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chronique

Voici pourquoi j’ai lancé mon livre d’Éric Duhaime sur le mur de multiples fois

Comme il le disait lui-même à la radio, « mieux vaut de la mauvaise information que pas d’information pantoute. » Ou pas.
Crédit | La Presse Canadienne / Francis Vachon

Éric Duhaime est un polémiste. Il gagne sa vie en choquant librement à travers un micro. Je ne suis donc pas surprise de retrouver ce même ton belliqueux dans La fin de l'homosexualité et le dernier gay.

Je suis cependant quasi étonnée de constater qu'on ose aller aussi loin dans la distorsion de la réalité. En 140 pages, qui paraissent si longues malgré tous les raccourcis intellectuels empruntés, Éric Duhaime s'invente un Québec parfaitement tolérant envers les homosexuels, et égalitaire pour les femmes et les hommes - et même où l'homme serait le réel discriminé. Un constat qu'il a lui-même échafaudé, dont il se sert pour mieux discréditer les militants gais et féministes, qui selon lui se victimisent sans raison.

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Et pourquoi pas, au passage, en profiter pour écorcher les revendications des trans et rappeler que la seule menace pour les gais du Québec est l'islam radical?

Si son essai avait traité d'homosexualité, et seulement d'homosexualité, on en aurait peut-être entendu parler dans les tabloïds, sans plus. Son livre serait probablement mort au feuilleton - se déclarer gai en 2017 n'a effectivement rien d'avant-gardiste ou de surprenant.

Mais non. Éric Duhaime ne pouvait se contenter de dire qu'il vit bien sa vie, et de souligner que la société est beaucoup plus tolérante qu'autrefois et qu'ailleurs, quand il avait la possibilité de transformer son coming out en un chef d'oeuvre de provocation.

On va se le dire, ça fait parler, ce qui vend bien plus de livres.

J'aimerais répondre à cet essai, point par point, par un second essai. Je devrai me restreindre aux passages qui m'ont fait lancer mon exemplaire à travers la pièce.

Le monde selon Duhaime

Je pense qu'on peut s'entendre sur un point : c'est merveilleux, être gai et que tout aille bien pour toi. Éric a, en ce sens, atteint l'idéal des luttes des homosexuels.

Mais de grâce, ne viens pas dire qu'on ne devrait plus militer pour les droits des gais au Québec parce que toi, tu n'as pas vécu de discrimination. C'est d'un égoïsme crasse.

Suivant cette logique, comme Éric ne s'est pas fait discriminer, il n'y a aucun problème de discrimination envers les homosexuels dans la Belle Province, sinon de la part de quelques hurluberlus intolérants sitôt rabroués par la société.

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Pas de réel problème d'homophobie dans les écoles secondaires, où il y a pourtant des homosexuels qui se font intimider. « L'intimidation dans nos cours d'école n'a pourtant pas un lien direct avec notre orientation sexuelle », écrit-il.

On remercie Éric d'avoir sondé tous les intimidateurs et les gais du secondaire pour confirmer cette observation sans faille.

Éric soutient son affirmation en racontant qu'on riait de lui à l'école, mais pas parce qu'il était homosexuel; on le traitait de « Roquet » à cause de ses grandes oreilles.

Plus d'un élève sur trois se dit victime d'intimidation au secondaire, rapporte l'institut de recherche en santé du Canada. Il y a « trois fois plus de discrimination chez les élèves

qui s'identifient comme lesbiennes, gais, bisexuels, allosexuels ou en questionnement (LGBTQ) », selon la fondation Jasmin Roy.

Ma parole! Les ados homos doivent être nombreux à avoir de grandes oreilles.

Je vais enfin pouvoir expliquer à mon ami que, la fois où un camarade de classe a créé un groupe Facebook intitulé Jean-Paul* is a fucking gay and I hate him, c'était probablement parce qu'il n'aimait pas ses lobes ou son conduit auditif. Une belle avancée pour la lutte contre l'homophobie!

Face aux embûches auxquelles pourraient faire face certains homosexuels, Éric se fait encourageant. « Cette adversité que vous rencontrerez possiblement au cours de votre vie pourrait même vous être bénéfique. Comme le chante Kelly Clarkson, What doesn't kill you makes you stronger! »

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Prouver son point par des paroles de chansons populaires, c'est toujours une façon irréfutable d'argumenter. En voici quelques exemples, je vous invite à les employer dans n'importe quel débat :

-Pas besoin de frapper pour entrer chez nous
-L'hiver s'achève, c'est dur à croire mais on a passé à travers
-C'est dur dur d'être un bébé
-You only get one shot, do not miss your chance to blow. This opportunity comes once in a lifetime yo
-Ça coûte pas cher quand on sort en ville
-Ton arrière-arrière-grand-père, il a défriché la terre

C'est peut-être un peu vide comme argumentation, mais personne ne peut contredire les rois de la pop. LET'S GO GANG, ON PART LES RADIOS.

Le lobby gai

Éric Duhaime est libertarien jusqu'au bout des ongles, ainsi il ne faut pas se surprendre qu'il se vexe que l'argent de ses précieuses taxes soit versé au « lobby gay », nom qui ici désigne les groupes et organismes de défense des droits des gais au Québec.

Combien d'argent a-t-on versé aux gais depuis 2002, d'après ses recherches? Attention, parce ces chiffres l'ont « jeté par terre ».

Roulement de tambour… 5,4 millions! …En 15 ans. La moitié du montant provient de la Ville de Montréal, le reste du fédéral et du provincial. C'est même pas proche de représenter un millième de pourcent du PIB du Québec par année!

Quand on sait - et Gai Écoute le rappelle - que les jeunes de la communauté LGBT rapportent plus d'idées suicidaires et de tentatives de suicide que les cisgenre et les hétéros, et qu'« un travailleur LGBT sur trois n'a jamais révélé son orientation sexuelle à ses collègues, de peur de réactions hostiles, de répercussions professionnelles négatives ou autres », je vois mal comment penser qu'un investissement de 360 000 $ par an dans ces organismes de soutien puisse être de trop.

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La discrimination sexuelle est d'ailleurs toujours bien présente sur le marché du travail, quoique de manière plus insidieuse, ont révélé les études de deux étudiantes à la maîtrise de l'UQAM, fin 2015.

Éric Duhaime a beau attribuer l'homophobie aux tranches plus âgées de la population, il y a encore des efforts de sensibilisation à fournir auprès des jeunes. Une enquête récente du sociologue Michel Dorais révélait que la moitié « des ados issus de la " diversité sexuelle " est toujours victime d'intimidation. 55 % ont déjà songé au suicide, et 22 % passent carrément à l'acte ». Ça ne date que de 2014.

Ce n'est pas uniquement une question de générations, c'est aussi une question d'éducation. Du travail, il en reste à faire, qu'Éric le veuille ou non.

Le deuxième sexe deviendra premier

« Certaines pages de cet essai - sur le féminisme, sur la question de l'avortement - me font dresser les cheveux sur la tête », prévient Marie-France Bazzo dans la préface.

Quel euphémisme.

Éric Duhaime a jugé que son essai méritait un chapitre dédié au féminisme, car « le précurseur du lobby gay en matière de défense des droits est sans contredit le féminisme ».

Ainsi, sous un prétexte à la logique discutable, Éric profite de son livre sur l'homosexualité pour déformer les discours féministes et l'essence même de ce mouvement, qui vise, je le rappelle, à atteindre l'égalité homme-femme. Et ce, même s'il considère que les « féministes se discréditent désormais en menant bataille contre les hommes. »

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Il nous présente une criante injustice, où les femmes continuent de militer pour leur droits alors qu'elles ont déjà tout. Plus de bourses d'études, de meilleures notes, elles ont même dépassé les hommes sur les taux de diplomation. Éric présente en outre son analyse des données salariales pour nous assurer que, dans un futur proche, les femmes sont en voie de devenir supérieures à l'homme.

On sonne l'alarme, mais on fait fi du fait que les Québécoises sont payées en moyenne 25 % de moins que leurs homologues masculins, pour l'instant.

On indique plutôt que les femmes de moins de 30 ans ont atteint 92 % des salaires des hommes. « Or si l'on tient compte des pertes de revenu attribuables à la maternité, le revenu moyen de la jeune femme québécoise surpasse de peu celui de l'homme ».

Je suis estomaquée devant une telle argumentation. D'une part, en quoi est-ce que cette différence de 8 % est assurément attribuable à la maternité? Je serais curieuse de savoir d'où provient cette information, présentée ici comme une certitude. D'ailleurs, la fécondité est la plus élevée chez les femmes de 30 à 34 ans, et l'âge moyen de la maternité est de 30,4 ans, selon les données de l'Institut de la statistique du Québec. Je ne vois donc pas en quoi on peut assurer que l'écart de salaire des jeunes femmes est dû à la maternité.

D'autre part, j'aimerais savoir quelles données ont été employées pour faire ce calcul, car en consultant les données du portrait de l'égalité homme-femme produit en 2016 par le Conseil du statut de la femme, j'arrive plutôt à un écart salarial de 17 % chez les moins de 30 ans. Selon ces données, les femmes atteignent plutôt 82,6 % du salaire de hommes.

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J'ai beau réfléchir, j'y vois mal où la bourse de la femme surpasse celle l'homme.

«Cela dit, si l'on réfléchit aux conséquences sociales de cette évolution, il est permis de se projeter dans une société qui sera marquée à nouveau par l'inégalité des sexes, mais cette fois au désavantage des hommes. […] Sommes-nous en train de reproduire un nouveau modèle inégalitaire? »

Je sais pas, hein? Est-ce qu'on pourrait commencer par atteindre l'égalité avant de se lamenter sur le sort injuste des hommes, s'il vous plaît?

Et par pitié, peut-on arrêter d'associer la dénonciation de la culture du viol à la prétention que tous les hommes sont des violeurs, et d'arrêter une fois pour toutes d'essayer de relancer le débat sur l'avortement?

Comme le dit si bien René Simard, il serait temps qu'on « tourne la page ».

En terminant, voici quelques citations en vrac:

Sur le conseil des ministres égalitaire de Justin Trudeau:

« Qu'il ait choisi ses ministres en fonction de leur sexe plutôt qu'en fonction uniquement de leurs compétences me pose déjà un problème, mais là n'est pas mon propos. » (p.62)

Sur les avantages d'être gai:

« J'ai pas d'enfants, à droite et à gauche, pas de pensions à donner, pas de négociations ou de procès interminables lorsque je romps avec l'être aimé, pas d'obligation à entretenir une relation avec mes ex après la rupture. » (p.14)

« Je n'ai pas non plus à faire attention lorsque je drague, à ne pas franchir la "limite", à m'assurer qu'il y a explicitement consentement de la part de l'objet de mes pulsions. » (p.14)

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Sur ce qu'Éric désigne comme « une supposée "pandémie" d'agressions sexuelles au Québec »:

« Entretenue par un discours démagogique et alarmiste, l'impression générale que les femmes sont menacées par des hommes agresseurs occultait la vérité : selon les statistiques du ministère de la Sécurité publique, les agressions sexuelles sont en baisse depuis plus de 20 ans au Québec. La cause est entendue. » (p. 57)

Radio-Canada rapporte qu'entre 1998 et 2015, les agressions sexuelles au Québec ont connu une hausse de 23 %, et que 3981 agressions ont été commises en 2015. Ce n'est donc pas en baisse depuis plus de 20 ans.

Les données les plus récentes du gouvernement du Québec indiquent que 84 % des victimes d'infractions sexuelles sont des femmes et qu'on estime qu'en moyenne seulement 5 % des agressions sont dénoncées.

Sur le lobby gai qui dit défendre les intérêts des gais:

« On ne m'a pourtant jamais demandé ce que je pense du mariage gay, des toilettes pour trans ou de l'adoption chez les conjoints de même sexe. » (p. 66)

Sur la discrimination des trans qui veulent utiliser une toilette qui correspond à leur identité de genre:

« Le restaurateur ne veut pas vous accommoder? Traversez la rue et allez chez son concurrent plus ouvert d'esprit. » (p. 80)

Segment éducatif:

« Quant au mot "gay" on peut aussi l'écrire "gai" en français. Ce mot qui vient de l'ancien français signifie au départ "joyeux". » (p.139)

Segment « mais personne t'as obligé »:

« J'espère sincèrement être le dernier gars obligé d'écrire que je suis gay. » (p.139)

*Nom fictif