Que se passerait-il si les États-Unis envahissaient le Canada?

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Que se passerait-il si les États-Unis envahissaient le Canada?

Au début de l’invasion, le premier indice que quelque chose se passe, ce ne seraient pas les tremblements et le bruit causés par des explosions, mais de petites contrariétés.

Nous vivons une époque intéressante. Certains la trouvent angoissante ou effrayante, et d'autres excitante ou porteuse d'espoir. Mais vraiment, quelle que soit votre position, vous ne pouvez pas nier qu'elle est intéressante.

Beaucoup n'avaient jamais imaginé que le Royaume-Uni quitterait l'Union européenne et qu'une vedette de téléréalité deviendrait président de la première puissance mondiale. On ne peut être sûr de rien. Pas même de l'infaillibilité de l'alliance économique, culturelle et militaire entre le Canada et les États-Unis.

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Pourtant, cette relation amicale que nous tenons pour acquise ne l'a pas toujours été. À plusieurs reprises, les États-Unis ont envahi le Canada – oui, c'est vrai, le Canada n'était alors qu'une colonie britannique. N'empêche, dans les années 1920 et 1930, les États-Unis ont préparé un plan d'invasion du Canada, qu'ils ont presque sans aucun doute toujours, caché dans un coin poussiéreux du Pentagone.

Aujourd'hui, le nouveau commandant en chef des États-Unis est un peu, disons, imprévisible, et c'est agaçant. Difficile de ne pas imaginer des scénarios catastrophes. Jamais dans l'histoire récente il n'a été plus pertinent de réfléchir à ce qui se passerait si, par exemple, les États-Unis décidaient qu'il est bon pour eux d'annexer le Canada.

Pour le savoir, j'ai fait appel au colonel à la retraite des Forces armées canadiennes Howard Coombs, récipiendaire de l'ordre du Mérite militaire et le Médaillon des Forces canadiennes pour service distingué. Il a obtenu un doctorat en histoire militaire à l'Université Queen's de Kingston, en Ontario, et est aujourd'hui professeur adjoint au Collège militaire royal du Canada, en plus d'être l'un des experts associés au Canadian Global Affairs Institute.

D'abord, selon Howard Coombs, il faut froidement analyser les différences factuelles entre la puissance militaire des États-Unis et celle du Canada.

Les forces armées canadiennes sont cruellement petites et mal équipées en comparaison avec les américaines. Le Canada compte 60 000 soldats, les États-Unis 1 400 000 (sans compter les réserves : 20 000 au Canada, 60 000 aux États-Unis). Le Canada possède 120 tanks, les États-Unis 8850. Le Canada possède moins de 100 avions militaires, les États-Unis 13 000 (ne parlons pas des CF-18). Le budget annuel du Canada est d'environ 18 milliards, les États-Unis 700 milliards. Une différence considérable.

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Ai-je besoin de continuer? Bien sûr que si.

La marine canadienne possède 30 navires (dont la moitié en réparation), les États-Unis 430, en opération ou en réserve. Pour ce qui est de l'arme la plus destructrice, la bombe nucléaire, c'est pire. Le Canada en est dépourvu depuis les années 80, les États-Unis comptent 6970 ogives nucléaires. Assez pour anéantir toute forme de vie sur Terre.

L'autre facteur qui joue contre le Canada, c'est que les États-Unis sont un très proche partenaire. S'ils se déployaient près de la frontière et expliquaient qu'il s'agit d'exercices militaires, le Canada devrait l'accepter comme une vérité. Nous serions ensuite pris de court, sans plan d'urgence suffisamment maîtrisé et répété.

Pour tout dire, le seul véritable avantage militaire du Canada depuis un siècle, ce sont ses bonnes relations et sa proximité avec les États-Unis.

Si l'on voulait se préparer à toute éventualité, on devrait consacrer un certain temps aux détails d'une attaque américaine, selon Howard Coombs. Cette attaque aurait été calculée des mois à l'avance, sinon des années. L'attaque serait rapide et précise.

« La stratégie serait de paralyser tout le pays, affirme-t-il. Il n'est pas question de tuer des civils, mais de mettre le pays et sa force militaire à genoux. »

Au début de l'invasion, le premier indice que quelque chose se passe, ce ne seraient pas les tremblements et le bruit causés par des explosions, mais de petites contrariétés. Partout au pays, on se demanderait pourquoi on n'arrive pas à se connecter à Facebook ou à passer un coup de fil. C'est qu'il y aurait d'abord une attaque sophistiquée des télécommunications. Contre laquelle, d'après Howard Coombs, le Canada n'est pas en mesure de se défendre.

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Ensuite seulement, les troupes américaines, surtout des forces opérationnelles hautement entraînées, franchiraient simultanément la frontière.

« Comme les militaires sont hautement préparées, ils pourraient se mettre en marche et traverser la frontière en une fraction de seconde. Ils prendraient le contrôle des agglomérations principales, des infrastructures de transports importantes et des installations de communications, tous les systèmes qui permettent à un pays de fonctionner. »

Howard Coombs estime que le mouvement des troupes correspondrait en grande partie au War Plan Red, un plan d'invasion du Canada en cas de guerre contre le Royaume-Uni, préparé dans les années 20 et 30.

« Ce plan des États-Unis est toujours valable aujourd'hui. Contrôler les agglomérations et les infrastructures de transport, paralyser le pays… la plupart de ces secteurs n'ont pas changé. Ils feraient une mise à jour, ça va de soi, mais ce ne serait pas si différent. »

À partir de ce plan, on peut imaginer la suite. Dans les Maritimes, les troupes entreraient à Halifax et au Nouveau-Brunswick. Elles arriveraient par la mer dans la baie St. Margaret's (une baie au sud de la province près de Halifax) plutôt que par les routes. Dans le plan original, on prévoyait commencer avec une attaque chimique à Halifax (les Américains ne niaisent pas) pour mettre K.O. la province et la marine canadienne. Mais, de nos jours, il est très peu probable qu'on s'y prenne de cette façon. Les États-Unis tenteraient d'éviter autant que possible de faire des victimes et de causer des effusions de sang, pour éviter de s'aliéner la population.

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Les troupes d'Albany, dans l'État de New York, et du Vermont débarqueraient au Québec pour occuper Montréal et Québec. Si la prise de contrôle des Maritimes et du Québec se passait bien, le Canada serait ainsi coupé de l'Atlantique et les points d'entrée d'un pays allié appelé en renfort seraient inaccessibles.

En Colombie-Britannique, les troupes de l'État de Washington (peut-être Port Angeles) se dirigeraient vers les bases navales de Victoria et à Vancouver. Cette occupation priverait le Canada de son accès au Pacifique. Près du centre du pays, les troupes basées à Grand Forks, au Dakota du Nord, se rendraient au Manitoba pour prendre le contrôle de Winnipeg et mettre la main sur les infrastructures de transport ferroviaire.

Enfin, les troupes de Buffalo, de Detroit et de Sault Ste. Marie (aux États-Unis) sauteraient la rivière Niagara pour occuper Windsor, Sudbury et Sault Ste. Marie (au Canada) dans le but de prendre le contrôle de la région des Grands Lacs. En occupant le sud du pays, les troupes compromettraient les infrastructures de communications et arrêteraient des dirigeants stratégiques (surtout à la Défense), comme le chef d'État-Major de la Défense.

À Toronto, il ne se passerait sans doute pas grand-chose, et les Torontois ne se rendraient probablement compte de rien jusqu'au jour où ils recevront leur nouveau permis de conduire américain. Et ils ne seraient contrariés que parce qu'ils ont été laissés de côté.

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Heureusement, dans les mêmes années que le War Plan Red, il existait aussi un plan de défense canadien préparé pour contrer une invasion américaine. Le Defence Scheme No. 1 (le Canada manque apparemment de créativité pour nommer ses plans) comprendrait une frappe préventive contre les États-Unis. À l'époque, plusieurs ont dit que c'était du « suicide », un sentiment qui ne peut qu'avoir pris de l'ampleur au même rythme que la disparité de puissance entre les deux forces armées.

« Une frappe préventive de cette nature ne donnerait rien, pense Howard Coombs. Il n'en serait pas du tout question. Ce ne serait qu'un dos-d'âne sur leur chemin. »

Œuvre représentant le résultat d'une attaque préventive du Canada contre les États-Unis. Photo : Lisa Bell

Est-ce qu'il pourrait y avoir une attaque nucléaire contre une grande ville canadienne? Il n'y a pas vraiment lieu de s'en inquiéter. Si les États-Unis devaient avoir recours à l'arme nucléaire, ce serait pour détruire des installations militaires stratégiques, comme la base des Forces canadienne (BFC) Cold Lake. Mais les probabilités d'une attaque nucléaire sont extrêmement faibles. Comme il a été dit précédemment, les États-Unis éviteraient de s'aliéner la population.

Une autre grande partie du plan américain serait de couper les communications entre les bases militaires.

« S'ils isolaient les parties principales de l'armée, le quartier général de la défense nationale, l'État-major de la défense et ainsi de suite, personne ne recevrait de directives. Les militaires hésiteraient à passer à l'action sans la moindre information. Il faudrait des jours pour comprendre ce qui se passe. Si c'est bien planifié, ce peut être fait en 24 heures. Ils pourraient frapper simultanément d'est en ouest. »

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Cette hypothèse se divise ensuite en deux options. Si les hauts gradés des différentes bases comprenaient ce qui se passe, ils devraient prendre une décision sur-le-champ : soit ne pas bouger et on serait presque sans aucun doute conquis, soit agir de façon décentralisée et se battre.

« La meilleure idée, d'après mon expérience, serait de se laisser décentraliser, pour créer une force divisée, comme dans une guérilla ou une insurrection, avec des caches d'armement décentralisées et ainsi de suite. Une résistance libre. À la fin, si vous êtes l'insurgé, il ne suffit que de ne pas perdre. Il faut tenir jusqu'à ce que l'adversaire abandonne. C'est la seule chance pour le Canada de résister et d'en sortir victorieux. »

Comme dans Red Dawn.

Pour la décentralisation, les militaires canadiens devraient se rendre dans une agglomération et se fondre dans la population. Ce serait difficile, car plusieurs bases en sont éloignées. Les soldats des bases d'Edmonton et de Valcartier pourraient se disperser et se déguiser dans les villes voisines, mais la majorité devrait parcourir de grandes distances. L'aviation américaine n'aurait aucun mal à les repérer.

Beaucoup de soldats canadiens devraient prendre le risque d'emprunter une « autoroute de la mort » pour rejoindre une agglomération. La base de Petawawa, qui compte 4655 militaires, se situe à deux heures d'Ottawa, de laquelle elle est reliée par une autoroute. On peut penser que ce n'est pas une si grande distance, jusqu'à ce qu'on songe à la vitesse de croisière des drones et des avions militaires américains.

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« L'autoroute de la mort » au Koweït, où des avions américains et canadiens ainsi que des véhicules au sol ont bombardé des militaires irakiens en retraite. Photo du domaine public

Si les soldats canadiens arrivaient à atteindre de grandes villes assez rapidement et à se fondre dans la population, l'insurrection canadienne pourrait mener de petits combats avec l'ennemi. L'objectif étant de placer les Américains dans des situations où ils risqueraient de faire des victimes au sein de la population et ainsi de s'aliéner les Canadiens. Howard Coombs affirme que ces combats ressembleraient à ceux qu'il a connus en Irak en 2003 et 2004.

Sauf s'il y a insurrection, le lendemain d'une invasion américaine, le Canada serait conquis, la reddition serait imminente, et les États-Unis tenteraient d'intégrer sans attendre les restes de l'armée canadienne. Après, les provinces deviendraient des États américains. Préparez-vous à voir des courses Nascar, à mesurer en pouces et en pieds, et à ce que notre identité soit engloutie dans les États-Unis d'Amérique.

S'ils se contentaient d'annexer le Canada, sans tueries de masse ou autres cauchemars, tout en montrant sans équivoque qu'ils ne projettent pas d'envahir d'autres territoires, il n'y aurait sans doute aucune action humanitaire. Bien sûr, la Russie serait davantage préoccupée par l'Arctique, et le Royaume-Uni contrarié d'avoir perdu un membre du Commonwealth, mais, probablement, le monde ne pourrait que dire, à voix basse, que ce n'est pas bien et peut-être imposer des sanctions. Personne ne se lèverait pour s'interposer.

« Les États-Unis sont notre plus proche partenaire commercial et notre plus proche allié militaire, mais s'ils devenaient notre agresseur, le reste du monde ne volerait pas à notre secours », assure Howard Coombs.

Même s'il le voulait, l'idée de livrer une guerre à la première puissance mondiale de l'autre côté de l'océan pour aider ce bon vieux Canada, ne semble pas exactement, d'un point de vue stratégique, bonne.

« Soyons francs, c'est impossible, conclut-il. Comment pourrait-on réunir une assez grande force pour tenir tête aux États-Unis? »

Espérons que l'idée ne leur vienne pas.

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