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Musique

La belle existence chaude de Dear Denizen

Dear Denizen nous parle avec sagesse de la musique de jeunes et du mouvement afro-queer.
Dear Denizen
Photo: Lou Scamble

Chris Ngabonziza se fait d’abord connaître sous le nom Ngabo, avec un album éponyme en français vers les années 2010, avant de se lancer en anglais en devenant Dear Denizen. Après avoir connu un succès sur la scène anglophone avec ce projet ainsi qu’ABAKOS, un supergroupe formé avec son ami et compatriote congolais Pierre Kwenders, il effectue un retour en français avec Belle existence chaude (BEC), un EP de quatre chansons qu’il qualifie comme étant de la pop alternative. Avec un son décomplexé, vibrant et ludique, aussi entraînant que léger, on retrouve Ngabo en pleine forme sur ce projet.

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Alors qu’il s’apprête à lancer BEC ce vendredi et présenter son nouveau spectacle au festival Coup de cœur francophone, VICE s’est posé avec lui pour parler de ce nouvel opus et de sa place dans la scène actuelle.

VICE : Salut Ngabo! Parle-moi un peu de ton EP et du processus d’enregistrement.
Dear Denizen : J’ai travaillé avec Sylvain Deschamps, un réalisateur montréalais, qui travaille entre autres avec Violett Pi. C’est également lui qui a fait le dernier disque de Klô Pelgag. C’est vraiment cool parce que Violett et Klô, ce sont deux univers complètement différents, et le mien aussi.

J’ai vraiment décidé de faire ce EP-là au mois de novembre dernier. J’avais déjà commencé à faire des brouillons, dans ma tête, et au mois de décembre on a commencé l’enregistrement. On avait fait sept tounes, mais finalement on n’en sort que quatre. Ça m’a redonné la piqure, donc on va faire un album complet, qui devrait sortir l’an prochain.

Tu es rentré au Congo plus tôt cette année, ça faisait combien de temps que tu n’y étais pas retourné?

Ça faisait six ans que je n’étais pas retourné au pays! Ça m’a vraiment fait du bien de me ressourcer; de voir la famille, d’être entouré de la bouffe et des odeurs. Quand j’y étais en 2012, il y avait vraiment beaucoup de tension. L’endroit d’où je viens, Goma, c’était vraiment le cœur du conflit congolais, en quelque sorte. C’est une région où la situation est vraiment imprévisible; ça peut être super le fun pendant une semaine et puis basculer d’une minute à l’autre. En 2012, il y a quelques soirées où j’ai même pas dormi chez mes parents, parce que j’avais trop peur. Je m’étais pris un hôtel à côté de la frontière du Rwanda, comme ça, s’il y avait quelque chose, je pouvais traverser et m’enfuir.

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Lorsque tu étais enfant, t’as vraiment vécu la guerre à son paroxysme?
J’étais là quand ç’a commencé, en 94, après le génocide. Ç’a fermenté un peu, et c’est en 97 que ç’a vraiment pété, et j’étais là. Mais aujourd’hui, il y a comme un statu quo de cette vibe de guerre qui s’est installé. T’as une génération de gens plus vieux qui n’ont jamais vraiment connu un pays stable, avec un système qui fonctionne. Ils sont coincés là, mais ils sont un peu blasés, parce que c’est tout ce qu’ils connaissent. Et ça, ça me fait vraiment mal.

Est-ce que tu te rattaches à la communauté congolaise à Montréal?
Oui absolument! Surtout récemment, avec tous les gars de la gang du Moonshine, comme Pierre (Kwenders). Ç’a un peu redonné à la diaspora un vibe qui est le fun. Mais en même temps, on ne parle pas trop de tous ces problèmes-là. Premièrement parce qu’il y en a beaucoup qui sont nés ici ou en Belgique, et donc qui ne connaissent pas nécessairement la situation là-bas, mais aussi parce qu’on préfère rester dans un mood festif.

Comment ton voyage a-t-il influencé le EP?
Je voulais faire des parallèles avec mon expérience. Tu vois, quand j’étais petit, il n’y avait pas vraiment de frontière entre le Rwanda et le Congo. Elle existait, mais c’était très symbolique, et on traversait comme on voulait; il n’y avait pas de soldats avec des kalachnikovs et tout ça, alors que maintenant, c’est très intense, et il y a des soldats partout. Il y a une codépendance énorme entre les deux nations, et c’est une question de survie de base, que ce soit pour des vivres, ou peu importe. Je voulais donc faire des parallèles entre ça et Trump avec son mur à la frontière du Mexique, et le Brexit et tout ça. Il y a en ce moment une vague de fascisme, comme on l’a vu récemment avec l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil. Je ne suis pas un expert en politique, mais j’observe la situation et ça nous affecte, donc oui, dans ce sens-là, de retourner au pays m’a inspiré.

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J’ai entendu dire que lors de ce voyage, tu avais fait ton coming out auprès de tes parents pour la première fois?
Surtout auprès de ma mère, en fait. J’avais vraiment le goût d’avoir cette conversation-là avec mon père, mais ça n’a juste pas adonné. Je l’ai fait avec ma mère et mes sœurs, et pour moi c’était assez. Je l’ai caché longtemps, mais maintenant j’ai 39 ans. Ici, à Montréal, je vivais très ouvertement, j’avais mon copain, mais je faisais attention sur Facebook, avec ce que je disais. Je me souviens même que quand je parlais aux médias, je les avertissais que je voulais pas parler de mon orientation. Même aujourd’hui, pour être honnête, j’ai pas envie que ça soit toute une affaire, parce que je trouve ça un peu ridicule.

Tu trouves pas ça un peu triste, qu’autant d’Africains de la communauté LGBTQ+ ne trouvent seulement le courage de s’ouvrir que lorsqu’ils quittent leur pays?
Ben oui dude! On a hérité de tout un fucking bagage colonial qui n’est pas à nous. C’est vraiment la religion catholique qui a tout fucké. C’est hyper désolant, quand tu vois que les cultures qui nous ont transmis ces valeurs homophobes s’en débarrassent et que c’est maintenant nous qui sommes coincés avec.

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Crois-tu que c’est cette répression qui a alimenté ce nouveau mouvement afro-queer? Et te considères-tu comme faisant partie de ce mouvement?
Pour moi, pas tout à fait. Parce que la vague afro-queer vient vraiment de la jeunesse. J’en vois beaucoup, avec Moonshine, mais ce sont surtout de jeunes Africains qui souvent sont nés de parents immigrants. Moi, j’ai presque 40 ans, mais eux ils ont grandi ici, avec Rupaul’s Drag Race, avec Instagram, Facebook, Lady Gaga et tout ça. Et pour eux, ce n’est même pas un big deal, c’est simplement leur réalité. Je suis certain que ça doit causer des tensions avec leurs parents, surtout s’ils sont nés en Afrique.

Et justement, comment vis-tu le fait que la musique populaire en ce moment au Québec est surtout dominée par des artistes très jeunes?
Je trouve ça vraiment cool, c’est trippant! Le plus gros véhicule derrière tout ça, ce sont les médias sociaux. Et c’est un phénomène qui n’est pas confiné qu’au Québec, on le voit partout. Je serais très intéressé de voir plus de collaborations entre ces deux générations. Ça s’en vient. Je me verrais bien faire une toune avec Hubert Lenoir, je crois que ça serait vraiment cool.

Dear Denizen sera en spectacle ce jeudi dans le cadre du festival Coup de coeur francophone. BEC sort ce vendredi.

Billy Eff est sur internet ici et .