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société

Comment survivre à la semaine d’initiation à l’université si l’on ne boit pas

Les nouveaux étudiants sobres nous racontent ce que c’est de voir tous les autres prendre de mauvaises décisions.
Art: Ben Ruby 

On était un groupe d'étudiants de première année à l'université rassemblés comme des brebis à côté du stade Percival-Molson à Montréal. Tout à coup, on a vu les initiateurs dévaler la pente vers nous en entonnant une sorte de cri de guerre. Une initiatrice m'a attrapée par le chandail et a crié « T'es à moi! » puis elle m'a tirée par la manche vers un petit groupe. Un grand gars avec à peu près huit colliers de perles écrivait des surnoms sur nos chandails : « Cumjunkie Chris », « Peter Peter Pussy Eater », par exemple.

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« Il te faut un nom! » m'a lancé mon initiatrice imbibée d'alcool, un Sharpie dans la main. Terrifiée et scandalisée, je l'ai priée de choisir quelque chose d'inoffensif. Pas question de me promener avec un graffiti « Meat-Queen Mica » dans le dos. Ma mère était toujours en ville, après tout. En compromis, elle a écrit « Mica Loves Men! » et m'a demandé si ça m'allait, peut-être pour savoir si elle avait bien deviné mon orientation sexuelle. « Ouais, ça va », lui ai-je répondu.

Le reste de la semaine était à l'image de cette première journée. Des initiateurs saouls ont oublié mon nom (et probablement mon existence), n'ont pas répondu à mes messages textes quand j'ai eu besoin d'indications ou d'aide pour retrouver le groupe, m'ont mis sous le nez des verres de bière tiède que je ne voulais pas. Mais après deux jours d'initiation, j'ai en quelque sorte abandonné. Comme je n'ai pas trouvé beaucoup d'alliés sobres, j'ai décidé de passer les après-midi avec ma mère et j'ai mangé avec elle des croissants à la confiture plutôt que de lécher du sel sur le ventre d'inconnus — un préalable au shooter dans une tournée des bars. Je n'avais pas beaucoup d'entrain non plus quand il a fallu entonner « Three cheers for McGill, fuck fuck fuck! Three cheers for fucking, McGill McGill McGill! » parce que, du point de vue de la sobriété, ça semblait plutôt con et sexuellement agressif.

Mais ce n'est que mon expérience. Curieuse de voir si les initiations à McGill sont aussi terrifiantes pour les étudiants sobres d'aujourd'hui qu'elles l'étaient il y a quelques années, j'ai demandé à des étudiants de différentes universités au pays ce que c'est de refuser de l'alcool au cours de cette folle semaine de party.

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Chloe Rose
Université de la Colombie-Britannique

Quand je suis arrivée à UBC, j'étais sobre depuis six mois. J'avais arrêté de boire après avoir été agressée dans un party à Montréal à 18 ans. J'avais perdu connaissance peu de temps après mon arrivée et, même si nous étions plus de 20 dans la pièce, personne n'est intervenu. J'ai arrêté de boire d'un coup après ça. À l'initiation, je suis quand même allée à quelques activités et partys et, oui, c'était une beuverie. Je n'étais pas surprise par la quantité d'alcool, mais je l'étais du peu de personnes qui intervenaient pour dire à quel point c'était ridicule. J'ai vu une foule de filles boire beaucoup trop sans que personne n'intervienne. C'était très inquiétant. Le pire, c'était de voir des groupes d'amis sortir au début de la soirée et que plusieurs, souvent des filles, se retrouvaient complètement ivres et abandonnées par les autres.

Un soir, je suis sortie avec mes amis, qui ont tous bu. Un moment donné, un homme, visiblement saoul, est venu me voir, m'a attrapée et a essayé de danser. Je l'ai repoussé assez poliment, en lui disant que je n'étais pas intéressée. Il m'a alors tirée plus près de lui et a complètement descendu la fermeture éclair à l'arrière de ma robe, puis m'a repoussée vers la foule. J'ai retrouvé mes amis et nous sommes partis. Le lendemain, j'ai donné une description de lui aux agents de sécurité du campus et j'ai pu l'identifier parce que des photos de tout le monde avaient été prises à la porte. Ils m'ont dit qu'il serait expulsé, mais je ne sais pas s'il l'a été.

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C'est inquiétant de penser à ce qui se serait passé si j'avais bu, moi aussi. Peut-être que ce gars avait fait la même chose à d'autres filles qui n'étaient pas en position de pouvoir dire non. Que quelqu'un puisse sortir et agir de la sorte sans que personne n'intervienne me fait peur.

Rowan
Université de Toronto

À mon entrée à l'université, j'avais 16 ans. À la deuxième journée de la semaine d'initiation, un ami m'a appelé pour me dire que son frère jumeau — qui est aussi mon ami — a eu un accident d'auto. Il avait le dos fracturé et il était partiellement paralysé. Avant les initiations, je n'avais décidé si je boirais ou non, mais cet appel a fait dérailler tous mes projets pour cette semaine-là. Je me demandais si mon ami allait s'en tirer et j'étais donc dans un état d'esprit totalement différent des autres.

Mais une responsable de la résidence a remarqué à quel point j'avais la tête ailleurs le deuxième jour. Elle m'a demandé ce qui se passait et je lui ai dit ce qui était arrivé à mon ami. Elle m'a beaucoup aidé et a essayé de m'encourager à participer à des activités, sans insister. Alors le deuxième jour, j'ai commencé à retrouver mes repères. Évidemment, je m'étais déjà senti mieux, mais je suis parvenu à apprendre la danse de la semaine d'initiation et à suivre la parade de l'université au centre-ville, par exemple. Alors à la question du rôle de l'alcool pendant la semaine, je dirais que je ne ressentais pas vraiment l'envie de boire. Mais, même si mon ami était à l'hôpital pendant tout ce temps, je suis sorti de cette semaine avec l'impression d'avoir fait partie du groupe et de m'être amusé. J'ai été surpris qu'on n'insiste pas davantage pour je prenne un verre. Je n'ai pas vraiment ressenti de pression.

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Mais en regardant les étudiants autour de moi, je me demandais sans arrêt comment certains font pour survivre à ce qu'ils font subir à leur corps. Il y a un gars de Victoria College qui s'est saoulé et s'est dit que c'était une bonne idée de voler le casque de sécurité d'un ingénieur d'un groupe d'à peu près cent d'entre eux qui passaient par là. Il a pris le casque et a trébuché en essayant de se sauver. Cinq ingénieurs ont aussitôt sauté sur lui. Il y avait quelque chose d'animal dans cette scène, comme quand les mouettes dans Finding Nemo. C'était pareil, sauf qu'au lieu de crier « À moi! À moi! À moi! », ils criaient « Mon casque! Mon casque! Mon casque! » Ils ont repéré la cible et ont sauté dessus.

Logan
Université Queen's

L'exclusion est probablement le mot le plus juste que je peux trouver pour décrire ma semaine d'initiation. Queen's maintenait catégoriquement qu'il s'agissait d'activités sans alcool, alors je n'étais pas le seul qui ne buvait pas, mais j'ai eu l'impression de manquer de très bonnes occasions de faire facilement connaissance avec les autres. Je pense qu'être resté sobre pendant la semaine d'initiation m'a ralenti pendant toute ma première année, pour être franc. Beaucoup de mes amis ont eu une première année fantastique en grande partie parce qu'ils se sont faits de bons amis dans les partys arrosés de la semaine d'initiation. Ils avaient fait instantanément tomber les barrières. Pas moi.

Un soir, ma blonde et moi, on s'est promenés le long de l'avenue Uni et c'était complètement fou : des partys dans chaque maison, la rue est remplie de monde, les policiers surveillent et tout. Il y avait des étudiants qui commençaient à argumenter avec des policiers, d'autres un peu partout qui vomissaient. Je ne sais pas trop comment je me sentais. Je me serais sûrement senti plus à ma place si j'avais été saoul. Mais là, j'avais surtout envie d'être ailleurs. Je pense que si je devais donner un conseil aux prochains étudiants de première année, ce serait : soyez prudent, mais pas sobre.

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Shahryar
Université de Toronto

Je ne bois pas, alors j'ai passé la semaine d'initiation à jeun. Je suis un joueur de soccer compétitif et je m'étais déchiré le ligament croisé antérieur et le ménisque en mars 2016. J'ai été opéré en juillet, alors, pendant la semaine d'initiation et la première semaine d'université, j'étais en béquille. Il y a eu une parade à laquelle participaient toutes les facultés et les campus. La Ville avait fermé Bay Street à la circulation pour nous. Quand la parade a commencé, on s'est tous mis à marcher, puis soudainement tout le monde s'est fait dire de courir. Je pouvais à peine marcher, pas du tout courir, et un gars avec un walkie-talkie est venu me voir pour me demander pourquoi je ne courais pas. Je lui ai répondu que j'avais une grosse orthèse et qu'évidemment ça m'empêchait de courir. Il a appelé ses amis et, quand ils sont arrivés, ils m'ont demandé si je voulais monter dans le véhicule de parade. Je leur ai répondu « Bien sûr! » Mais il était à environ un kilomètre de nous, alors les quatre gars m'ont levé de terre et m'ont porté en courant et en criant aux gens de les laisser passer jusqu'au véhicule. C'était super d'avoir le sentiment de faire partie du groupe malgré ma situation.

La nuit la plus intéressante a sans doute été celle passée en discothèque. C'était en réalité un rave dément et je me suis beaucoup amusé. Tout le monde était saoul, les filles dansaient autour de moi, et j'essayais simplement de marcher sans me blesser. Je me suis dit : Wow! Où est-ce que je suis? On dirait un autre monde! Après environ une heure et demie, je suis sorti et j'ai regardé la Tour CN et les étoiles. J'ai repensé à tout ce qui s'était passé dans les quatre ou cinq derniers jours. Je me concentre vraiment sur le soccer — je joue tous les jours de la semaine — et quand je me suis déchiré le ligament croisé antérieur, ç'a été une période très triste. Je ne me sentais pas bien psychologiquement, je prenais beaucoup de médicaments contre la douleur. C'est à la semaine d'initiation que j'ai pu avoir du fun dans un groupe de nouveau pour la première fois. Je n'avais jamais autant marché en deux mois depuis la blessure. Ç'a été un défi, physique et psychologique, mais ça m'a motivé à récupérer — ce que j'ai fait, complètement. Alors je me suis plus qu'amusé à la semaine d'initiation. Ç'a été une sorte d'expérience spirituelle pour moi.

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Jasmine
Université Queen's

Ma semaine d'initiation à jeun à Queen's n'a été ni bonne ni mauvaise. Elle a été plus instructive qu'autre chose.

Les activités principales, franchement, n'avaient rien d'amusant pour personne. Même si un règlement interdisait la consommation d'alcool dans les résidences, il a été vite décidé que les nouveaux étudiants entreraient dans le « ghetto » tard le soir pour avoir une « vraie » initiation. N'étant pas une personne très enthousiaste à l'idée d'une consommation d'alcool ininterrompue, je me suis donc la plupart du temps retrouvée seule dans ma chambre.

Je me sentais exclue, par contre, ce qui était bien et me donnait un sentiment d'appartenance, c'est que tous les autres étaient à la même phase de leur vie que moi et aussi vulnérables. Alors il n'était pas difficile de se faire des amis. Personne ne voulait être seul et personne ne voulait se sentir coupable d'avoir laissé quelqu'un seul. Les filles à mon étage m'invitaient à sortir, mais ne me jugeaient pas si je n'en avais pas envie. À jeun, j'étais capable de me faire des amis sans que ce soit basé sur de mauvaises raisons ou une personnalité temporaire.

Le soir de la danse, j'étais un peu fatiguée et j'ai décidé de retourner tôt à ma chambre. Comme je partais, j'ai vu deux hommes âgés qui faisaient une promenade de fin de soirée et regardaient les jeunes s'amuser. Je n'aime pas entretenir l'idée que les gens — en particulier âgés — ne peuvent pas regarder des jeunes ou interagir avec eux sans avoir l'air louches. Je pense que les personnes âgées peuvent aimer voir des jeunes s'amuser. Quand je suis passée près d'eux, l'un a passé sa main à travers la barrière de métal comme pour danser. J'ai fait comme si je prenais sa main et, pendant que Teach Me How to Dougie jouait derrière, on a dansé un swing pendant environ une minute. On a beaucoup ri et il m'a remerciée pour la danse. Je m'en souviendrai toute ma vie, et c'est grâce à ma sobriété que ce moment s'est produit.

Sophie
Université McGill

Je venais de terminer ma première année. J'ai commencé avec le groupe de science et j'ai été très chanceuse d'avoir de bons initiateurs. Je pense que beaucoup d'initiateurs sont là pour faire le party et je sais que beaucoup d'étudiants ont eu l'impression que leurs initiateurs se préoccupaient d'eux. J'avais des amis en arts, et certains me disaient : « Oh, j'étais tellement mal à l'aise du début à la fin. Je ne bois pas et mes initiateurs étaient tous saouls, je ne savais pas quoi faire. » Par contre, ce n'était pas mon cas. Je m'attendais à ce qu'on m'incite à boire, mais je n'ai ressenti aucune pression ou presque.

Le deuxième jour, il devait y avoir une tournée des bars et je me demandais bien ce que je devais faire. J'étais mineure et je n'avais pas envie de boire de toute façon. Mais nos initiateurs nous ont parlé d'un groupe sans alcool qui faisait une tournée des restos à la place. C'était génial, et je suis donc restée avec ce groupe jusqu'à la fin de la semaine. C'était un très bon groupe et ils sont toujours mes meilleurs amis aujourd'hui. Je pense que beaucoup de gens font des rencontres dans la semaine d'initiation, mais tout le monde boit tellement que les liens ne durent pas au-delà de la semaine. Comme nous ne buvons pas, nous avons pu voir que nous avions plus en commun qu'un état d'ébriété.

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