kidnappeur
Image : Prianka Jain 

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10 Questions

10 questions que vous avez toujours voulu poser à un kidnappeur

Jusqu'en 1990, Rana était le chef d'une bande de ravisseurs qui sévissaient dans le nord de l'Inde. Il a enlevé, sous la menace d’une arme, des hommes et des garçons fortunés.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Vikram Singh Rana, 65 ans, a un ventre plat, une large poitrine et de légères rides qui s’installent sur son visage presque beau. Il se lève tous les jours à 6 heures du matin, fait le tour de sa ferme avant de prendre un petit-déjeuner composé d'un demi-litre de lait et de 20 amandes. Puis il prépare avec zèle quatre petits repas pour la journée. « Je viens d'une famille de militaires. Mon père et mon frère ont servi dans les forces armées », me dit-il en garant son vélo devant chez lui à Neemri, dans le nord de l’Inde. Ici, tout le monde connaît son passé sombre.

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Jusqu'en 1990, Rana était le chef des ravisseurs de sa région : il a enlevé, sous la menace d’une arme, des hommes et des garçons fortunés de la caste supérieure, parfois même en arrêtant des bus publics pour attraper des hommes en masse. Il a été en cavale pendant 14 ans dans les forêts denses qui entourent le fleuve Ganga, avant de se rendre à la police en 1990 et, par la suite, de se lancer en politique.

VICE a rencontré Rana chez lui pour savoir comment et pourquoi il était devenu un hors-la-loi et ce qui l’avait poussé à laisser cette vie derrière lui.

VICE : Qu’est-ce qui vous a amené à devenir kidnappeur ?
Vikram Singh Rana : Quand j'avais la vingtaine, mon village était dominé par un homme fort appelé Brijal Singh ainsi que d'autres thakurs de la caste supérieure [titre historiquement féodal qui est souvent utilisé pour décrire les propriétaires terriens ou les nobles, ndlr]. Même les policiers et les dirigeants du panchayat (conseil de village) ne pouvaient rien faire sans leur consentement. Les Jatav Dalits – la communauté dont je suis originaire – ont été constamment exploités par les thakurs, qui sont considérés comme intouchables et qui se montrent violents à la moindre provocation. Il n'était même pas rare qu'ils enlèvent et agressent nos femmes.

Nous avons essayé de leur résister autant que possible. Pour le mariage de ma sœur, nous voulions que son fiancé arrive à cheval, ce que les castes supérieures n’autorisent pas aux Dalits (des personnes de la communauté ont même été tuées pour cela). Malgré les mises en garde de plusieurs thakurs, le jour du mariage, le fiancé de ma sœur est arrivé à cheval. En guise de vengeance, les flics à la solde de Singh ont enregistré une fausse affaire pénale contre moi et ont commencé à me rechercher. Ma famille avait peur que je me fasse tuer en prison. Pour me cacher des flics, je me suis enfui dans les forêts, où j'ai commencé à recruter d'autres hommes issus des castes inférieures qui voulaient donner une leçon aux castes supérieures et, en même temps, gagner de l'argent pour survivre.

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Sur quels critères décidiez-vous d’enlever ces hommes ?
Nous avions pour habitude d'enlever uniquement des hommes riches dont la famille avait les moyens de payer la rançon. C’était notre façon de nous venger de ceux qui exploitaient les castes inférieures. Nous étions des criminels devant la loi, mais cela a apaisé ma conscience.

Dans ce secteur, la terreur et la peur sont vos alliées. Elles sont bonnes pour les affaires. Nous avons utilisé l'argent des rançons pour renforcer notre influence dans les villages entourant les forêts denses situées sur les rives du Gange, où nous vivions, principalement parmi des habitants de castes inférieures. Au lieu de payer la police comme le faisaient les thakurs, nous avons aidé les villageois pauvres à marier leurs filles et à éduquer leurs fils. Ils nous ont aimés comme si nous étions des leurs.

kidnapper india

Avant de se rendre à la police en 1990, Rana était le plus grand kidnappeur de sa région.

Comment obteniez-vous des informations sur la localisation et la situation financière de vos victimes ?
Par le biais d'informateurs, principalement issus de notre communauté. À l’époque, il n’y avait pas de téléphone portable, nous dépendions donc du système postal indien. Nos informateurs nous donnaient des conseils par lettres, que nous récupérions dans une boîte aux lettres désignée. C'est également par la poste que nous envoyions les demandes de rançon.

Dans ces lettres, nous ordonnions aux familles d'envoyer leurs représentants avec des valises remplies d'argent et de s'identifier au moyen d’un angocha rouge (foulard traditionnel) ou, d'autres fois, d’un mouchoir rouge dans leur poche. La personne devait attendre au bord de la rivière, où elle rencontrerait notre homme. De cette façon, nous pouvions observer la scène depuis les hautes herbes et savoir si l'autre personne était vraiment seule. Après avoir reçu l'argent, nous leur disions où se trouvait la personne enlevée.

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« La bande était composée d'hommes qui avaient été harcelés par la police ou par leurs concitoyens des castes supérieures »

Comment avez-vous réussi à survivre dans la forêt ?
Si vous avez de l'argent, tout devient facile. Nous achetions notre ration aux villageois. Nous mangions surtout du poulet, des œufs et du poisson. Les poissons étaient abondants dans cette partie du Gange, ils étaient donc au menu presque tous les jours. En d’autres occasions, il y avait des sabzi (légumes cuits) de pommes de terre ou de haricots. Certains membres de mon groupe étaient de bons cuisiniers et nous préparaient des plats délicieux. Parfois, les otages cuisinaient aussi.

Nous avons eu nos armes grâce à nos contacts et à des policiers corrompus. Lorsque vous payez 20 fois le coût initial, tout le monde coopère. Nous n'avons jamais battu ou affamé nos victimes. Elles mangeaient la même chose que nous. Nous les gardions dans une zone entourée par la rivière et parmi les hautes herbes, de sorte qu'elles n'avaient nulle part où aller. Nous n'avons jamais ressenti le besoin de les enchaîner. Nous avons avons pris soin et respecté leur foi et leur culture. Si les otages étaient musulmans, ils étaient autorisés à abattre le poulet de manière halal. Nous sommes toujours en bons termes avec plusieurs personnes que nous avons kidnappées et nous les croisons à l'occasion, lors des fêtes de mariage par exemple.

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Étiez-vous de simples baghees (hors-la-loi) ou étiez-vous motivé par une idéologie ?
Je suis un ambédkarien intransigeant (quelqu'un qui pratique l'ambedkarisme, un corpus d'idées inspirées par le Dr Babasaheb Ambedkar, dont la philosophie consistait à utiliser la politique sociale comme un outil permettant d'atteindre le résultat final qui est la justice et l'égalité sociale). C'est Ambedkar qui a rédigé la Constitution indienne, qui accorde à chacun le même statut, quelle que soit sa caste. Nous avons tous le sang rouge, donc il ne devrait pas y avoir d’inégalité.

Je pense que la police et l'administration sont complices du maintien de ces inégalités. Si la personne qui a été exploitée par la société pendant des siècles est à nouveau exploitée par l'administration qui aurait dû la protéger, que reste-t-il ? Dans ce cas, elle n'a pas tort de se rebeller. Que sommes-nous censés faire sinon ? Mourir entre leurs mains ?

ambedkar dalit kidnapper india

Une image d'Ambedkar est accrochée dans le salon de Rana.

D'où venaient les membres de votre gang ?
La bande était composée d'hommes qui avaient été harcelés par la police ou par leurs concitoyens des castes supérieures. La plupart d'entre eux venaient de villages et de villes comme Budain, Aligarh, Etah, Farrukhabad, et étaient pour la plupart des Dalits, des OBC (autres classes inférieures). Il y avait aussi deux hommes musulmans.

Dans la forêt, nous étions tous de la même famille, passant nos journées à rigoler et à nous donner des surnoms étranges. Chacun s’acquittait de ses responsabilités, comme laver son assiette après manger et mettre ses déchets dans un sac que nous jetions pour effacer nos traces. Certains faisaient le guet pendant que les autres dormaient.

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« Une personne que j'admire m'a convaincu d'abandonner mes armes et de promouvoir notre cause en rejoignant la politique »

Chacun avait des responsabilités différentes. J'étais le commandement central, qui planifiait tout ; un autre était tireur ; et quelqu'un d'autre était en charge de la navigation. Nous ne restions jamais au même endroit trop longtemps, mais sans jamais trop nous éloigner du Gange pour autant. Nous-même, nous ne savions pas où nous allions, alors la police n’avait aucune idée de nos mouvements.

Avez-vous déjà eu des rencontres violentes avec vos ennemis ou la police ?
Les thakurs étaient nos ennemis et ils changeaient de nom lorsqu'ils entraient sur notre territoire. Ils travaillaient les flics qui élaboraient de nombreux plans pour nous tuer. Nous dépendions de la population locale.

Le combat le plus intense a eu lieu tôt un matin, un an ou deux avant notre dissolution. Des centaines de coups de feu ont été tirées entre nous et la police. Deux de mes hommes ont perdu la vie et 11 policiers ont été grièvement blessés. Après leur mort, nous ne pouvions même pas informer leurs familles car la police nous attraperait. Elles ont appris le sort de leurs proches dans les journaux.

Quand mes hommes ont quitté leur foyer, ils ont dit à leur famille qu'ils ne reviendraient peut-être pas vivants. Et ça a été le cas pour la plupart. Certains ont été tués par la police, d'autres sont morts à cause de maladies et d'autres encore avaient juste un âge avancé. Je suis l'un des rares survivants.

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Pourquoi avez-vous décidé de vous rendre ?
Une personne que j'admire m'a convaincu d'abandonner mes armes et de promouvoir notre cause en rejoignant la politique. Je me suis rendu en 1990, après qu'un officier de police de haut rang nous a convaincus qu'il ne nous arriverait rien. Nous leur avons donné des informations sur d'autres criminels. Ces discussions étaient très confidentielles. J'ai passé les quatre années suivantes en prison pour mes crimes, après avoir conclu des accords.

village kidnapper india

Dans le village de Neemri, dans le district de Kasganj, dans l’Uttar Pradesh, dans le nord de l’Inde, tout le monde connaît Rana pour son sombre passé.

Comment s'est déroulée votre carrière politique ultérieure ?
En 1991, alors que j'étais encore en prison, j’ai présenté ma candidature au poste de député de la circonscription d'Amanpur, qui représente le parti Bahujan Samaj. J'ai perdu. Plus tard, je me suis disputé encore trois fois pour le siège, terminant troisième et quatrième. Ma communauté et d’autres castes inférieures m’ont soutenu. J'ai ensuite remporté les élections pour le district du panchayat et suis devenu le chef de mon village. Je suis actuellement associé au parti Samajwadi.

Pensez-vous que la situation qui vous a transformé en criminel a changé ?
La discrimination contre les dalits est toujours là ; seule la forme a changé. Ambedkar avait prévu que les dalits atteindraient le même niveau social et économique que les castes supérieures d’ici une décennie, mais cela n’est pas arrivé depuis 70 ans. Pour ce faire, les opprimés doivent prendre conscience de leur oppression et de leurs droits politiques. La moitié de la bataille sera gagnée.

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