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Drogue

Ce que les dealers pensent de la légalisation

Maintenant que le weed est légal, des dealers de cannabis confient leurs craintes et leurs attentes par rapport au futur de leur métier.
Des dealers nous parlent de leurs plans post-légalisation

Si les consommateurs de cannabis peuvent simplement se rendre en magasin ou en ligne afin d’acheter ce dont ils ont besoin en toute légalité, pourquoi continueraient-ils d’appeler leur dealer? Que deviendront les revendeurs de cannabis illégal? VICE en a rencontré quelques-uns pour discuter du futur qui les attend.

Le meilleur prix gagnera toujours

D’après Antoine*, la création de la Société québécoise du cannabis (SQDC) ne changera pas grand-chose à ses activités. Le weed se vend en magasin environ 5,25 $ le gramme. Sur le marché noir au Québec, le cannabis est vendu 5,83 $ le gramme en moyenne, le prix le plus bas au pays. « Les vrais stoners vont continuer à venir me voir. Même s’il faut que je baisse mes prix, c’est pas grave, explique-t-il. Mais [à la SQDC] ils ne pourront pas acheter plus que 30 grammes à la fois. Donc, le gars qui fume une once par semaine, il va venir me voir moi, ça lui coûtera moins cher, et il en aura autant qu’il veut. »

De toute façon, comme l’explique Antoine, rares sont les dealers qui vendent exclusivement du cannabis. « Les gars ont tous un autre hustle, tu ne fais pas assez de cash juste avec le weed. Soit ils vendent de la poudre ou des pilules, ou ils ont une autre job, donc ça change rien pour eux. » D’après Robert*, un autre revendeur, le prix en gros a baissé, mais les petites quantités vendues dans la rue se vendent au même prix. « Ça me coûte moins cher qu’avant pour une livre et je vends toujours 3,5 g autour de 25 $, dit-il. C’est donc positif! »

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La loi ne fait pas peur

Par contre, les peines pour la vente illégale sont maintenant beaucoup plus sévères qu’elles ne l’étaient auparavant. Vendre du cannabis provenant d’une source illicite ou à un mineur pourrait entraîner jusqu’à 14 ans de prison. Toutefois, l’aspect juridique ne semble pas inquiéter la plupart des dealers rencontrés. « C’était déjà illégal et je le faisais, je vais continuer à le faire illégalement. Je me suis pas fait pogner avant, je vais être smatte, puis je me ferai pas pogner maintenant », dit Antoine.

« Faudrait que t’en vendes un bateau rempli pour qu’ils te donnent 14 ans. Sacrament, c’est une peine que tu donnes à un pédophile tueur en série, ça! » lance Jesse*, qui ne vend que du weed. « Les juges vont pas virer su’l top avec ça, maintenant que c’est rendu légal. »

De son côté, la Sûreté du Québec (SQ) prévient déjà ceux qui voudraient contrevenir à la loi qu’elle entend traiter cet enjeu de façon sérieuse. Une nouvelle escouade de 50 membres de la SQ sera affectée à la lutte contre le marché noir du cannabis. « C’est criminel, c’est pas un ticket », explique le sergent Daniel Thibodeau, de la SQ. « Ça ne change pas. D’en produire, d’en vendre, d’en trafiquer ou d’acheter illégalement, de dire : “Hey, je vais en vendre à mon chummy, je vais me faire un p’tit profit.” Non, c’est illégal! Je veux pas que des gens bien intentionnés se mettent dans le trouble. »

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À cause des peines plus sévères, certains dealers sont prêts à cesser de vendre du cannabis, jugeant que le jeu n’en vaut plus la chandelle. « Les prix (du cannabis) vont remonter, mais les peines aussi, donc c’est peut-être là qu’il va falloir diversifier son portefeuille, dit Steve*. Je vais peut-être fabriquer autre chose, on va voir. Peut-être qu’on va faire des Viagras, des Cialis, des pilules légales. Au moins, c’est moins de peine que le weed, je pense. »

Plusieurs dealers se sont aussi plaints du fait qu’il leur est quasi impossible de se reconvertir dans le marché légal. « On a voulu avoir des permis de légal, mais c’est impossible à avoir, c’est juste les amis (du gouvernement) qui ont ça », ajoute Steve. Les règles de la SQDC rende très difficile l’embauche de gens qui ont un dossier criminel de trafic de cannabis dans l’industrie légale.

La qualité avant tout

Pour d’autres, la certitude qu’ils garderont la fidélité de la plupart de leurs clients vient de l’aspect qualitatif. Selon Mathieu*, on pourrait comparer la différence à celle entre la SAQ et les importateurs privés de vin. « Le but de la SAQ, c’est de vendre de la quantité, pas de la qualité. Quand tu veux un bon vin de qualité, sans produits chimiques, tu commandes d’un importateur privé, explique-t-il. Quand les gens vont vouloir un weed artisanal, ils viendront me voir. Il y a plein de vendeurs mom & pop shop comme moi qui vont continuer. »

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Il est vrai qu’avec seulement six fournisseurs autorisés pour le Québec, la production ne sera probablement pas très artisanale. De plus, plusieurs grands consommateurs de cannabis ont bâti une relation personnelle avec leur revendeur qu’ils ne pourront pas vraiment avoir avec la personne qui les sert à la SQDC. Cela donne donc un avantage aux dealers (les plus compétents, du moins).

Ce qui est certain, c’est que tout le monde s’accorde pour dire que le marché noir du cannabis ne disparaîtra pas de sitôt. La légalisation profitera avant tout au gouvernement et aux fumeurs occasionnels, mais il est probable que les vrais passionnés du weed continueront de faire affaire avec leur dealer habituel, avec qui ils ont une relation de confiance et avec qui ils peuvent négocier les prix. Pour pallier leurs pertes financières, la plupart des vendeurs se recycleront et diversifieront leur offre.

Comme le résume Antoine : « Je pense qu’on va être correct. »

* Les noms des personnes citées ont été changés pour préserver leur anonymat.