L’écoanxiété est le nouveau mal lié au réchauffement climatique
Photo par Ian Espinosa via Unsplash

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santé mentale

L’écoanxiété est le nouveau mal lié aux changements climatiques

Si toi non plus, tu ne dors pas la nuit en pensant à la planète, il existe un groupe de soutien pour en parler.

La petite salle sent le thé au jasmin. Au sol, un grand tapis rouge avec de larges coussins disposés en cercle. Il n’y a pas de chaise. Il est 19 heures, les gens arrivent peu à peu et s’installent en tailleur ou à genoux. On chuchote, on se sourit timidement, on allume quelques bougies. Des petits champignons en bois sont déposés sur chaque coin du tapis. Si quelqu’un désire s’exprimer, il devra prendre un de ces champignons, et les autres participants respecteront son temps de parole jusqu’à ce qu’il le repose. C’est une jeune femme qui prend la parole en premier, en faisant tourner nerveusement la petite sculpture en bois au creux de sa main : « Toutes ces nouvelles sur la planète, ça me fait ressentir un poids permanent sur les épaules, comme si mon corps se préparait au pire à chaque moment. J’ai du mal à respirer parfois. » Les autres acquiescent silencieusement.

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Quand on pense au réchauffement climatique, on ne fait pas forcément le lien avec la santé mentale. Pourtant, les chercheurs rapportent que les changements climatiques entraînent chez de plus en plus de gens une profonde tristesse et de l'anxiété. Les participants à ce groupe de soutien souffrent de cette anxiété écologique ou écoanxiété, aussi appelée solastagie, un mot composé du terme anglais solace, qui signifie « réconfort » et -algie, qui signifie « douleur ». C’est la douleur de perdre l’endroit que l’on aime, une forme de détresse psychique et existentielle causée par les changements environnementaux.

Pour la vingtaine de participants à ce groupe, il est important de se retrouver, chaque semaine, pour partager le poids de leur inquiétude. Dans ce cercle de parole, il y a autant de femmes que d’hommes, et la grande majorité d’entre eux ont moins de 35 ans. Un groupe représentatif des rapports qui montrent que les plus jeunes ressentent plus fortement ces angoisses. Une étude récente nous apprenait que 70 % des Américains de 18 à 34 ans se disent inquiets du réchauffement de la planète, contre 56 % seulement des 55 ans et plus.

« Je suis triste en permanence au fond de moi, poursuit la jeune femme. C’est un bruit permanent. Je me sens paralysée, ça me met en colère, et cette colère reste comme coincée dans ma poitrine. »

Elle repose le champignon. Une autre femme, étudiante en Sciences environnementales, prend le relais : « Je me sens déconnectée du concept de “monde”, j’ai l’impression que je ne peux que me concentrer sur une communauté plus petite si je veux préserver ma santé mentale. C’est trop lourd de devoir penser à toute la planète entière. »

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Un jeune homme prend la parole à son tour : « Je ressens une colère dans mon cœur, dit-il. Je me sens impuissant, j’ai le sentiment qu’on est obligé de se diviser en deux : d’un côté vivre avec tous ces gens qui ne veulent pas voir ce qui se passe, de l’autre vivre avec la certitude que le monde court à sa perte. Il faut se taire souvent, sinon tu deviens “l’activiste chiant”, donc soit tu prépares un cours magistral et tout le monde va te détester, soit tu te tais. »

Quelques rires fusent. Ils s’écoutent avec une grande attention, et se sourient avec bienveillance. Un grand nombre d’entre eux parlent du sentiment de culpabilité qu’ils ressentent, cette impression de ne pas en faire assez. Ils parlent de colère, d’insomnie et d’un serrement de gorge à la lecture des nouvelles.

« Pour moi, le pire, explique un participant, c’est que ça étouffe toute la joie que je peux ressentir. J’essaie de penser à autre chose dans la vie, d’avoir des passions, mais le climat, c’est comme cet énorme poids permanent qui tue toutes mes joies. Parce que je finis toujours par penser : “De toute façon, rien n’est important, il n’y a que ça qui compte maintenant.” »

Certains parlent de l’anxiété qu’ils ressentent au moment de faire leur épicerie. En ville, il leur est difficile de cultiver leur propre jardin, et ils partagent tous un sentiment d’impuissance lorsqu’ils se retrouvent au milieu des allées de produits qui sont au cœur de la destruction environnementale.

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« Tu peux même pas acheter un concombre dans un supermarché sans qu’il soit recouvert de plastique, dit l’une d’entre eux. Parfois, je regarde le rayon de l’épicerie et j’arrive plus à bouger, je ne peux pas. J’aime les yogourts, par exemple, mais quand je vois tout le plastique que ça prend pour quelques yogourts, ça me fait une boule au ventre. Je ne peux plus en manger. »

Quand je retourne dans ma famille et que je les vois consommer, acheter plein d’objets de merde sans intérêt, je me sens vraiment seul.

« Je suis tout à fait d’accord avec toi, dit le suivant en élevant légèrement la voix. Ça me met en colère, j’ai envie d’étrangler les gens, parfois! Ceux qui sont dans un déni total, c’est… Quand je retourne dans ma famille et que je les vois consommer, acheter plein d’objets de merde sans intérêt, je me sens vraiment seul. »

Il y a aussi la question du corps qui revient souvent. L’anxiété se transforme en douleur physique, ils parlent de mal au ventre, mal de dos ou de maux de tête permanents.

« Je le sens partout dans mon corps que je suis en panique, dit une participante. Je suis angoissée non-stop, je me dis que je devrais être en train de me préparer, de m’organiser pour une sorte d’apocalypse. J’y pense tous les jours, j’ai du mal à me concentrer sur n’importe quoi d’autre : le travail, l’école, les amis. Parce que toute mon énergie est consacrée à savoir comment je vais devoir m’adapter, créer de la résilience, du deuil. »

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Une participante saisit un champignon, puis le repose, visiblement trop émue pour parler. Après quelques secondes de silence, elle le prend à nouveau : « Parfois, j’ai des pensées vraiment sombres et je pense qu’on va voir des choses horribles dans notre vie. Même dans cinq, dix ans, le monde tel qu’on le connaît n’existera plus. J’ai besoin de faire la paix avec l’idée de mourir pour aller mieux. Pas dans un sens suicidaire, mais dans le sens où il est possible qu’on ne meure pas tranquillement de vieillesse comme les générations précédentes. »

Les scientifiques étudient de plus en plus ce chagrin découlant du réchauffement climatique. Un groupe international de climatologues a lancé Is This How You Feel?, un site web où des gens publient des lettres sur ce qu’ils ressentent par rapport au climat, et l' American Psychological Association a publié un long rapport sur la solastalgie.

Susan Clayton est l’une des auteures de ce rapport. En entrevue avec VICE, elle nous raconte avoir été étonnée du nombre grandissant de personnes qui font état de détresse par rapport au réchauffement climatique un peu partout dans le monde. « Les gens parlent d’une tristesse profonde. Les personnes qui subissent directement les conséquences du réchauffement climatique ont tendance à rapporter davantage d'effets émotionnels, mais il y a aussi de la détresse ou de l’anxiété chez des gens qui en entendent simplement parler. C’est un sentiment comparable au deuil pour certains, et avec le nombre grandissant des impacts écologiques, ces problèmes de santé mentale ne vont qu’augmenter. »

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Le rapport encourage d’ailleurs les spécialistes de la santé mentale à se former sur les questions d’environnement et à apprendre à reconnaître les conséquences sur les patients, qui peuvent comprendre entre autres un taux plus élevé de dépression, d’agression ou de violence, et un sentiment d’impuissance et un fatalisme accrus.

Quand on lui demande comment gérer cette anxiété alors que les nouvelles au sujet du réchauffement climatique sont de plus en plus mauvaises, Susan Clayton explique qu’il est important de parler des solutions qui existent pour se sentir mieux. « Il faut encourager l'optimisme, explique la chercheuse, parler des belles histoires et des actions qui peuvent être menées. Ne vous contentez pas de souligner les mauvaises nouvelles. Il faut aussi aider les gens à s'informer, car si les gens sont mieux informés, ils seront mieux en mesure de se préparer, et ça leur permettra de se sentir moins dépassés. Et surtout, aider les gens à créer des liens sociaux, qui peuvent être une source puissante de résilience et aider les gens à se sentir moins impuissants. »

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Après une heure et demie d’échange, c’est la fin de la réunion du groupe de soutien. Les discussions se poursuivent, debout cette fois. Plus personne ne chuchote.

« Ça fait vraiment du bien, dit un jeune homme en remettant son manteau.

– J’aurais pu continuer à parler pendant des heures, répond un autre. C’est cool de savoir qu’on n’est pas seuls. »

Tout le monde hoche la tête.

« Il faut qu’on crée d’autres groupes comme celui-là, reprend-il.

– T’inquiète pas, il va y en avoir plein. Les gens réalisent de plus en plus ce qu’il se passe, ils vont se sentir exactement comme nous très bientôt. »