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Culture

Waseskun, ou comment repenser la réhabilitation des détenus autochtones

Un nouveau documentaire explore l'approche spirituelle et culturelle d'un centre de détention québécois.
Toutes les photos : Office national du film du Canada

Nos prisons seraient-elles une version moderne des pensionnats autochtones? Les autochtones représentent seulement 4 % de la population du Canada, mais ils comptent pour près de 25 % de la population carcérale. La situation — une institutionnalisation massive de personnes autochtones — n'est pas sans rappeler celle des pensionnats des 19e et 20e siècles, dans lesquels ont été envoyés de force plus de 150 000 jeunes des Premières nations dans le but de les assimiler. Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, publié l'an dernier, avait qualifié la politique canadienne de l'époque de « génocide culturel ».

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Si Waseskun, le deuxième long-métrage du réalisateur québécois Steve Patry, suscite une réflexion sur les similarités entre les pensionnats et la prison, il montre aussi qu'il est possible de faire justice autrement.

Le titre fait référence à un centre de détention autochtone situé dans Lanaudière, une prison à sécurité minimale qui prône une approche basée sur le partage, la culture et la redécouverte des traditions. Selon les administrateurs de Waseskun, leur démarche serait davantage adaptée aux enjeux particuliers des détenus autochtones que celle des prisons conventionnelles.

Dans l'Ouest du Canada, plusieurs centres de réhabilitation ont été conçus spécifiquement pour les détenus autochtones. Waseskun est cependant le seul et unique service de la sorte dans l'Est du pays et dessert une clientèle venant de l'Ontario, du Québec, des Maritimes et de Terre-Neuve.

VICE a rencontré Steve Patry et Glenda Mayo, l'une des intervenantes sociales du centre, pour leur parler du film et des enjeux qui touchent les détenus autochtones.

VICE : Parlez-moi du Centre Waseskun.
Steve Patry : J'ai découvert Waseskun sur le tournage de mon film précédent, De prison en prison. On m'avait dit que c'était une prison à sécurité minimale. Je suis arrivé là et il n'y avait aucun garde de sécurité, aucun barbelé, aucune arme à feu, et les gens se promenaient librement. Ça m'a happé comme lieu. Ça a tout déconstruit l'image que j'avais des prisons.

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VICE : C'est une prison avec un mandat assez particulier?
SP : Leur démarche de réinsertion passe par plusieurs choses : l'identité culturelle, évidemment, mais aussi le réapprentissage de la culture, l'artisanat, les cérémonies, les rites plus sacrés qui sont propres à eux. Les gars qui étaient là connaissaient un peu leur culture, mais ils l'avaient laissée tomber en cours de route. D'autres n'étaient pas du tout au courant et, pour eux, c'était une façon de redécouvrir les traditions ancestrales.

Glenda Mayo : Nous accueillons parfois jusqu'à 13 nations différentes à la fois. Il y a davantage de ressemblances que de différences, mais nous mettons plus l'accent sur la spiritualité que sur la culture. C'est grâce à la spiritualité qu'ils apprennent à se reconnecter. C'est leur spiritualité qui a souffert.

Pourquoi est-ce important pour les détenus de redécouvrir leurs traditions ancestrales?
SP : C'est un lien d'attachement, de valorisation de leur identité personnelle. Les traditions sont des outils pour affronter les douleurs présentes et futures. Waseskun, c'est un centre de guérison, alors déjà dans la terminologie, l'approche est différente de celle d'un centre de réinsertion. L'artisanat, le « smudging », tout le quotidien qu'ils apprennent là-bas aide à affronter la vie.

Qui sont les personnages dans le documentaire?
SP : J'ai beaucoup concentré mon film sur les résidents, alors qu'ils étaient en séances de thérapie et de partage. C'est une façon d'avoir accès au contenu sensible sans faire d'entrevues de style classique. Un coup que j'ai eu accès — et ça a été long, former ces liens de confiance — j'ai découvert un lieu propice pour aborder ces questions-là, des questions d'hommes qui ont été blessés, mais qui ont blessé à leur tour.

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Ce cycle de violence est rapidement devenu le thème du film. À mon avis, c'est le lien en commun de tous ces hommes-là. À Waseskun, ils veulent mettre un terme à ce cycle-là.

Les témoignages des détenus sont vraiment très marquants. Qu'est-ce qui vous a le plus frappé?
SP : C'est plus l'ensemble. J'ai tourné pendant un an, à raison de trois ou quatre jours par mois. Je passais le quotidien avec eux et je tournais deux ou trois heures par jour, mais le reste du temps on jasait, je vivais avec eux. Des fois, il y en a qui me contaient leurs histoires, des fois je filmais dans les cercles de partage. Ces moments-là, où le rire et le tragique se côtoient presque simultanément, il y a une charge émotive assez forte. Il y a quelque chose de puissant dans ces cercles-là où les gens sont vraiment amenés à s'ouvrir, à laisser sortir leurs émotions, leur passé, leurs abus.

GM : Steve est devenu comme un résident, tant il était là souvent. On l'appelait notre paparazzi. Après un bout d'temps, il a demandé la permission d'être présent pendant les cercles de partage et les hommes étaient très confortables avec ça parce qu'ils le connaissaient. Ils savaient qu'il était là pour filmer leurs histoires et non pour les juger.

Les centres de détention sont habituellement des lieux très fermés, on n'y a presque jamais accès…
SP : De par mon immersion dans ces lieux-là, je veux faire découvrir au plus grand nombre de personnes possible la volonté et le courage de ces hommes de s'en sortir. Sinon, on les étiquette. Ce sont des gens qui ont abusé, des gens qui ont tué, des gens qui ont commis des crimes parfois impardonnables. Moi, je démontre toujours le côté humain ou en tout cas, la complexité des choses. Je n'apporte pas de solutions. Ce que je souhaite, c'est que les gens voient que ce cheminement n'est pas noir et blanc. De les voir comme ça, devant la caméra, s'exprimer, de les voir sains physiquement et mentalement, je trouve que ça donne de l'espoir.

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Glenda, vous venez de prendre votre retraite, mais vous avez passé 17 ans à travailler avec des détenus. Qu'avez-vous appris?
GM : Un thème qui revient souvent est celui des pensionnats autochtones. Soit qu'ils y sont allés, ou bien un membre de leur famille est passé par là.

Souvent, après en avoir parlé en groupe, certains hommes contactent leurs familles pour leur demander s'ils sont allés en pensionnat autochtone et découvrent qu'effectivement, leurs parents, leurs grands-parents ont vécu ça. Et ça les aide à comprendre la source de la dynamique qui s'est établie au sein leur famille.

Imaginez retirer un enfant de la vie qu'il a toujours connue pour lui imposer un environnement où tout lui est étranger. Quand cet enfant revient chez lui éventuellement, sa communauté ne le reconnaît plus, il ne les connaît pas non plus.

Pourquoi n'y a-t-il pas plus de centres comme Waseskun dans l'Est du pays?
GM : Je n'en ai aucune idée. Il faudrait voir si on peut changer ça. Il y a plus de ressources dans l'Ouest parce que la population autochtone y est plus grande. Nous avons des aînés qui visitent les prisons pour aider les gens qui souhaitent guérir, mais j'aimerais tellement voir ce genre de traitement, ce type de guérison dans les communautés autochtones. N'attendons pas que les gens finissent en prison.

SP : Et dans l'Est, il n'y a pas du tout de centre comme ça pour les femmes. Steve : J'ai une question pour Glenda. Crois-tu que les prisons sont un peu comme les pensionnats d'aujourd'hui? GM : D'une certaine façon, oui. Parce que si tu as été en pensionnat autochtone, ou bien en prison, tu as été forcé de vivre d'une façon très structurée, et tu t'habitues à ce style de vie très structuré. Et ça fait que quand tu sors, tu as beaucoup de difficulté à te débrouiller parce que tu as l'habitude de te faire dire quoi faire et quand le faire. Oui, je dirais que les prisons sont un peu comme les pensionnats autochtones d'aujourd'hui.

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