Des photos de prisons
Un prisonnier dans sa celulle à la Maison d'arrêt de Bois-d'Arcy en France / Jan Banning
Photo

Les prisons du monde entier vues de l’intérieur

Le photographe Jan Banning nous emmène visiter des prisons en Ouganda, en France, aux États-Unis et en Colombie.

À cette heure, environ 10 350 000 personnes sont détenues en prison, quelque part dans le monde, d’après le groupe de défense Penal Reform International. Chaque année, cet organisme à but non lucratif étudie l’état de l’incarcération au niveau mondial et publie un rapport. Et celui de l’an dernier pourrait être résumé par cette simple et accablante citation :

« Les conditions de détention se dégradent, le nombre de détenus augmente, alors que le niveau global de criminalité baisse dans la plupart des sociétés. »

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Men’s dormitory in Calhoun County Jail in Morgan

États-Unis, Géorgie, juin 2012. Un dortoir des hommes dans la prison du comté de Calhoun, à Morgan, Géorgie.

C’est une accusation terrible portée aux politiques de répression toujours plus sévères qui sévissent à travers le monde. De nombreux systèmes judiciaires fonctionnent à plein régime, et pour la plupart des votants, c’est très bien ainsi car ils n’en voient pas les conséquences de leurs yeux. La plupart d’entre nous n’ont jamais mis les pieds en prison, et nous n’avons pas la moindre idée des infrastructures déplorables et des cellules individuelles dans lesquelles s’entassent plusieurs individus. Nous ne voyons pas les conséquences directes de nos votes sur les populations les plus pauvres et les moins éduquées de nos sociétés, c’est pourquoi, dans les faits, on s’en tape, et le cercle vicieux se perpétue.

Espérant apporter sa petite contribution à une réévaluation absolument nécessaire d’un système juridique global trop prompt à envoyer les gens en prison, le photographe néerlandais Jan Banning s’est lancé dans une mission qui semble bien difficile : photographier des prisons du monde entier. Les photos de Jan nous emmènent en Ouganda, en France, aux États-Unis et en Colombie, et nous invitent à nous demander si les prisons parviennent vraiment à faire ce pour quoi elles ont été créées, à savoir corriger, réhabiliter et prévenir la récidive.

Au cours d’une rencontre numérique, Jan nous explique comment il a pu accéder à certains endroits, ce qu’il y a trouvé et, au bout du compte, ce qu’il a appris sur les réformes pénales dans le monde entier.

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Ugandan Mutukula Prison Farm

Ouganda, mars 2013. La prison de Mutukula est une prison à faible niveau de sécurité.

VICE : Salut Jan. Pour commencer, pourrais-tu nous dire ce que ces photos essaient de nous transmettre ? Pourquoi ces pays ? Et, par exemple, pourquoi est-ce qu’on compare une prison ougandaise et une prison française ?
Jan : Bonne question. Je me suis d’abord demandé où est-ce que je pourrais prendre de belles photos. Et j’aurais sans doute pu faire un joli bouquin de photos, mais quel intérêt ? Quel serait le sens de faire ça ? En fait, j’ai toujours voulu que mon travail joue un rôle dans le débat public.

Alors avec l’aide de l’Institut Max Planck, j’ai décidé de me concentrer sur certains pays, choisis selon certains indicateurs : d’abord, la division entre le droit civil et le droit coutumier, ensuite, en tenant compte de leur nature géographique, et de l’importance desdits pays au niveau international. Ensuite, j’ai pris deux exemples de chacune des principales versions du droit pénal : un exemple occidental (droit civil en France et droit coutumier aux États-Unis) et un exemple ailleurs (droit civil en Colombie et droit coutumier en Ouganda). J’ai aussi choisi de photographier les États-Unis plutôt que l’Angleterre parce que les États-Unis appliquent encore la peine de mort, ce qui est, bien évidemment, le système le plus radical qui soit.

Dans quelle prison a-t-il été le plus facile de rentrer ?
Ça a été en Ouganda, et de très loin. Je pense que c’est dû aux idées libérales du Directeur de l’administration pénitentiaire, qui est une personne très ouverte et transparente.

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Biology lessons at Kirinya Main Prison in Jinja Uganda

Ouganda, février 2013. Cours de biologie donné par un prisonnier condamné à mort (reconnaissable à ses habits blancs) dans la principale prison de Kirinya, à Jinja.

Et dans les autres, c’était comment ?
Assez cauchemardesque. En France, j’ai mis deux ans avant de pouvoir accéder aux prisons. Aux États-Unis, à peine un peu moins. En Colombie, le premier tour par les établissements de faible ou de moyenne sécurité, ça allait. Mais quand je suis revenu pour visiter les prisons de haute sécurité, ils m’ont mené en bateau. Après des tas de demandes par écrit, ils ont accepté de me laisser visiter quatre prisons de sécurité maximale, mais une fois dedans, je n’avais pas le droit de prendre de photos, si ce n’est une espèce de parodie de cours d’anglais qui avait lieu dans des salles sans élèves, et un atelier dans lequel les détenus faisaient de jolis travaux de menuiserie. C’était tout de même très sale et surpeuplé, mais dans certaines parties de la prison, si je prenais ma caméra, j’étais immédiatement entouré de policiers qui m’empêchaient physiquement de prendre des photos. Toujours en Colombie, généralement, les juges ne souhaitaient pas être photographiés parce que c’était très risqué pour eux.

Colombia, Aug. 2011. Establecimiento Carcelario de Reclusion Especial in Sabana Larga

Colombie, août 2011. Établissement pénitentiaire de réclusion spéciale à Sabana Larga. Capacité officielle, 50 détenus. Plus de 100 personnes y sont enfermées.

Est-ce que tu as découvert des choses particulièrement surprenantes ou choquantes en photographiant ces quatre systèmes ?
J’ai été vraiment frappé par l’atmosphère générale qui était vraiment très détendue en Ouganda, bien plus qu’ailleurs. C’était sans doute l’endroit le plus agréable. Mais les prisons ougandaises ne sont pas des motels. Attention. Ces endroits sont surpeuplés et il y a une grande pauvreté. Mais au moins, les gens ont l’air d’être bien traités.

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Du point de vue matériel, je dirais que la France est la meilleure des quatre. Les détenus peuvent avoir tout un tas de trucs dans leur cellule, ils peuvent faire la cuisine, etc. J’ai eu l’impression que le passage par la case prison, en France, reste relativement supportable. Ces deux systèmes m’ont surpris par leur semblant d’humanité.

Cells in the Maison d’arrêt de Bois-d’Arcy

France, octobre 2013. Une cellule de la maison d’arrêt de Bois-d’Arcy. Cet établissement a ouvert ses portes en 1980.

Le contraste m’a paru très visuel, ce qui est intéressant et une heureuse coïncidence pour moi qui travaille avec cette dimension. Si tu prends les photos d’Ouganda, on y voit beaucoup de couleurs chaudes. Beaucoup de jaune, comme dans les villages africains. Alors qu’aux États-Unis, on trouve plutôt le froid de l’inox et du béton. C’était beaucoup plus déprimant.

Je suis devenu ami avec la détenue la plus célèbre d’Ouganda. Entretemps, elle a été libérée, et elle est venue parler lors de mon exposition Law and Order, en Allemagne. Elle a totalement confirmé mon sentiment sur le fait que les relations entre détenus et gardiens sont plutôt détendues en Ouganda. Cela m’avait beaucoup surpris. Même si j’ai vu beaucoup d’endroits du monde entier en 37 ans de carrière, je m’attendais vraiment à trouver quelque chose de plus terrible dans les prisons ougandaises, et je pensais que celles des États-Unis seraient mieux tenues. Ces deux cas ont été les plus surprenants.

Qu’est-ce qui t’a frappé dans le système carcéral américain ?
Eh bien, les prisons, aux États-Unis, ce sont des sanctions institutionnalisées, et ce malgré le fait qu’elles dépendent du Département de l’administration pénitentiaire. Je crois que les prisons américaines sont conçues, d’abord et avant tout, pour être des sanctions.

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Georgia State Prison

États-Unis, Géorgie, novembre 2012. Réunion du comité des « lifers » - hommes condamnés à perpétuité – dans une prison d’État de Géorgie.

Est-ce que tu avais le droit d’avoir des interactions avec les détenus dans certains pays ?
J’ai pu interagir avec eux en Ouganda. Tu vois la photo du type qui prend un bain de soleil près des murs avec de jolies couleurs, en France, ce type était un chef de mafia corse. Et on a pu discuter pendant une bonne demi-heure. En Colombie, on m’interdisait souvent de parler aux gens. Pareil pour les États-Unis.

Centre Penitentiaire de Lille-Annoeullin prison

France, avril 2013. Centre pénitentiaire de Lille-Annœullin. Au fond de la cour, J.-M., membre du gang corse de la Brise de mer. Il avait déjà passé 14 ans en prison avant d’être condamné à 15 ans pour meurtre, en 2007. En 2013, il a été condamné à 4 ans de plus et à 100 000 euros d’amende pour extorsion de fonds à des boîtes de nuit, depuis sa cellule.

Comment aimerais-tu que cette série comparative puisse contribuer au débat public autour des systèmes d’incarcération ?
L’idée n’est pas de dire que celui-ci est mieux que celui-là. Ce n’était pas du tout mon point de départ. Mais au bout du compte, j’ai clairement des préférences. Les services pénitentiaires et la manière dont nous gérons la criminalité semblent jouer un rôle important dans les politiques de nombreux pays. Je dirais même que c’est de plus en plus le cas avec l’essor des partis populistes et cette idée que la manière dont on punit les gens va déterminer la baisse, plus ou moins importante, du taux de criminalité. Dans le livre, je présente des comparaisons des taux de criminalité et de meurtres dans différents pays d’Europe, et ces chiffres ont beaucoup baissé. Si l’on considère le taux de meurtres, le monde est devenu un endroit beaucoup plus sûr au fil des années. Aujourd’hui, il l’est plus que jamais. Peut-être à l’exception des années 1950 et 1960. Mais je crois que les gens n’en sont pas conscients. J’espère que mon livre pourra contribuer au débat public surtout dans la façon dont on fait face à la criminalité. Et je crois que le fait de comparer différents systèmes, des situations et des cultures diverses est toujours un bon moyen d’avoir du recul et de mettre les choses en perspective.

Kakira Police Station arc

Ouganda, mai 2010. Salle des archives du commissariat de police de Kakira.

Tu évoques brièvement les raisons qui t’amènent à penser que l’incarcération n’est pas particulièrement efficace dans de nombreux cas. Peux-tu en dire quelques mots ? Penses-tu qu’il pourrait y avoir une alternative au système carcéral actuel ?
Je suis très dubitatif quant à l’utilisation qui est faite du système carcéral de manière générale. J’entends bien que, dans certains cas, il est nécessaire d’isoler un individu du reste de la société. Certaines personnes ne sont tout simplement pas en mesure de vivre en société, mais je crois que c’est une petite minorité des personnes qui peuplent les prisons. Je pense que beaucoup d’entre eux sont des individus qui n’ont pas eu de chance, qui n’ont pas eu d’opportunités, qui souffrent de problèmes psychologiques, qui viennent du plus bas de l’échelle sociale, et que l’origine ethnique joue aussi un rôle. À mon avis, le fait de se concentrer sur la sanction, sur la punition, ce n’est pas la meilleure idée du monde. Je pense qu’une réprimande accompagnée d’opportunités, que le fait de donner à ces gens une chance de vivre une vie qui soit utile à la société serait une meilleure idée. Peut-être que cela vient aussi, en partie, de ma propre histoire. Aux Pays-Bas, le taux d’incarcération est très faible, à tel point que nous louons certaines de nos prisons à la Norvège et à la Belgique.

Maison d’arrêt de Bois-d’Arcy prison

France, octobre 2013. Cellules de la Maison d’arrêt de Bois-d’Arcy. Sur les 770 détenus, environ 215 sont en attente de jugement.

Cet article a été préalablement publié sur VICE ASIA.