FYI.

This story is over 5 years old.

Nouvelles

L’électeur moyen ne sait rien et son vote ne compte pas, explique un expert

Les électeurs votent pour ce qu'ils croient être dans l'intérêt de la nation, mais ils votent pour des choses qui vont à l'encontre de leurs objectifs.
Un électeur du New Jersey dépose son bulletin de vote lors des primaires. Photo : Eduardo Munoz Alvarez, AFP, Getty Images

Le 8 novembre, les Américains auront le devoir civique collectif de choisir entre l'homme du mur et la femme des courriels. Un moment important de la vie en démocratie. Il faut vraiment, vraiment voter. Barack Obama le dit, Kendall Jenner le dit, même les compagnies médiatiques pour les Y le disent. Mais si, hypothétiquement, les options n'étaient pas spécialement excitantes? Si le système à deux partis forçait l'électorat à choisir entre du pareil au même et le risque de mettre le monde à feu et à sang? Si aucun des deux partis ne semblait permettre d'exercer décemment son droit de vote? Les citoyens peuvent-ils rester à la maison? Pour répondre à ces questions, j'ai appelé Jason Brennan, philosophe et professeur à l'Université de Georgetown, auteur du livre The Ethics of Voting. Il m'a dit pourquoi les électeurs veulent parfois éteindre des feux avec de l'essence et quand il faut voter pour un Mussolini. VICE : Commençons par la grande question. Est-ce que les citoyens ont le devoir de voter?
Jason Brennan : On a des données de sondages de l'opinion des gens sur ce sujet, et on voit bien que la plupart pensent qu'il s'agit d'un devoir. Je n'en suis pas sûr, et voici pourquoi : quand on demande aux gens pourquoi c'est un devoir, ils répondent qu'on a l'obligation de faire preuve de civisme, de promouvoir le bien commun ou de payer notre dette à la société. Le problème, c'est qu'aucune de ces raisons ne montre pourquoi ce qu'il y a de spécial dans le vote. Si on veut contribuer au bien commun, il y a des millions de façons de le faire. Un autre argument courant, c'est que, si personne ne votait, ce serait une catastrophe. On voit tout de suite ce qui cloche : si personne n'était fermier, ce serait aussi une catastrophe. Mais personne n'est obligé d'être fermier pour autant. Si personne ne votait, ce pourrait en effet être une catastrophe, mais il n'en découle pas qu'une personne en particulier a l'obligation de voter. Y a-t-il un argument en faveur de l'abstention?
Les électeurs moyens aux États-Unis disposent d'un niveau d'information extrêmement faible. En fait, ils ne savent pratiquement rien. Ils connaissent le nom du président, mais c'est à peu près tout. Ils ignorent quel parti contrôle le Congrès, quel parti a adopté quelles lois, si le taux de chômage est en hausse ou en baisse, si l'économie se renforce ou s'affaiblit. Ils n'ont aucune information pertinente pour l'élection. Donc l'argument, c'est qu'ils ne font aucune faveur au pays en votant. Il y a une métaphore que j'aime bien. Imaginez une personne nommée Betty. Betty n'a que de bonnes intentions : elle veut sauver le monde. Mais elle se fait de fausses idées à propos des moyens d'aider. Par exemple, elle croit que l'essence éteint le feu. Quand elle voit un incendie, elle jette donc de l'essence. Elle pense aussi qu'on respire dans l'eau. Quand elle voit qu'une personne est en train de se noyer, elle lui lance de l'eau. On a des raisons de croire que des électeurs font de même : ils votent pour ce qu'ils croient être dans l'intérêt de la nation, mais ils ne savent rien de la politique, de l'économie, de la législation. Ils votent pour des choses qui vont à l'encontre de leurs objectifs. Et si une personne était l'une des rares qui ne soient pas mal informées, ou stupides, et qu'elle est déterminée à voter. Quel serait l'argument en faveur d'un vote pour le moindre mal?
Quand on vote, on peut décider de montrer sa fidélité envers ce en quoi on croit ou essayer de faire en sorte que les choses soient mieux que ce qu'elles seraient autrement. Par exemple, si vous devez choisir entre Mussolini et Hitler, et que vous choisissez de voter pour Mussolini, parce que vous vous dites que c'est horrible, mais toujours mieux que de voter pour Hitler, vous faites partie du groupe qui fait en sorte que le monde soit moins injuste qu'il serait autrement. Il est difficile de voir comment un choix pareil pourrait être condamnable. Ceux qui choisissent de voter pour un troisième parti disent qu'on renforce un système à deux partis. Je ne pense pas que ce soit le cas, parce qu'un des deux partis majeurs gagnera, quoi qu'il arrive. Selon eux, si les électeurs votent en assez grand nombre pour un troisième parti, ils créent une menace potentielle. En votant pour un parti de gauche, par exemple, ils veulent forcer les partis majeurs à s'éloigner du centre, vers la gauche, pour aller chercher plus d'électeurs. Le problème, c'est que l'expérience nous montre que ça n'a pas vraiment d'effet dans notre type de système électoral. En réalité, ceux qui laissent tomber les partis majeurs et se tournent vers un troisième parti cessent de compter, parce qu'un parti majeur n'a pas besoin d'obtenir la majorité des voies, il doit juste en avoir plus que l'autre. Disons que je vis dans une ville profondément démocrate comme New York, où toutes les courses, du président aux congrès, ne sont pas serrées du tout. Mon vote ne compte pas. Est-ce que je devrais voter pour un candidat d'un parti mineur que je préfère à Clinton ou rester à la maison?
Aux élections nationales, dans la plupart des systèmes électoraux, un vote individuel ne compte pas dans un cas comme dans l'autre. Il y a un débat entre des économistes et des politologues au sujet de la probabilité qu'un vote soit décisif. Dans l'un des modèles utilisés, appelé Brennan-Lomasky, les chances qu'un vote soit décisif dans une élection fédérale américaine sont presque inexistantes. Vous avez à peu près autant de chances de voir votre téléphone faire un saut quantique spontané et passer dans un effet tunnel à travers une table. Dans un autre modèle, appelé Gelman-Kaplan, les chances que votre vote soit décisif varient en fonction de l'État dans lequel vous êtes. En Virginie, elles sont d'environ une sur 20 millions. À New York, vous n'en avez aucune. Il n'y a certainement rien de mal à voter pour un troisième parti. Bon. La plupart des électeurs sont idiots et un vote ne compte pas. D'accord. Quel est le bon argument en faveur du vote? Est-ce qu'on peut conclure sur une note positive?
Personne n'a l'obligation de voter, mais c'est bien de le faire. Si vous êtes bien informé, vous faites une faveur à votre pays. Comme le bénévolat dans une soupe populaire, c'est une petite contribution au bien commun. Si vous restez à la maison, il n'y a pas lieu de vous blâmer. Mais si vous faites quelque chose, il y a lieu de saluer le geste. Quand je vais voir un match, je fais la vague avec les autres. Pas parce que je pense que la vague va s'arrêter si je reste assis. Mais parce que j'aime participer avec les autres. C'est une occasion de faire partie de quelque chose. Si les gens vont voter, c'est qu'ils veulent faire partie d'un groupe : le groupe qui décide de l'avenir du pays. Ils acceptent que leur vote individuel ne soit pas décisif. Au fond, soit vous voulez faire partie du groupe qui prend la décision, soit vous restez à la maison. Suivez Harry Cheadle sur Twitter.

Publicité