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Pour Jessica Beauplat, c'est pas juste des cheveux

Avec sa pièce de théâtre Touche pas à mes cheveux (et autres principes de base), Jessica Beauplat veut vous donner un cours intensif sur le racisme ordinaire.
Pour Jessica Beauplat, c'est pas juste des cheveux
Photo fournie par Jessica Beauplat

Au téléphone, Jessica Beauplat est volubile. La trentenaire en a long à dire sur un sujet en apparence superficielle. « Les cheveux, ça a quand même toujours été important dans ma vie », glisse-t-elle dans la conversation. Tellement qu’elle a décidé de transformer le sujet en pièce de théâtre, Touche pas à mes cheveux, sa première création, qui est présentée au festival Fringe de Montréal.

« C’est l’histoire d’une dame qui a décidé de créer un cours 101 sur les cheveux de la femme noire, explique Jessica lorsqu’on lui demande de décrire ce qu’on va voir sur scène. C’est un cours de sociologie 101 où on explore le racisme ordinaire, les différences ethniques, à travers le sujet des cheveux. Les cheveux sont une excuse pour parler de différences culturelles, de féminité et de beauté. »

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Photo par Candice Pantin

Sa relation avec sa chevelure n’a pas été un long fleuve tranquille. « Je pense qu’on pourrait dire que c’est chaotique et tumultueux. Je crois qu’on s’apprivoise encore! C’est vraiment une sorte de processus… On dirait qu’à chaque étape de ma vie, mes cheveux changent… », raconte la jeune femme.

À 25 ans, elle avait marqué le coup avec éclat. « Je voulais vraiment faire un changement radical. Je pensais que c’était le meilleur moment, j’avais un quart de siècle, j’oublie tout ce qui s’est passé avant, toute la jeunesse, je repars à neuf. [… ] On dirait que si je me rase la tête, je suis capable d’avoir cette assurance-là et de me dire que je me fous du regard des autres. » Son geste n’est vraiment pas passé inaperçu et a suscité une vague de questions. « Tout le monde me demandait pourquoi j’avais fait ça. “Est-ce que c’est pour t’émanciper du défrisant?” “Est-ce que c’est pour t’émanciper du règne suprême de la femme blanche?” “Est-ce que c’est pour t’émanciper de l’oppression?” Je les ai rasés pour moi, mais on dirait que les gens voient vraiment un symbole. »

Elle enchaîne en se demandant ce qu’il y a de si spécial pour que les gens s’intéressent surtout aux cheveux des femmes noires. « Ils posent plein de questions comme : “Comment tu les laves?”, “Comment ça, ils deviennent frisés puis droits?”, énumère-t-elle. Je trouvais que c’était un sujet le fun à explorer, parce que je trouve aussi que chaque femme a une relation un peu tumultueuse avec ses cheveux. »

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Au-delà de l’expérience personnelle des cheveux, le sujet est d’actualité et pas pour des raisons heureuses.

En février, la Ville de New York a interdit la discrimination basée sur les cheveux. Au Canada, une employée de la chaîne de vêtements Zara s’est fait avertir au sujet de sa coiffure qui selon ses supérieurs manquait de professionnalisme et ne reflétait pas l’esthétique de la marque espagnole. À Montréal, le restaurant Madison a dû payer une amende de 14 500 $ pour avoir demandé à une hôtesse de défaire ses tresses. Il y a aussi l’artiste Solange qui a composé une chanson nommée Don’t Touch My Hair, un titre éloquent qui avait inspiré des créateurs de jeux vidéo à concevoir un jeu pour les femmes noires tannées de se faire toucher les cheveux.

La rédaction de sa première œuvre n’a pas été sans rebondissement. Monter ce spectacle, c’était un défi que Jessica s’était lancé en s’inscrivant au festival Fringe, sans même avoir un texte de prêt. La dramaturge en herbe a commencé par faire une sorte de focus group auprès de ses amies pour parler cheveux. Elle a vite réalisé que le sujet créait un débat et que chacune avait une histoire personnelle, et unique, avec sa tignasse.

La création a commencé pendant les ateliers d’écriture qu’elle suivait au Playwrights’ Workshop Montreal cet hiver. Si, au départ, elle voulait écrire un spectacle chargé d’humour, ce n’est pas le résultat final sur scène. « C’est passé d’une comédie dramatique à un drama…! dit Jessica en riant. Non, mais ça a donné lieu à quelque chose de plus profond. Au début, je me disais que je n’avais pas envie d’écrire ça, que je voulais garder ça pour moi, et je vais juste garder les jokes. Mais finalement, ça ne rendait pas nécessairement service à la pièce ni à personne que je garde juste des jokes. » C’est l’arrivée de la metteuse en scène Tamara Brown, qui a dirigé la pièce How Black Mothers Say I Love You en mars dernier, qui l’a guidée dans la bonne direction. En la poussant toujours plus loin vers ce qui lui faisait peur, elle a fait en sorte que la pièce aborde les anecdotes personnelles de Jessica avec profondeur.

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Avec le sujet des cheveux des femmes noires, un thème en apparence anodin, elle souhaite que le public qui verra son spectacle se pose des questions. « Je veux surtout que ça suscite une discussion. Et qu’il y ait des gens qui vont réaliser : “Ah, c’est vrai que je fais ça”, ou : “Ah, c’est vrai, c’est bizarre, j’ai pas pensé, je suis juste curieux, et finalement je mets ma main dans ta tête.” Le but, c’est vraiment de provoquer des discussions », souligne-t-elle, même si elle pense que les spectateurs qui se pointeront seront plutôt woke.

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Sa pièce n’a encore été vue par personne, mais Jessica se réjouit de l’intérêt autour du sujet. « Je suis vraiment contente que ça suscite déjà des conversations, et c'est le but aussi, de rassembler les gens, peu importe leurs horizons ou leur arrière-plan, et qu'on se parle tous ensemble. »

Touche pas à mes cheveux (et autres principes de base) sera présenté les 7, 8, 9, 13, 14, 15 juin au festival Fringe.