importante à ses yeux. « Je désire vivre autant les bons que les mauvais côtés de la féminité », dit-elle.

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Et Marianne n’est pas la seule. Chloé Lamontagne, une femme trans de 28 ans, aurait aussi aimé avoir des menstruations au début de sa transition. « Beaucoup de filles s’en plaignent et me trouvent chanceuse de ne pas avoir de saignements et des douleurs, mais on n’est jamais content avec ce que l’on a, soupire-t-elle. Certaines femmes trans vont même jusqu’à utiliser des tampons une fois par mois, comme un rituel lié aux menstruations. » Selon elle, ce geste montre la place importante que les menstruations peuvent prendre dans une certaine vision de la féminité. Florence Bélavicqua, une femme trans de 47 ans, partage son avis. « Quand on est une femme dans un corps d’homme, on veut les extrêmes de ce que l’on perçoit de la femme, et cela peut inclure les menstruations. »

C’est non seulement un symbole de féminité pour certaines femmes trans, mais aussi un rappel de l’incapacité de tomber enceinte. C’est la vision de Marianne Cloutier : « Menstruer, c’est le pouvoir de procréer. J’ai l’impression de passer à côté de quelque chose, car je n’ai pas cette chose essentielle, c’est-à-dire un utérus. » Pour Chloé Lamontagne, procréer est aussi important : « C’est difficile de trouver les mots pour expliquer le sentiment, affirme-t-elle. Car même si je ne veux peut-être pas avoir d’enfants, c’est le simple fait de pouvoir, d’avoir cette option, qui fait la différence. »

Il faut dire aussi que les règles sont d’une certaine façon le signe d’une appartenance à un club qui semble exclusif. « Les menstruations sont une expérience commune à toutes les femmes. Il semble y avoir une certaine solidarité autour des saignements, des crampes et du cycle, car celles-ci se comprennent entre elles », explique Chloé Lamontagne. Toutefois, bien qu’elle n’ait pas d’ovaires – donc pas de saignement – les hormones qu’elle prend au quotidien provoquent un cycle qui affecte son corps et son humeur.

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Ce cycle hormonal présente un avantage inattendu : Chloé comprend mieux ses propres hauts et bas. « Si je déprime, je peux faire un lien avec mon cycle. Je vais prendre soin de moi, me faire un chocolat chaud et m’étendre en me disant que ça ira mieux après, raconte la jeune femme. On vit plus la vie par cycle alors qu’un homme n’est pas éduqué comme ça. Quand ça va mal, il ne peut pas rattacher ça à un cycle ni se dire que c’est causé par son corps. » Marianne Cloutier a aussi une expérience qui la rapproche de celle des menstruations. Après sa vaginoplastie en 2015, elle a eu à mettre des serviettes hygiéniques pour les écoulements pendant quelque temps. « J’ai un peu mieux compris l’inconfort des menstruations », avoue-t-elle.

Des règles quand tu n’es pas une femme

Si l’absence de menstruation est un défi pour certaines femmes trans, leur existence présente aussi son lot de difficultés pour des hommes trans. C’est le cas de Gabriel Lanthier, qui a vécu quelques surprises durant le premier mois de sa transition : « J’avais commencé à utiliser la salle de bains des hommes au travail et, un jour, j’ai eu mes règles. Je ne savais pas où mettre la serviette hygiénique usagée. J’ai donc attendu que tout le monde sorte de la salle de bains et j’ai enfoui la serviette dans la poubelle le plus profondément possible! » raconte le jeune homme de 30 ans. Il faut dire que les hommes trans ont des saignements durant les premiers temps de leur transition, mais dans bien des cas, elles disparaissent avec la prise d’hormones.

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En tant que personne trans, il est aussi difficile de trouver certaines ressources spécifiques. « Il y a beaucoup d’enjeux qu’on associe habituellement aux femmes cisgenres qui touchent aussi les hommes trans, par exemple l’accès à une clinique d’avortement ou à un gynécologue », raconte James Gallantino, étudiant en sexologie et homme trans de 28 ans. Des propos qui reflètent bien l’expérience de Lucas Charlie Rose, un homme trans non binaire de 26 ans : « Je n’ose pas aller chez le gynécologue et expliquer ma situation à la réception. Je n’ai donc pas pris de rendez-vous depuis longtemps. Même demander des tampons représente un défi pour moi. »

Divers projets sont heureusement développés pour pallier cette absence de ressources. Séré Beauchesne Lévesque, qui fréquente l’Université de Sherbrooke, a lancé un projet à Sherbrooke pour rendre plus accessibles des sous-vêtements de style boxer absorbants pour les menstruations. « En tant que personne trans non binaire, je trouvais cela difficile de mettre des serviettes hygiéniques dans mes boxers », dit Séré.

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Les menstruations et les produits liés peuvent parfois contribuer à la dysphorie de genre. Séré déplore le fait que les produits menstruels sont très souvent genrés. « Les serviettes hygiéniques sont souvent emballées de façon hyper genrée avec du rose et des fleurs. C’est déjà difficile pour certaines personnes d’avoir des menstruations quand elles ne se considèrent pas des femmes, et ces produits peuvent aggraver la dysphorie dans certains cas. »

Ces difficultés liées aux menstruations rendent la transition plus difficile à vivre. Selon plusieurs interlocuteurs, il faut changer la conversation autour des règles. La solution passerait notamment par l’éducation et la déconstruction des préjugés que certains entretiennent sur les règles. « Il faut que ça se sache qu’il y a des hommes qui menstruent et qui peuvent tomber enceints », croit Lucas Charlie Rose.