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Les réseaux sociaux sont l’une des principales sources du renseignement

L'espionnage sur les réseaux sociaux est devenu une activité à part entière en plein développement, et non encadrée par la loi. Or, dans cette nouvelle industrie, les plus gros clients sont nos propres gouvernements.

L'article original a été publié sur Motherboard.

Une conférence mondiale des officiers supérieurs de l'armée et du renseignement, qui aura lieu à Londres la semaine prochaine, montre que les gouvernements considèrent désormais les réseaux sociaux comme un « nouveau front de la guerre » et un outil précieux pour les forces armées.

Le thème principal de cet événement sera la nécessité de se servir des réseaux sociaux pour développer le renseignement sur les populations civiles, nationales ou étrangères, et de s'en servir comme d'un outil de propagande afin d'influencer l'opinion publique.

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Un rapport de l'American Civil Liberties Union (ACLU) du mois dernier révèle qu'un système financé par la CIA, Geofeedia, était déjà utilisé par la police américaine afin d'analyser Facebook, Twitter et Instagram, et de surveiller les activités des militants et des manifestants.

Même si Facebook et Twitter sont rapidement intervenus afin de révoquer l'accès de Geofeedia à leur plateforme, la tenue de la conférence de la semaine prochaine prouve que l'espionnage sur les réseaux sociaux est devenu une activité à part entière en plein développement, et non encadrée par la loi. Or, dans cette nouvelle industrie, les plus gros clients sont nos propres gouvernements.

L'événement, la 6e Conférence annuelle sur la place des réseaux sociaux dans la défense et le secteur militaire, est sponsorisé par le groupe Thales, la dixième plus grosse multinationale au monde dans la spécialité défense et sécurité, et dont le gouvernement français est l'un des principaux actionnaires.

La conférence, présidée par Steven Mehringer, responsable des services de communication à l'OTAN, verra intervenir des officiers militaires et de renseignement du monde entier, et en particulier « des spécialistes des réseaux sociaux des armées et de l'industrie de la défense. »

LA PROPAGANDE À LA PAPA

Une table ronde, animée par les chefs de l'armée britannique, de la Royal Navy et de la Royal Air Force, s'intitule « Améliorer le soutien des médias pour les activités des forces armées au Royaume-Uni » et évoquera « la façon dont le changement de perception des réseaux sociaux permettra d'améliorer les opérations sur le territoire national. »

Il s'agira également de débattre de la stratégie de l'armée britannique pour « toucher largement une large audience, avec des dépenses réduites. »

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« Les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus important dans la représentation des forces armées, à l'intérieur et à l'extérieur des opérations ; sensibiliser aux questions institutionnelles, obtenir le soutien du public par des campagnes de recrutement réussies, sera essentiel » déclare le président de la conférence, Steven Mehringer, de l'OTAN, dans une brochure.

LES NOUVELLES ARMES SONT PSYCHOLOGIQUES

L'objectif d'utiliser les réseaux sociaux pour influencer l'opinion est mentionné dans la description des autres tables rondes, dont « L'OTAN et le numérique : susciter le débat » où l'un des objectifs de l'OTAN est mentionné comme suit : « maintenir une audience mondiale susceptible de soutenir l'Alliance grâce aux réseaux sociaux. »

Une autre table ronde fait directement référence au rôle des réseaux sociaux dans la contribution aux opérations « de guerre psychologique » (aka, la propagande), et à leur utilisation dans une perspective de surveillance globale.

Intitulé « Utiliser les réseaux sociaux en association avec d'autres systèmes d'information pour atteindre des buts militaires définis », le programme présente les objectifs suivants :

  • Coordonner avec PsyOps – Guide pratique pour manipuler l'ennemi.
  • Les réseaux sociaux comme cible du renseignement open source – Comment fouiller les informations publiques.
  • Une passerelle pour les opérations de renseignement sur les réseaux ? Transformer le Web en terrain de cyberguerre.

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Parmi les animateurs des différentes tables rondes, on trouve Steven Mehringer de l'OTAN, Ben Heap, expert au Centre d'excellence de la communication stratégique de l'OTAN (STRATCOM), et Brad Kimberly, à la direction des réseaux sociaux et de la défense, au Pentagone.

LA SURVEILLANCE EN TEMPS RÉEL

Le seul sponsor de l'événement, Thales, est un acteur majeur dans le développement de technologies permettant d'analyser les médias sociaux pour une utilisation militaire, ou pour l'espionnage.

De 2013 à 2015, Thales s'est associé au Conseil national de recherches du Canada (CNRC) et MediaMiser, une société de surveillance des médias basée à Ottawa, afin de développer des outils destinés aux agences de sécurité. Ces outils permettent de « traiter d'énormes quantités d'informations textuelles de manière automatique, et ceci en temps réel, dans un nombre illimité de langues, sur les blogs, les fils d'actualité et les réseaux sociaux entre autres. »

Le projet, intitulé « Contrer les menaces de sécurité en utilisant des systèmes de traitement du langage naturel », a été financé par le Programme canadien de sécurité et de sûreté (CSSP), lui-même financé par l'Agence de recherche et de développement pour la défense du Canada.

Selon une description du projet sur le site web de Thales, les partenaires ont mis disposition un version bêta de leur outil d'analyse, qui est actuellement testé par des organisations de sécurité. La réaction des organisations concernées aurait été « très positive. »

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L'outil a été conçu pour faire de la « surveillance en temps réel » : les informations issues des sociaux absorbées par le système sont « immédiatement analysées » en utilisant des techniques de data mining afin de « détecter des changements, des tendances ou des anomalies dans les habitudes sociales » et « identifier des entités potentiellement dangereuses. »

L'outil est déjà si puissant, affirme Thales, qu'il ne lui faut que 5 à 10 secondes pour détecter de nouvelles informations apparues sur le web. Les analystes en renseignement auraient ainsi « un aperçu en temps réel de l'évolution des situations. »

La base de données comprend environ 70 millions de documents, et 25 000 nouveaux documents sont ajoutés chaque jour. Les résultats de recherche sont livrés en moins de 5 secondes.

Media Miser extrait et filtre des données sur un sujet donné dès qu'un contenu pertinent en lien avec ce sujet apparait en ligne. Les outils développés par le CNRC traitent ce contenu en temps réel en traduisant et en résumant les informations. Celles-ci sont alors décrites et étiquetées automatiquement, en précisant leur teneur (positive, négative, neutre) la présence de signes d'émotion (colère, peur, etc.), la localisation de la source et l'identité des individus ou des groupes impliqués dans la création et la distribution du contenu en question.

Ces métadonnées sont ensuite stockées avec le contenu qu'elles décrivent au sein d'un système contrôlé par Thalès, où des utilisateurs venant des secteurs de la sécurité et de la défense pourront utiliser des outils de visualisation (cartes, chronologies, classements, etc.) pour examiner les informations ainsi obtenues, et analyser les liens « entre des documents, personnes, événements, régions et groupes. »

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Thales n'a pas souhaité répondre à nos questions sur ses contrats avec des gouvernements concernant les technologies de surveillance des réseaux sociaux. Mais son projet de « Contre-attaque sur les failles de sécurité » nous donne un aperçu de la vision cauchemardesque des réseaux sociaux et du contrôlé social qui sera débattue à Londres lors de la conférence.

SE METTRE LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT DANS LA POCHE

L'agenda de la conférence montre également que les réseaux sociaux sont perçus comme un outil de propagande efficace pour l'armée américaine même dans des régions isolées où leur utilisation est limitée.

L'Afrique fait l'objet d'une table ronde intitulée « Utiliser les médias sociaux pour toucher des publics diversifiés : US Africa Command », présentée par Nathan Herring, responsable des réseaux sociaux pour US AFRICOM. Pourtant, seul 9 % de la population a accès aux réseaux sociaux sur le continent africain. Selon les rédacteurs de la brochure de la conférence, l'objectif des militaires américains est « de toucher rapidement le public sur des territoires où les réseaux sociaux constituent toujours un support émergent » et « de transmettre un message approprié à un public approprié. »

Pour les gouvernements du monde entier, les réseaux sociaux constituent un front d'un nouveau genre qui doit être surveillé en permanence pour identifier les ennemis réels et potentiels, collecter des renseignements et influencer l'opinion. Le problème de cette guerre, c'est qu'elle se déroule sous notre nez, mais à notre insu.