« Les prisons sont conçues pour déshumaniser et dissimuler les détenus, m'a expliqué Evan Greer. Personne n'est autorisé à voir Chelsea. Peu de gens peuvent entendre le son de sa voix. » Chelsea Manning m'a confirmé cela dans l'une de ses lettres. « Je suis déconnectée du monde réel depuis près d'une décennie maintenant. Personne n'a pris de photo de moi depuis 2013 – et encore, elles ont été prises en cour martiale. Il m'est difficile de prouver au monde que j'existe encore. »« Mes collègues ont mis un peu de temps avant de comprendre qui j'étais au fond de moi. Puis ils ont compris, et ils ont commencé à se moquer de moi, à me harceler. Ils ont même fini par me battre physiquement, à plusieurs reprises. » – Chelsea Manning
« Je n'arrive ni à dormir ni à discuter avec les autres. J'ai l'impression de vivre dans un cauchemar permanent. Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais pas ce que l'avenir me réserve. Pour le moment, je n'ai même pas l'impression d'exister. Personne ne se préoccupe de moi, ils sont tous effrayés. Je suis désolée. » – Chelsea Manning
Chelsea Manning se passionne pour la politique depuis bien longtemps – bien avant avoir intégré l'armée, en fait. Dans sa correspondance avec Zinnia Jones, elle critiquait violemment la logique du Don't ask, don't tell à l'œuvre dans l'armée américaine, poussant les gays, lesbiennes et trans à taire leurs préférences. Alors qu'elle était stationnée à Fort Drum, elle avait participé à un rassemblement pour protester contre la proposition 8 – à savoir un référendum pour amender la Constitution de l'État de Californie et interdire le mariage homosexuel.Lors du procès de Chelsea Manning, David Coombs – avocat de l'Union américaine pour les libertés civiles – a appelé Zinnia Jones à la barre pour qu'elle témoigne en sa faveur. « Il pensait que mes échanges avec Chelsea seraient utiles pour sa défense, m'a dit cette dernière. Je voulais prouver qu'elle ne voulait en aucun cas nuire aux États-Unis. »Chelsea Manning a confié à la presse qu'elle avait toujours voulu aider les citoyens américains en les informant sur les moindres actes du gouvernement afin qu'ils aient eux aussi leur mot à dire. Malgré tout ce qu'elle a enduré, elle croit encore en son pays. « Nous devons lutter même si nous sommes pris au piège, même si nous sommes désespérés et même si nous sommes effrayés », m'a-t-elle confié par courrier, faisant référence aux membres de la communauté LGBTQ enclins au désespoir en ces temps difficiles. « Une certaine tendance se dessine dans notre communauté en cas de crise : faire un pas en arrière, attendre, voir ce qu'il se passe et espérer. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire ça. »« Une certaine tendance se dessine dans [la] communauté [LGBTQ] en cas de crise : faire un pas en arrière, attendre, voir ce qu'il se passe et espérer. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire ça. » – Chelsea Manning
La divulgation de cette vidéo a provoqué un scandale énorme au sujet du comportement inhumain des soldats américains présents au Moyen-Orient. « Au final, la vérité a été dévoilée », a déclaré le père de Namir lors d'une interview pour le New York Times.Chelsea Manning n'a pas hésité une seule seconde avant de divulguer cette vidéo, ce qu'elle a confirmé à un hacker nommé Adrian Lamo en mai 2010. « Je veux que les gens sachent ce qu'il se passe », a-t-elle écrit.En livrant les dossiers secrets à WikiLeaks, Chelsea Manning avait laissé une note. « Il s'agit sans doute de l'un des documents les plus importants de notre époque, précisait-elle. Il lève enfin le voile opaque sur cette guerre et révèle la véritable nature de ce conflit. »En mai 2010, Adrian Lamo dénonçait Chelsea Manning auprès du département de la Justice. Cette dernière a été arrêtée le 27 mai 2010 avant d'être emprisonnée au Koweït dans une cellule microscopique. Après deux mois de traitement inhumain, elle a été transférée aux États-Unis. Là, elle a rejoint une cellule encore plus petite située sur la base militaire de Quantico, en Virginie. Au cours des neuf mois passés en isolement, Chelsea Manning a été fréquemment déshabillée, abandonnée, et constamment réveillée lorsqu'elle s'endormait.« Il s'agit sans doute de l'un des documents les plus importants de notre époque. Il lève enfin le voile opaque sur cette guerre et révèle la véritable nature de ce conflit. » – Chelsea Manning
Pour certains, le traitement infligé à Chelsea Manning par l'armée devrait lui valoir une réduction drastique de peine. « Elle devrait être immédiatement libérée », insiste Zinnia Jones. D'autres militants, à l'image d'Evan Greer, pensent que son incarcération prive le monde d'une voix essentielle en faveur de la liberté et la transparence. « C'est une personne incroyablement forte, déclare Greer. Le fait qu'elle soit détenue loin de nous, coincée derrière des barreaux, est une véritable tragédie pour notre société. »Selon les avocats de Chelsea Manning, sa sentence devrait être écourtée après que les droits relatifs au premier amendement ont été violés au cours des poursuites judiciaires. Selon l'Union américaine pour les libertés civiles, le recours à l'Espionnage Act – une loi introduite lors de la Première Guerre mondiale pour juger les espions et utilisée depuis quelques années pour poursuivre les lanceurs d'alerte – dans le cadre du procès Manning était inconstitutionnel.Les défenseurs de Chelsea Manning s'accordent tous sur une chose : si elle n'est pas libérée sous peu, la jeune femme aura du mal à s'en remettre. Avec l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, son futur s'annonce bien incertain.Chelsea Manning m'a avoué souffrir parfois de dépression et craindre pour son avenir. « J'essaye de survivre, évidemment, m'a-t-elle dit. Je prévois de me battre pour aller de l'avant mais je n'ai aucune idée des épreuves qui m'attendent. »« J'essaye de survivre, évidemment. Je prévois de me battre pour aller de l'avant mais je n'ai aucune idée des épreuves qui m'attendent. » – Chelsea Manning
Ses partisans ont peu d'espoir quant à une amélioration rapide de la situation. Barack Obama s'est montré particulièrement critique à l'encontre des lanceurs d'alerte et Chelsea Manning est toujours vue comme une menace par les pouvoirs publics américains. « Je serais surpris si Obama venait à réduire sa sentence », m'a confié JP Crowley, avant d'ajouter qu'il ne considérait pas Chelsea comme une lanceuse d'alerte. « Elle travaillait dans une zone de guerre lorsqu'elle a transmis des renseignements à des personnes non autorisées », lui reproche-t-il.Si l'ancien membre du gouvernement américain défend la condamnation de Chelsea Manning, il critique tout de même la dureté de la sentence. « Elle devrait être libérée afin de rentrer chez elle pour pouvoir reconstruire sa vie », m'a-t-il déclaré.Selon les dires de Chase Strangio, son avocat, « Chelsea Manning attend un signe d'indulgence afin de pouvoir rentrer chez elle et vivre dans la peau de la femme qu'elle a toujours voulu être ». L'avocat confirme que Chelsea Manning assume l'intégralité de ses actes et qu'elle a fait tout cela « par sens du devoir envers les citoyens américains ».« Chelsea a agi dans l'intérêt du public, poursuit-il. Ses révélations avaient pour but de dévoiler des crimes perpétrés au nom de plusieurs gouvernements. »Au nom de la transparence et du devoir d'informer la population, une femme paie le prix fort et se retrouve enfermée dans une prison au Kansas. Là-bas, elle doit se battre pour être respectée en tant que femme, alors que l'État lui refuse ce « statut ».Chelsea Manning, qui a risqué sa vie et sa liberté pour défendre la transparence, a disparu des écrans, au profit de lanceurs d'alerte plus visibles. À part un portrait en noir et blanc datant des premiers temps où elle s'habillait en femme, le monde ne connaît pas son visage. « Je ne veux pas être un symbole, simplement un être humain », m'a-t-elle écrit dans une lettre.« Je suis aussi vulnérable et solitaire que n'importe qui. J'ai des talents et des travers. Je suis humaine, c'est tout. »[NDLR : Barack Obama a commué la peine de Chelsea Manning le 17 janvier, soit 7 jours après la publication de cet article. Elle sera libérée le 17 mai.]« Chelsea a agi dans l'intérêt du public. Ses révélations avaient pour but de dévoiler des crimes perpétrés au nom de plusieurs gouvernements. » – Chase Strangio, avocat de Chelsea Manning