Culture

Quand les films de 1999 prédisaient la fin du monde

Cette année-là, les cinéastes ont envoyé leurs derniers messages avant l’apocalypse – des messages de misère, de mort et de leçons.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
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Lawrence Fishburne dans "Matrix"(1999)

Disons que nous sommes en 1999 et que vous êtes sur le point de visionner un film intitulé Matrix. Vous êtes jeune, sans doute adolescent, et vous n'avez aucune idée de l'enfer philosophique que vous allez vivre. Le bouche-à-oreille est une lente combustion en 1999 – Twitter (2006), Facebook (2004) et YouTube (2005) ne sont pas encore des concepts – et comme le reste du monde, vous n’avez vu qu’une bande-annonce de deux minutes dans laquelle des types en cuir rebondissent sur les murs.

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Soudain, le film est terminé, mais vous ne vous en remettez pas vraiment – comme on ne se remet jamais vraiment d’un classique instantané. Le film vous a réconcilié avec les films d'action et vous regardez désormais votre monde « réel » avec des questions réfléchies sur la réalité. Oui, Matrix a eu un impact sur vous ; mais ce n'était pas seulement le film, c'était l'année.

Malgré une Britney Spears alors âgée de 16 ans qui chantait littéralement des trucs sur le sadomasochisme, 1999 a été une année où la culture pop a commencé à paraître plus significative et moins fabriquée à mes yeux. Mon palais de l'année précédente était inégal, puisque les films catastrophe comme Deep Impact et Armageddon étaient devenus des plaisirs personnels avant de devenir des plaisirs « coupables ». Il n’y avait pas de réseaux sociaux pour influencer ce à quoi je devais m’intéresser. « Give It to You » de Jordan Knight passait en boucle et les cartes Pokémon étaient toujours une drogue. La télévision, les journaux et mon coiffeur Lloyd prédisaient la fin du monde, communément appelée l’an 2000.

La théorie de l'époque était que le 1er janvier 2000, juste après minuit, les deux derniers chiffres du nouveau millénaire – les « 0 » en 2000 – ébranleraient bizarrement les appareils électroniques et sèmeraient le chaos. Tous les alarmistes prévoyaient des récessions mondiales et les pires scénarios, mais je n'en avais jamais assez. Il y avait une logique stupide et excitante dans chacune de mes expériences « pop », parce que tout à coup, c’était peut-être la dernière fois que je la vivais. Le LP Slim Shady d'Eminem serait unique. Une Buffy contre les vampires surjouée se terminerait sur une bonne note. Et surtout, le cinéma, étant déjà l'un des médiums les plus puissants et les plus immersifs qui soient (c'était avant l'âge d'or de la télévision et de la VR), était le seul où ces concepts et expériences importants ont eu un impact massif – le dernier mot sur un monde condamné.

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En l'occurrence, Matrix – aussi ridicule et époustouflant qu'il puisse être – compte parmi les nombreux films qui ont défini cette attitude « fuck it » de 1999 : Dans la peau de John Malkovich, Fight Club, Le Sixième Sens, Le Projet Blair Witch, 35 heures, c’est déjà trop, Le Talentueux Mr. Ripley, Les Rois du désert, Boys Don't Cry, Magnolia, Le Géant de fer, etc. À mon insu, c'était comme une industrie qui traversait sa propre épiphanie alors que l'horloge de l'apocalypse tirait à sa fin. À peine un an plus tôt, les films étaient marqués par des récits beaucoup moins idiosyncrasiques et des acteurs plus bankable. Tom Hanks, Bruce Willis, Cameron Diaz, Adam Sandler et Eddie Murphy ont fait salle comble en 1998. Quant aux films eux-mêmes, l'un était un film de guerre (Il faut sauver le soldat Ryan), l'autre une attaque de météorites (Armageddon), le reste étant des comédies bon enfant.

La culture cinématographique nord-américaine était déjà réticente à l'idée d'expérimenter en 1998, soit la même année qui a vu naître les Furbies. Certes, les années 1980 et 1990 ont été marquées par des succès indés (tous les Quentin Tarantino, Starship Troopers, Sexe, Mensonges et Video, Trainspotting, etc.) mais 1998 se limitait surtout à Dark City, Cours, Lola, cours, et Las Vegas Parano. La manipulation de genre dans des films comme Dans la peau de John Malkovich, Fight Club, Le Projet Blair Witch en 1999 était constante, comme si une révolte massive d'investisseurs cherchait à nous donner de la texture en tant que peuple dans sa dernière course.

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Je veux dire, réfléchis-y : les Wachowski ont pensé Matrix comme un film traitant de la survie de l’humanité sur la technologie. Le found-footage de Daniel Myrick et Eduardo Sánchez, Le Projet Blair Witch, parlait de notre difficulté à déchiffrer le mythe de la fiction (il a trompé beaucoup de monde). Fight Club de David Fincher abordait le désir de liberté. Dans la peau de John Malkovich de Spike Jonze, avec John Malkovich – que je n’ai pas compris à l’époque – parlait de notre besoin de mener une vie virtuelle et d’être quelqu'un d’autre ; l’équivalent de 1999 de la pop star. Peu de protagonistes gagnaient – au lieu de cela, ils échouaient, mouraient et apprenaient.

Tous ces films étaient réfléchis dans le sens où il s'agissait d'expériences pures. À une époque où Internet fonctionnait par ligne commutée, les réseaux sociaux ne définissaient pas toujours les attentes. Vous deviez recontextualiser tout ce que vous saviez sur les films. Personne ne risquait de spoiler la fin du Sixième Sens dans un tweet. Matrix, Les Rois du désert et Boys Don't Cry n’étaient pas analysés dans d’innombrables podcasts et articles. Il fallait penser, réfléchir et absorber. Je passais des jours, des semaines et des mois à réfléchir à des dialogues et des idées qui sont devenus une forme de mémoire musculaire pour la vie.

C'est à ce moment-là que j'ai senti que tout irait bien, mais probablement pas si bien que ça. Les années suivantes ont apporté le bon et le mauvais de l’Internet, et j'aime à penser que 1999 a été le moment qui m'a permis d'embrasser ce qui était inévitablement à venir.

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