Une histoire accélérée du racisme dans les jeux vidéo

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Gaming

Une histoire accélérée du racisme dans les jeux vidéo

Massacre de juifs, racisme institutionnel et gamers bornés – l'univers vidéoludique connaît lui aussi ses scandales réguliers.
Paul Douard
Paris, FR

Les jeux vidéo, au même titre que n'importe quelle œuvre culturelle, reflètent très souvent les aspérités et les non-dits de notre société en abordant des sujets délicats – comme le transhumanisme avec Deus Ex, la prolifération des armes nucléaires avec Fallout ou encore le recours à des sociétés militaires privées pour Metal Gear Solid. Malgré cela, une thématique semble être volontairement occultée par les studios : celle du racisme. Quand elle ne la laisse pas de côté, elle la traite souvent mal, caricature les faits.

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En effet, l'industrie vidéoludique semble tout faire pour ne pas avoir à aborder le problème des minorités – pas uniquement les Noirs, les Latinos ou les Asiatiques – dans ses créations. C'est ce que me confirme Loup Lassinat-Foubert, journaliste pour le site Gamekult : « Le fait est que les jeux mettant en avant une héroïne – à quelques exceptions près, comme Lara Croft pour Tomb Raider – se vendent moins bien que les autres, et sont rares. Mirror's Edge, malgré ses bonnes critiques, n'a pas rencontré le succès escompté. Alors les jeux qui mettent en avant un personnage noir… Je n'arrive même pas à t'en citer un de mémoire. ».

En fait, il y en a un qui vient tout juste de sortir. Il s'agit bien entendu de Mafia III – développé par le studio Hangar 13 et édité par 2K Czech – qui lève le voile sur ce que ça faisait d'être noir dans la Louisiane des années 1960. Sans surprise, ce n'était pas top : tabassage gratuit par les flics et insultes racistes dans la rue parsèment la vie de Lincoln, un vétéran du Vietnam. Mais Mafia III reste l'une des exceptions au sein d'une industrie qui privilégie encore et toujours les héros blancs.

Selon une étude récente, le marché mondial des jeux vidéo représente cette année 91,8 milliards de dollars. Il devrait atteindre la barre des 120 milliards de dollars d'ici 2019. Un marché toujours plus florissant, en partie grâce à la consommation toujours plus grande de jeux au sein des pays dits émergents. En s'extirpant du cadre du joueur traditionnel – disons, un Blanc pas trop pauvre, américain ou européen – le jeu vidéo fait face à de nouvelles problématiques. Afin de célébrer ce nouvel âge, qui verra les polémistes du monde entier s'en donner à cœur joie dès qu'un jeu mettra en avant trop de Noirs, pas assez de Noirs, des Asiatiques avec un accent prononcé, des Asiatiques sans accent prononcé, des musulmans fondamentalistes, des juifs ultraorthodoxes, et j'en passe, j'ai décidé de me pencher sur toutes les fois où le jeu vidéo a décidé de n'en avoir rien à foutre et de mettre en scène des situations 100 % racistes – des jeux, qui, généralement, étaient objectivement à chier.

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Extrait du jeu Ethnic Cleansing

Dans un dossier assez complet et déconneur, le site Jeuxvidéo.com établissait une longue liste de jeux ayant fait polémique. Parmi eux, quelques-uns se détachent. En 1990, KZ Manager sort sur le Commodore 64. Ce jeu, auquel personne ne jouera jamais, vous place dans la peau d'un kapo pendant la Seconde Guerre mondiale. Au programme : élimination de juifs et de Tsiganes, entre autres. Sinon, on pourrait parler d'Ethnic Cleansing, qui vous propose de massacrer des Noirs, des juifs et des Latinos, ou encore du bien nommé Muslim Massacre : The Game of Modern Religous Genocide, qui n'est pas le dernier film de Clint Eastwood mais bien un jeu vous offrant la possibilité de buter des musulmans à la chaîne.

Si ces exemples prêtent à sourire tant ils sont des épiphénomènes, un cas plus récent en dit bien plus sur les nouvelles tensions qui peuvent parcourir l'univers vidéoludique. Lors de la diffusion d'un trailer en amont de sa sortie, Resident Evil 5 a été taxé de racisme par certains, lui reprochant de représenter un Blanc débarquant en Afrique pour tuer des Noirs s'étant transformés en zombies. L'avenir du jeu vidéo est déjà tout tracé, à l'image de ce que vit le cinéma ou la littérature depuis une bonne vingtaine d'années : un respect du « politiquement correct » qui confine à l'absurde. La preuve ? Capcom, l'éditeur de Resident Evil, n'a pas manqué de faire figurer des zombies blancs dans le trailer qui a suivi.

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Au-delà de cette évolution qui forcera sans doute les studios à être encore plus attentifs, il n'en demeure pas moins que le jeu vidéo demeure un territoire très blanc. Dans le cadre d'une étude, l'université de Californie du Sud a comparé 8 500 personnages tirés de plus de 150 jeux vidéo. L'étude insistait sur le fait que les hommes issus des minorités ethniques étaient généralement dépeints comme « agressifs, dangereux et athlétiques », et qu'ils étaient bien moins nombreux à figurer dans les jeux que les hommes blancs d'âge adulte.

Alors, certes, de nombreux personnages blancs sont tout aussi violents dans certains jeux, mais d'une manière différente. Alors que les personnages blancs « violents » utilisent très souvent les nouvelles technologies et des stratégies complexes pour mener à bien leurs plans, les personnages noirs sont souvent cantonnés à une bonne vieille baston de rue peu subtile.

Le jeu Deus Ex : Human Revolution n'a pas manqué de sombrer dans cet abîme de la pensée binaire en représentant l'un de ses personnages – une informatrice noire – avec des tics de langage hyper prononcés, dignes de l'une des vidéos les plus célèbres de l'histoire de l'internet. Après, le débat est toujours le même. S'agit-il de racisme ordinaire ou d'une description naturaliste d'une réalité sociale qui peut déranger, mais qui existe ? On peut tout de même avancer que dans un jeu censé se dérouler en 2027, à l'univers cyberpunk revendiqué, on aurait pu s'attendre à croiser autre chose qu'une femme noire dont l'accent fera forcément rire pas mal de monde.

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Image tirée de Resident Evil 5

Cantonner des personnages noirs à un rôle secondaire n'est pas une nouveauté, loin s'en faut. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont abouti à la fermeture de Lionhead, à l'origine des jeux Fable et Black & White. Le studio anglais – propriété de Microsoft depuis 2006 – a fermé ses portes en avril dernier. La raison ? Une équipe marketing un poil trop raciste et des salariés ne voulant plus s'adresser la parole. Un article signé John McCormack – le directeur artistique du studio – dans Eurogamer met en avant les divergences qui existaient entre des commerciaux voulant se rapprocher le plus possible du consommateur américain blanc et des développeurs soucieux d'offrir une expérience unique aux joueurs.

McCormack raconte notamment comment le marketing a jugé impensable de faire figurer une femme ou un homme noir sur la jaquette d'un jeu – volonté initiale des développeurs. Le pôle marketing de Microsoft lui aurait demandé : « Quel est le Disney qui a le moins marché ? » Et les mecs de répondre, sûrs de leur fait : « La Princesse et la Grenouille. Réfléchissez-y. »

Néanmoins, Loup Lassinat-Foubert nuance : « Les services marketing ne sont pas toujours responsables. Après, il est évident qu'ils ne font rien pour bouger les lignes. L'objectif pour tout le monde est que le jeu se vende. » Et quoi de mieux pour vendre, selon eux, que de faire figurer un mâle hétérosexuel blanc âgé d'une trentaine d'années sur la jaquette.

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L'archétype de l'homme blanc, selon bon nombre de jeux vidéo. Image tiré d'Uncharted 4.

Il semble néanmoins que les choses bougent peu à peu. En France, certains studios semblent comprendre l'enjeu, comme Ubisoft qui a donné naissance à Aveline de Grandpré, le personnage principal du jeu Assassin's Creed III : Liberation. Après, on pourrait chipoter et dire qu'une fille d'esclave est rarement blanche dans le Nouvelle-Orléans de l'époque et que ce Assassin's Creed disponible au départ sur PlayStation Vita, tandis que le « vrai » Assassin's Creed III, sorti au même moment, laisse la part belle à un héros autochtone.

Quoi qu'il en soit, et pour reprendre la logique de la plupart des commerciaux présents dans l'industrie, il faut admettre que de nombreux gamers ne sont pas encore prêts à incarner régulièrement des personnages féminins, noirs, asiatiques, musulmans – en gros, tout ce qui s'écarte de l'image que se fait un Européen ou un Américain d'un aventurier / soldat / explorateur / bandit. Loup Lassinat-Foubert confirme : « Selon moi, aux États-Unis – et dans une moindre mesure en Europe – une frange de la population considère que l'inégalité entre les races est une réalité : il suffit de voir les supporteurs de Trump pour s'en convaincre. »

Pour que les jeux changent et se débarrassent de leur tropisme blanc et masculin, il faudrait donc déjà que la société évolue – ce qui est, comme chacun sait, mission quasi-impossible. Après, on dit souvent que l'art est en première ligne quand il s'agit de faire bouger la société. Alors pourquoi ne pas espérer que le jeu vidéo ne tombe ni dans l'abîme du politiquement correct débile, ni dans celui du racisme dissimulé, et joue son rôle dans un tel changement ?

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