Les leaders de la lutte pour le climat sont motivés et n’entendent pas lâcher
De gauche à droite: François Geoffroy, François Léger Boyer, May Chiu, Louis Couillard, Sara Montpetit, Léa Ilardo, Dominic Champagne et Patrick Bonin. Photo par Betsy-May Smith
environnement

Les leaders de la lutte pour le climat sont motivés et n’entendent pas lâcher

« On n’est pas en train de sauver la planète pour que des hipsters blancs puissent aller à leur chalet. On veut sauver la planète pour que tout le monde puisse avoir des vies décentes. »

À observer les huit militants passer la porte et traverser chacun à leur tour le rayon de soleil qui illumine l’entrée de nos bureaux en cet après-midi de mai, on entendrait presque une voix caverneuse de bande-annonce hollywoodienne nous narrer : « Dans un monde où les gens remettent encore la science en question, ils se battent pour alerter le peuple et les gouvernements de l’urgence climatique. Leur combat : sauver la planète… » L’effet “superhéros” est toutefois stoppé net lorsqu’ils doivent s’inscrire à l’accueil pour récupérer un badge autocollant avec leur nom et leur photo. Pas très Avengers ça.

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VICE a réuni les leaders de groupes et collectifs environnementalistes qui font la une de l’actualité au Québec depuis plusieurs mois, en menant un combat sans relâche pour pousser les gouvernements à prendre des mesures radicales face aux changements climatiques. Ils ont décidé de consacrer leur vie à la défense de la planète, et représentent des centaines de milliers de militants et de citoyens qui veulent agir à leurs côtés. Nous les avons conviés à une réunion informelle pour faire le point sur le mouvement, parler de leur vie d’engagement et de leur vision de la lutte. Voici les personnes qui participent à cette rencontre :

Ils se connaissent déjà, pour la plupart, et se saluent chaleureusement, façon réunion de famille. Pas étonnant qu’ils se sentent à l’aise ensemble : ils ont marché côte à côte sous la pluie, sous la neige, dans le froid. Ils gèrent collectivement les messages incessants et parfois insistants des journalistes, ils doivent se battre fréquemment contre des climatosceptiques, et se butent à des politiciens experts en langue de bois. La lutte, ça rapproche. Au sein du groupe réuni ce jour-là, certains militent depuis de longues années, d’autres ont commencé il y a à peine quelques mois, mais tous s’entraident. Greenpeace joue notamment un rôle de « grande sœur », prêtant régulièrement ses locaux et son matériel aux autres groupes. « On est tous ensemble dans la lutte, et je peux dire qu’on en serait pas là s’il n’y avait pas eu cette synergie entre nous », explique Léa Ilardo.

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« La sortie des artistes, ça a beaucoup aidé, poursuit François Geoffroy, faisant référence aux 500 personnalités qui ont appelé les Québécois à se mobiliser pour la Planète et à signer le Pacte pour la transition. Sans vous autres, on n’aurait pas eu tant de monde à la marche de novembre. »

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Photo par Betsy-May Smith

Tous sont frappés par l’ampleur du mouvement et la vitesse à laquelle il s’est développé depuis le mois de novembre 2018. « Ce qui est impressionnant, c’est qu’on a beaucoup de monde qui n’ont jamais milité de leur vie », explique May Chiu.

Les autres hochent la tête en souriant. Tous leurs groupes ont été rejoints ces derniers mois par des citoyens qui n’ont jamais participé à une lutte de ce genre, mais qui ressentent le besoin de faire quelque chose : « Ils se reconnaissent dans ces mouvements qui viennent de se créer comme Extinction et la Planète, analyse François Geoffroy, justement parce que ce sont des mouvements qui ont été créés par des gens qui ne sont pas nécessairement des militants de longue date. C’est des citoyens qui bénévolement ont décidé de prendre la rue et de porter des actions. »

Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada, est le seul de la gang dont c’est le travail à temps plein. Sara, Léa et Louis étudient; May Chiu est avocate et partage sa vie entre lutte antiraciste et lutte pour le climat; François Geoffroy est prof de littérature au cégep; et François Léger Boyer est chargé de projet au GRAME, une organisation qui œuvre à la protection de l’environnement et à la promotion du développement durable. Dominic Champagne, qui est metteur en scène, a refusé de monter un spectacle au TNM cet hiver et le nouveau spectacle du Cirque du Soleil en Chine, pour se consacrer à plein temps au Pacte pour la transition. Tous investissent leurs soirées, leurs fins de semaine et la grande majorité de leur temps libre dans le mouvement.

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Photo par Betsy-May Smith

« Je suis en remise en question cette semaine, dit François Léger Boyer. Je travaille à temps plein, et Extinction, c’est quasiment comme un autre job à temps plein. »

« J'enlèverais le “quasiment”, réplique François Geoffroy en riant. Je pense que je passe plus de temps sur la mobilisation que sur ma job à temps plein, point. C'est gigantesque ce que ça demande », assure-t-il.

« Mais moi, ça m’a tellement appris des choses, ce mouvement, dit Sara Montpetit. Je me rappelle plus de moi avant les manifs. Ça m’a fait réaliser que tout est possible, ça a l’air vraiment quétaine à dire, mais c’est vrai. Je suis fatiguée à la fin de mes journées, c’est dur, mais ça me permet de dépenser toute mon énergie pour la bonne cause. Avant je faisais de l’insomnie, maintenant j’en fais plus. »

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Photo par Betsy-May Smith

Ils pensent tous qu’il se passe quelque chose de particulier au Québec, où la mobilisation est plus importante qu’ailleurs au Canada et que dans la plupart des pays du monde. Mais May Chiu invite à la prudence : elle se méfie du discours de François Legault qui se félicite du fait que le Québec est parmi les grandes provinces qui produisent le moins d’émissions de gaz à effet de serre. « Je ne prends rien pour acquis », conclut-elle.

« Oui, c’est sûr, répond Léa Ilardo, à chaque fois qu’on a rencontré un politique, ce qui revenait pendant notre discussion c’est : “Ah, si tous les pays avaient les niveaux d’émissions du Québec, on n’en serait pas là.” À côté de ça, ils nous disent que le projet GNL Québec, c’est de l’énergie renouvelable. C’est sûr qu’on va pas se laisser amadouer par ce discours-là. »

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On n’est pas en train de sauver la planète pour que des hipsters blancs puissent aller à leur chalet. On veut sauver la planète pour que tout le monde puisse avoir des vies décentes. - May Chiu

Un des sujets sur lesquels ils semblent particulièrement heureux d’être en accord, c’est l’importance d’une vision inclusive de cette lutte : « Parce que, comme vous le voyez, pour l’instant le mouvement environnemental est très, très blanc, explique May Chiu, et pour gagner la lutte, il faut inclure tout le monde. On n’est pas en train de sauver la planète pour que des hipsters blancs puissent aller à leur chalet. On veut sauver la planète pour que tout le monde puisse avoir des vies décentes. »

Ils discutent de leur envie de travailler davantage pour impliquer les personnes marginalisées, les personnes racisées et les communautés autochtones. Léa Ilardo et Louis Couillard expliquent qu’ils sont en contact avec des communautés, et que c’est une priorité pour eux de tisser des liens entre autochtones et allochtones, particulièrement les jeunes.

« Ce sont les peuples autochtones qui ont donné leur vie pour protéger la nature, les forêts, les montagnes, puis lutter contre les mines. Il faut suivre leur exemple. C’est pas à eux de suivre notre exemple », dit May Chiu.

L’important, c’est d’utiliser notre position de privilégiés pour être une porte pour des messages qu’eux n’ont peut-être pas l’occasion de faire passer. - Léa Ilardo

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« Exactement, poursuit Léa Ilardo. L’important, c’est d’utiliser notre position de privilégiés pour être une porte pour des messages qu’eux n’ont peut-être pas l’occasion de faire passer. Je vois plutôt mon rôle comme une sorte de messager. Mais c’est évident qu’on a rien à leur apprendre. »

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Photo par Betsy-May Smith

La discussion porte ensuite sur la nécessité de se montrer plus menaçants, pour que le gouvernement ne puisse plus ignorer le mouvement. « Le gouvernement n’est pas arrivé à contrôler le discours, dit Dominic Champagne. Le discours, c’est la rue qui l’a imposé. […] Maintenant, si on n’a pas des gains réels, prochainement, rapidement, qu’est-ce qui va se passer avec ce mouvement-là? Est-ce que ça va s'accroître? Est-ce que ça va se radicaliser? En tout cas, personne ne va se taire. »

Pour François Geoffroy, la solution serait de continuer à rallier d’autres organisations, notamment les organisations syndicales, les médecins, les groupes communautaires. Patrick Bonin ajoute que, si les moyens de pression n’augmentent pas, le Québec risque « de jouer dans le même film qu’on a joué dans les 10 dernières années. »

Je pense que la population va se lever, même si c’est à la dernière minute, mais elle va le faire, j’ai espoir. - Sara Montpetit

« En tant qu’individus, on s’impatiente, c’est sûr, et ça va se refléter, dit Louis Couillard. Notre rôle, c’est de préparer le terrain, mais la population va sortir dans la rue. » Sara Montpetit est d’accord, le gain le plus important à réaliser, c’est une mobilisation massive : « Je pense que la population va se lever, même si c’est à la dernière minute, mais elle va le faire, j’ai espoir. »

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Rebondissant sur la notion d’espoir, Patrick Bonin explique qu’être dans l’action et voir l’ampleur de cette mobilisation, c’est le meilleur remède au désespoir : « Faut surtout pas tomber immobile et se mettre la tête dans le sable. Au contraire, il faut se relever les manches » dit-il, avant de citer une étude qui établit qu’il suffit de 3,5 % de la population pour renverser des gouvernements de façon pacifique et non violente. « Et là, je crois qu’on est beaucoup plus loin que ce 3,5 %-là au Québec. »

Dans une rue ensoleillée du quartier de Griffintown, la photographe Betsy-May Smith invite le groupe à chanter les slogans qu’ils scandent en manif. Sara Montpetit, rompue à l’exercice, fait répéter ses camarades en criant dans son mégaphone : « Un pas en avant, trois pas en arrièreeee, c’est la politique, du gouvernement ! » Ça les fait rire, ils n’ont pas l’habitude de faire semblant de manifester, à huit, dans une rue déserte. C’est au tour de Léa Ilardo et Louis Couillard de prendre la pose. Avec Sara Montpetit, ils se balancent des moqueries comme des amis de longue date : « Tu trouves qu’on a l’air de losers, c’est ça? » lui demande Louis Couillard. « Oui », répond Sara Montpetit en pouffant de rire, avant d’ajouter dans le même souffle : « C’est pas vrai ! » Ils disent en plaisantant qu’ils voudraient prendre une photo un peu plus « bad boy » . « Venez, on en fait une où on squat », propose Sara . L’effet est plutôt réussi.

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Photo par Betsy-May Smith

On a l’impression qu’ils auraient pu continuer à discuter et débattre pendant des heures, mais leurs agendas sont chargés. Ils échangent des numéros de téléphone et l’accès à des documents secrets, et se donnent des tapes dans le dos chaleureuses. Ils promettent de se tenir au courant des projets à venir. Car, vous l’aurez compris, ils ne comptent pas s’arrêter là. Pour ces activistes, ce n’est que le début d’une lutte, et ils sont prêts à la mener sans cesse, jusqu’à ce que des changements radicaux soient mis en place. Après tout, la phrase n’est plus un cliché de cinéma, mais bien une réalité : c’est le sort de la planète qui est en jeu.

Extinction Rebellion promet un printemps et un été mouvementé, chargé d’actions radicales non violentes; Greenpeace, La Planète s’invite à l’Université et Dominic Champagne ont présenté ce lundi une proposition de « New Deal » vert; La Planète s’invite au Parlement continue de mobiliser syndicats et groupes communautaires. Et tous s’uniront pour participer à la Grande manif des jeunes pour le climat organisé par Pour le futur Montréal, le vendredi 17 mai à Montréal et à Québec.

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