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Un tribunal consacré aux violences sexuelles ferait une meilleure job que le système actuel

Le PQ propose un nouveau tribunal pour les violences sexuelles et conjugales. Mais ça demeurerait une solution très partielle au problème, selon une experte.
Véronique Hivon, vice-cheffe du Parti québécois. Photo : La Presse canadienne/Jacques Boissinot

Le besoin d’agir est criant, aussi criant que le manque de confiance des victimes d’agression sexuelle envers le système judiciaire est profond.

Seulement 5 % des victimes trouvent le courage d’aller porter plainte à la police; une fois cette étape franchie, à peine plus d’une dénonciation sur dix (12 %) se solde par une condamnation de l’agresseur, d’après Statistique Canada.

Une étude dévoilée la semaine dernière est venue donner une cinquantaine de visages à ces statistiques; il en ressort que la méfiance des victimes est « bien fondée », et qu’elles sont « mal accueillies par les acteurs du système judiciaire », rapportait Radio-Canada.

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C’est dans ce contexte que la vice-cheffe du Parti québécois, Véronique Hivon, a avancé vendredi une proposition visant à régler ces problèmes : on souhaite créer une Chambre consacrée aux dossiers d’agression sexuelle et de violence conjugale, à même la Cour du Québec.

Pour savoir quel effet cette initiative pourrait avoir sur les victimes, VICE s’est entretenu avec Rachel Chagnon, qui a participé à l’étude sur l’expérience des victimes de violence et qui est également professeure de droit à l’UQAM.

VICE : Qu’est-ce qu’une Chambre distincte pour les victimes de violence sexuelle et de violence conjugale viendrait changer, concrètement?

Rachel Chagnon : La violence sexuelle, ce sont des crimes qui sont sous-dénoncés. Le résultat, c’est que les juges entendent très peu souvent des dossiers en agression sexuelle. S’ils manquent d'entraînement, s’ils ne se rappellent pas leur jurisprudence, ils peuvent faire des erreurs. Alors qu’un juge qui est là-dedans tout le temps, il est à jour, il sait exactement ce que dit la jurisprudence. Ça permet de circonscrire les risques d’erreurs.

L’autre raison pour laquelle on crée ce genre de tribunaux, c’est que ça permet au juge de suivre des personnes sur de plus longues périodes. Si le juge connaît déjà le dossier de l’accusé, ça va lui permettre de peut-être mieux évaluer sa crédibilité, sa dangerosité, et les risques encourus si on le remet en liberté.

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Est-ce qu’avoir des procureurs affectés à ces causes en particulier viendrait changer la donne?

Quoi qu’en dise la directrice générale du DPCP [Directeur des poursuites criminelles et pénales], les procureurs des cours du Québec en matière criminelle sont débordés et manquent de ressources.

Les causes d’agression sexuelle comportent des enjeux de preuve et de gestion qui sont vraiment spécifiques. Avoir des procureurs qui peuvent se consacrer à ça à temps plein, c’est sûr que ça ferait une différence.

Les victimes auraient-elles peut-être plus confiance envers le système judiciaire?

Ultimement, on peut espérer que oui. Il y a une confiance qui naît du sentiment d’efficacité. Un système qui serait capable d’entendre plus de causes, qui serait capable de rendre des décisions où il y a des verdicts de culpabilité aussi fréquemment que dans les autres types d’agressions… Quand les gens ont le sentiment que le système est efficace, ils ont confiance.

L’étude récente indique que c’est fréquent pour une victime d’attendre de deux à cinq ans pour que sa cause soit entendue en cour. Est-ce qu’une telle mesure pourrait raccourcir les délais?

Dans un monde idéal, oui. Vos chances seraient sûrement meilleures, mais tout dépend des ressources.

On déplore qu’il y ait beaucoup de questions déplacées sur la tenue vestimentaire ou la consommation d’alcool ou encore des commentaires condescendants faits aux victimes, notamment à la cour. Est-ce qu’une Chambre distincte pourrait de près ou de loin venir corriger ça?

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Avoir des personnes qui se spécialisent dans le bon fonctionnement d’un tribunal qui fait de l’agression sexuelle sur une base régulière, ça finit par faire des personnes qui sont mieux informées. En ce qui concerne tous les commentaires liés à une mauvaise compréhension des règles de preuve, par exemple sur la tenue vestimentaire… Elle n’a pas à être prise en compte. La jurisprudence canadienne et le Code criminel sont clairs là-dessus.

Il ne faut pas penser que les procureurs sont pas formés sur ces questions-là. Ils ont une formation – pas très longue – mais quand même ils en ont une. Mais s’ils n’actualisent pas cette information-là… Si on vous garroche ça pendant un cours : voici la preuve, voici les articles, et que, pendant un an, vous ne voyez passer aucun de ces dossiers et qu’un an plus tard, vous vous retrouvez avec un dossier en agression sexuelle, votre petite formation de 3 heures, elle est loin.

Peut-être que vous allez avoir le réflexe de vous replonger dedans, mais ça demande du temps. Et le temps, c’est quelque chose que les procureurs n’ont pas en quantité infinie. Même avec la meilleure volonté du monde, tant qu’il y aura aussi peu d’infractions à caractère sexuel qui arrivent devant les tribunaux, ils sont pratiquement condamnés à faire des erreurs.

Si je comprends bien, pour affûter les réflexes du système judiciaire, il faudrait se concentrer en amont, pour qu’il y ait plus de cas qui se retrouvent devant la cour?

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S’il y avait plus de cas qui se retrouvaient devant la cour, on aurait la possibilité de se dégager une expertise de meilleure qualité. Est-ce que ce serait suffisant pour régler tous les problèmes? Et faire en sorte que les victimes soient mieux traitées?

On ne peut pas espérer qu’il y ait plus de dénonciations qui vont se rendre devant les tribunaux si les policiers n’acceptent pas de revoir comment ils font leur travail quand ils reçoivent les dénonciations. Si les personnes qui portent plainte se tapent le nez sur la porte de la police parce qu’on leur dit : « Non, c’est pas une plainte fondée », « Non, il n’y aura pas de suite », on n’avance pas, nulle part.

Est-ce que la solution du PQ – qu’il y ait une équipe spécialisée dans le traitement des violences sexuelles dans chaque corps policier du Québec, comme il y a déjà à Montréal – serait bonne?

À Montréal, on voit une amélioration de la prise en charge des personnes qui dénoncent. Pour avoir rencontré des policiers qui en font partie, on voit que c’est des gens qui sont plus conscientisés, qui ont une meilleure appréciation des faits qu’on leur présente. Est-ce que c’est parfait? Non! [rire]. Mais quand même, ce sont des gens qui sont vraiment formés pour ça, et qui ont la chance de mettre en application rapidement.

Mais il ne faut pas oublier qu’un des deux grands corps policiers du Québec, la SQ [Sûreté du Québec], elle a la possibilité depuis toujours de créer un corps spécialisé. Elle ne l’a pas fait jusqu’à maintenant. D’ailleurs la SQ fait partie des corps policiers canadiens les plus réfractaires à l’idée de revoir leurs dossiers en matière d’agression sexuelle. C’est à peu près un des seuls corps policiers à l’heure actuelle qui maintient la ligne du « On fait bien notre travail, et on changera pas ».

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Et tous les autres corps policiers du Québec, ce sont des petits corps municipaux. C’est pas dit qu’ils ont les moyens de s’offrir des équipes spécialisées. C’est pas si simple à réaliser.

Est-ce que la Chambre spécialisée, c’est une bonne façon d’améliorer le système judiciaire pour les victimes?

C’est une piste de solution. Mais est-ce que c’est réaliste, compte tenu de la séparation des pouvoirs entre les tribunaux?

Dépendant de la gravité objective de l’agression sexuelle, le dossier va atterrir soit devant la Cour du Québec, soit devant la Cour supérieure [de compétence fédérale]. Et même que, si on est à Montréal, ça peut être des juges de cour municipale – Montréal est unique à ce niveau.

On sait jamais trop où le dossier va atterrir. La Cour du Québec peut décider de créer un tribunal spécifique pour entendre les dossiers qu’elle reçoit déjà, mais ce n’est pas tous les dossiers. Ce serait une solution très partielle au problème.

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Est-ce que le plan du PQ est assez ambitieux, selon vous?

Il faudrait régler le problème d’égalité hommes-femmes. Ça, ce serait assez ambitieux! [Elle éclate de rire] Peut-être même un peu trop! [rire]

Le système de justice ne va jamais tout régler. Être ambitieux, ce serait d’avoir une vision englobante. Il faut aller dans les salles de classe, revoir les représentations médiatiques qu’on fait des rapports intimes homme-femme… Des gens qui commettent des agressions, il va toujours y en avoir. Mais si on vit dans un milieu où il n’y a pas de tolérance pour ces agressions, où il y a une meilleure compréhension du consentement, là on aurait peut-être moins de pression sur le judiciaire.

Cette entrevue a été légèrement abrégée par souci de clarté et de concision.

Justine de l'Église est sur Twitter.