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L’Europe introduit illégalement ses e-déchets au Nigeria dans des voitures d’occasion

Une étude financée par l’EPA (Environmental Protection Agency) montre que le vieux problème de l'importation déchets électroniques a pris une nouvelle forme.
Image : UNU

Les appareils électroniques du quotidien vieillissent souvent mal. De ce fait, on ne fait pas pire endroit qu'une décharge pour entreposer les smartphones, téléviseurs et ordinateurs usagés. En effet, les e-déchets regorgent de métaux lourds, de terres rares et d’autres matériaux potentiellement dangereux. La plupart d'entre eux sont difficiles à recycler ; leur élimination est onéreuse et dangereuse. Pendant des décennies, l’Europe et les États-Unis ont esquivé le problème en envoyant leurs e-déchets sur les continents africain et asiatique, parfois illégalement. Depuis peu, ce problème ancien a pris une nouvelle dimension : certains exportateurs européens dissimulent des appareils électroniques usagés dans des voitures d’occasion.

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L'Union européenne a adopté des lois contre l’export et le déchargement des e-déchets en Afrique mais le problème subsiste. Selon une nouvelle étude, le Nigeria est désormais l'un des dépotoirs préférés de l’Europe. Les deux auteurs de l'étude, la United Nations University (UNU) et le Basel Convention Coordinating Center (BCCC) pour l’Afrique, ont découvert que sur 66 000 tonnes de produits électroniques de seconde main envoyés au Nigeria, 16 900 ne fonctionnaient pas.

Envoyer des appareils électroniques hors d’usage depuis l’Europe vers le Nigeria est illégal. Cependant, profitant de lacunes dans l’application des lois, des importateurs rusés ont réussi à duper les contrôleurs en chargeant des produits électroniques dans des voitures d’occasion qu'ils expédiaient ensuite de l’autre côté de l’océan. « À notre grande surprise, les conteneurs ne représentaient pas le circuit d’importation principal. En fait, ce sont les navires rouliers qui transportent des véhicules à moteur, m’explique Otmar Deubzer, un conseiller à l’UNU et co-auteur de l’étude, au téléphone. Environ 70% du matériel arrive par eux. »

Soyons clairs : tous les vieux appareils électroniques ne sont pas mauvais et le Nigeria recherche activement certains d'entre eux. « Il est primordial de faire la distinction entre les produits électroniques de seconde main et les déchets électroniques, note Percy Onianwa, responsable pour BCCC Africa et co-auteur de l’étude, joint par téléphone. L’interdiction porte sur l’import et l’export de e-déchets, c’est-à-dire de matériel hors d’usage. Mais l’import et l’export de produits électroniques usagés est autorisé. »

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Image : UNU

Le Nigeria compte presque 200 millions d’habitants et son marché des appareils électroniques d'occasion est en pleine explosion. « C'est un très bon secteur pour ceux qui souhaitent gagner de l’argent en important du matériel électronique, affirme Onianwa. Malheureusement, la plupart des appareils leur parviennent en panne ou en fin de vie. »

Le problème des e-déchets est complexe. Le Nigeria est à la recherche de matériel obsolète en état de marche, pas de e-déchets.

Onianwa explique que le marché des voitures d’occasion nigérien est solide et que les exportateurs « remplissent les véhicules de matériel électronique pour économiser de la place et de l’argent. Plutôt que d’expédier une voiture vide avec de l’espace inutilisé, vous la remplissez de matériel et vous ne payez pas de conteneur. Certains exportateurs ont remarqué que les instances de règlementation n'avaient pas envisagé cette possibilité. »

« Les fabricants devraient penser à concevoir le matériel pour durer plus longtemps. »

Les e-déchets qui atterrissent au Nigeria ont souvent été « cannibalisé » de leurs pièces les plus intéressantes. Ce qui reste d'eux, impossible à recycler ou à transformer, finit sa vie dans des décharges. Là, ils finissent brûlés. Ce qui pose un problème grave : beaucoup de ces appareils électroniques hors d’usage contiennent des métaux lourds, des matières organiques et des terres rares dangereux pour la santé humaine.

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« On trouve du plomb, du mercure et du cadmium dans ces déchets, détaille Jim Puckett du Basel Action Network, une organisation au but non-lucratif qui milite pour l'élimination écologique des e-déchets, joint par téléphone. Beaucoup des produits d'imports décrits dans l’étude sont dotés de dispositifs de rétroéclairage contenant du mercure. Les premiers écrans LCD utilisaient des lampes au mercure pour le rétroéclairage. Quand vous les démantelez, vous respirez ce mercure. »

La définition de « fonctionnel » est un autre problème. En dépit du fait que beaucoup des appareils importés soient techniquement réutilisables, ils sont souvent périmés ou presque hors d'usage. Les chercheurs de l’UNU ont passé dix mois à inspecter les conteneurs maritimes et 16 mois à éplucher les documents d’importation. Ils ont ouvert 200 conteneurs et essayé d’utiliser les appareils s’y trouvant.

« Environ 20% n’étaient pas en état de marche, explique Deubzer. Le pourcentage réel est sans doute plus élevé mais nous n’avons pas pu approfondir nos tests sur place. Nous avons par exemple pu constater qu’un téléviseur s’allumait, mais impossible de savoir s’il cessait de fonctionner sur une plus longue durée. »

Ce problème prend une dimension différente lorsque vous ouvrez un conteneur maritime rempli de milliers de téléphones portables.

« Les autorités ne peuvent pas tester tous les téléphones » m’explique Rüdiger Kühr, de l’UNU, contacté par téléphone.

Enfreindre les lois contre l’importation et l’exportation de e-déchets expose à des amendes. Onianwa explique que le gouvernement nigérian a appliqué ces lois avec succès, ce qui a permis de condamner des importateurs à payer des amendes et de renvoyer les e-déchets dans leur pays d’origine à leurs frais. En Europe, l’application de ces lois est plus compliquée.

En effet, les sommes en jeu sont considérables et les risques légaux acceptables. « Si les exportateurs qui expédient illégalement des e-déchets prennent le risque d’être attrapés, c’est parce que la sanction est habituellement uniquement financière, indique Kühr. Les effectifs des autorités portuaires sont restreints. Les chances de se faire prendre la main dans le sac sont donc minimes. »

L’Europe et d’autres pays ont renforcé leur arsenal légal pour mettre un terme au problème. Cependant, la plus grande part de responsabilité revient aux fabricants de smartphones, de téléviseurs et d’ordinateurs portables. La plupart des produits électroniques que nous utilisons au quotidien ne sont pas conçus pour être recyclés ou réutilisés facilement. « Les fabricants ne se préoccupent pas du design écologique. Ils ne conçoivent pas des produits sans toxines, à caractère évolutif, ou à longue durée de vie, gronde Puckett. Et ils n’ont aucune raison de le faire. Leurs produits sont conçus pour atterrir dans une décharge, et c’est là qu’ils finissent. »

Onianwa et l’équipe de l’UNU et de BCCC Africa sont malgré tout optimistes. « Les fabricants d’origine du matériel ont beaucoup à faire et sont déterminés à respecter leur engagement » dit-il. Les entreprises comme HP, Philips et Samsung ont commencé à assumer leur part de responsabilité dans le problème des e-déchets. « Ils travaillent actuellement, au Nigeria, sur un projet impliquant que les fabricants d’origine des appareils électroniques prennent en charge le problème des e-déchets. Les fabricants devraient penser à concevoir le matériel pour durer plus longtemps. »