Au cœur de la bataille « mondiale pour le contrôle de Supreme »

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Culture

Au cœur de la bataille « mondiale pour le contrôle de Supreme »

Le géant du streetwear tente depuis des années d’empêcher une entreprise italienne d’imiter légalement ses produits.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Début décembre 2018, Samsung lance son dernier smartphone et en profite pour faire une autre annonce : Samsung China va faire une collaboration avec Supreme. Petit détail, toutefois : il ne s’agit pas de Supreme New York, mais de « Supreme Italia », une société qui, depuis des années, pompe la célèbre marque de streetwear en toute légalité.

Depuis deux ans, la société derrière Supreme Italia, International Brand Firm (IBF), expédie ses produits à travers l’Italie et a même mis en place des opérations similaires en Espagne. Tout cela va de pair avec une bataille juridique permanente avec Supreme New York – un conflit qui n'a apparemment que contribué à renforcer IBF dans son expansion à l'échelle mondiale. Un succès tel que, de fait, ils ne cherchent même pas à distinguer leur nom en Supreme Italie ou Supreme Espagne, mais tout simplement Supreme.

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La contrefaçon légale est un problème relativement nouveau dans l’industrie de la mode. Le terme est utilisé lorsqu’une entreprise enregistre une marque dans un pays donné avant que la marque d'origine puisse le faire. À partir de là, ils peuvent vendre des produits presque identiques en utilisant une stratégie marketing presque identique à celle utilisée par la marque d'origine. Contrairement à la contrefaçon traditionnelle, l’objectif n’est pas de reproduire le produit original, mais d’imiter l’ensemble de la marque.

En 2015, la société mère de Supreme, Chapter 4 Corp, a échoué à enregistrer son nom de marque avant qu'IBF ne réussisse à commercialiser Supreme Italia. Supreme New York n'est toutefois pas la seule marque de streetwear à être victime de contrefaçons légales. Le premier cas remonte à 2013, avec Boy London Italia. La seule distinction visible ici est que l'aigle dans les logos respectifs des marques est orienté dans des directions opposées. En 2017 est arrivée sur le marché Pyrex Original, une imitation, de Pyrex Vision de Virgil Abloh, ainsi que des contrefaçons légales de Kith, Thrasher, Vetements et Palace.

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La marque Supreme a publié un communiqué sur Instagram, indiquant qu’elle ne collaborait pas avec Samsung. Image via Instagram

Sans surprise, ces fausses marques sont beaucoup plus faciles à se procurer que les articles authentiques. Supreme est connu pour ne vendre ses produits qu’en éditions limitées, dans des magasins à New York, Los Angeles, Londres, Paris et au Japon, ou via son site Web, c’est-à-dire dans des endroits où les produits s’épuisent en quelques minutes. Il en va de même pour Palace, alors que Boy London et Thrasher vendent principalement par l’intermédiaire de leur propre site et Pyrex Vision n’existe même plus.

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Pendant ce temps, les contrefaçons légales sont disponibles dans plusieurs petites boutiques, amenant parfois les revendeurs à croire qu’ils ont affaire à des originaux. En Italie, les contrefaçons légales sont tellement répandues qu'elles sont considérées comme des produits authentiques. Une grande partie de ces contrefaçons semble provenir de Barletta, dans le sud de l'Italie, où Supreme Italia les distribue par le biais d’une société appelée Trade Direct. Bien que de nombreuses marques fictives soient disponibles un peu partout, la stratégie de Supreme Italia est unique : la marque tente vraiment de remplacer l’originale, ce qui explique pourquoi le procès s’éternise depuis aussi longtemps et attire autant d’attention, et pourquoi certains qualifient la situation de « bataille mondiale pour le contrôle de Supreme ».

La production de Supreme Italia a commencé en 2015 à Barletta, environ un mois après que Supreme New York a tenté de déposer sa marque en Italie. Supreme Italia a fait sa première apparition officielle dans les magasins le 14 janvier 2016, lorsque Trade Direct en a assuré la promotion à Florence.

Il a toutefois fallu attendre que les dirigeants de Supreme commencent à s'interroger, sur Instagram, sur la légitimité des t-shirts aux logos beaucoup plus grands que la normale, pour que Supreme Italia commence à attirer l’attention de la communauté internationale et suscite la controverse. Au début – peut-être en raison de la disponibilité limitée de l'original et du fait que Trade Direct se présente en tant que distributeur renommé de marques internationales – de nombreux revendeurs et clients ne se sont pas rendu compte que Supreme New York et Supreme Italia étaient deux marques différentes.

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En 2017, Chapter 4 a engagé des poursuites contre Trade Direct et IBF. En avril de la même année, le tribunal de Milan a jugé que la marque italienne avait enfreint les lois sur la « concurrence déloyale » et a ordonné un arrêt temporaire des activités d’IBF. Toujours à la suite de cette décision, la police a effectué une descente dans plusieurs entrepôts de Supreme Italia, le plus important étant situé à Saint-Marin, où 120 000 produits Supreme Italia ont été saisis.

Puis, en mai 2018, Supreme New York a tenté de déposer son nom de marque dans toute l'Union européenne. L'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) n’a pas encore rendu sa décision. Dans l'intervalle, le tribunal de Trani, dans le sud de l'Italie, s'est prononcé en faveur de Supreme Italia, ordonnant la libération des produits saisis.

Pendant ce temps, en Espagne, Elechim Sports SL, propriété d’IBF, a déposé la marque Supreme Spain, rendant illégale l’opération de Supreme New York dans le pays. Supreme Spain a immédiatement ouvert des magasins à Madrid, Barcelone, Ibiza et Formentera. En octobre dernier, le tribunal catalan a rejeté une injonction préliminaire demandée par Chapter 4 contre Supreme Spain.

À ce stade, la nouvelle du partenariat entre Supreme Italia et Samsung avait déjà commencé à circuler, de même que les projets d'IBF de s'étendre en Chine et de faire une apparition à la prochaine Fashion Week de Shanghai. Peu de temps après, IBF a annoncé qu'elle avait enregistré la marque Supreme auprès de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) à Genève pour l'ensemble du marché asiatique, de sorte à pouvoir vendre ses produits Supreme en Chine sans avoir à préciser « Italia » ou « Spain ». Cependant, cet enregistrement ne signifie pas que la société possède des droits exclusifs sur une marque.

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Sans surprise, l'annonce de Samsung n’a pas été du goût du Supreme d’origine. La marque a publié un communiqué expliquant qu’elle n’avait engagé aucune collaboration avec Samsung et qu’elle n’était pas sur le point d’ouvrir un flagship à Beijing. « Ces affirmations sont manifestement fausses et propagées par une société de contrefaçon », peut-on lire.

IBF a répondu via le compte Instagram de Supreme Spain, expliquant que « le travail de la société chinoise avec Samsung et d’autres entreprises est un partenariat officiel de notre société International Brand Firm Ltd, qui détient des marques telles que Supreme Spain et Supreme Italia, ainsi que des marques Supreme dans plusieurs pays du monde par l’intermédiaire de l’OMPI » et que celle-ci se réservait le droit « de donner suite aux revendications diffamatoires de Chapter 4 ».

Ensuite, un article est apparu sur la page Samsung de Weibo : « Récemment, lors du lancement du Galaxy A8, Samsung Electronics a annoncé une collaboration avec Supreme Italia en Chine. Nous sommes en train de la reconsidérer et nous sommes profondément désolés de ce qui s’est passé. »

Pourtant, le statut de la collaboration n’est toujours pas très clair, IBF continuant de faire comme si de rien n’était, affirmant même que « les opportunités annoncées aujourd’hui sont considérées comme des opportunités concrètes de croissance et d’expansion de la marque, compte tenu de notre engagement à poursuivre ce voyage ».

Le voyage en question se traduirait par l'ouverture présumée de 70 magasins de contrefaçon légale de Supreme à travers le monde. Le prochain devrait ouvrir à Belgrade, mais la nouvelle la plus importante est le lancement de deux magasins phares à Beijing et à Shanghai, ce qui permettra au faux Supreme de faire concurrence au vrai Supreme sur le marché asiatique.

Chez IBF, ils sont si confiants qu'ils ont même commencé à attaquer Supreme New York pour ses éditions limitées, affirmant vouloir mettre fin à « l'injustice » et lutter contre « un phénomène juridiquement ambigu qui encourage la revente… promu par de soi-disant youtubeurs ou faux gourous du streetwear. » La collaboration de Samsung mise à part, on ne sait pas ce que Supreme peut faire maintenant pour empêcher la croissance de la fausse marque Supreme, qui détient désormais le droit d'utiliser le nom de marque original et de vendre ses imitations à des milliards de personnes en Asie.

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