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Culture

La prolifération des augmentations de lèvres manquées

Les publicités sur Instagram et l’absence de réglementation font croître le phénomène.

Cet article a initialement été publié sur VICE UK.

Quand je me suis redressée pour me regarder dans le miroir chez l’esthéticienne, je me suis mise à pleurer. Pas de joie parce que j’avais enfin les lèvres à la Kardashian, plutôt parce que je me demandais ce que j’avais fait là, merde. Ma lèvre supérieure était enflée, au point où elle était quatre fois plus grosse que la lèvre inférieure, et en sang. Parce que je devais aller prendre le métro avec ce visage. Parce que je venais de faire augmenter le nombre croissant d’augmentations des lèvres manquées.

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Ce n’était pas ma première intervention. J’avais toujours eu des lèvres minces, sans contour défini. Une amie m’avait recommandé une femme qui avait eu pour clientes des filles de l’émission The Only Way Is Essex, alors je suis évidemment allée la voir. Le résultat m’a plu : il semblait naturel et m’a discrètement aidé à m’aimer davantage.

Ensuite, l’an dernier, j’ai décidé d’aller voir une autre femme, recommandée par des célébrités comme Katie Price et Megan McKenna. « Si c’est assez bon pour elles », me suis-je dit en parcourant les impressionnantes photos sur la page Instagram de son entreprise. J’ai aussi jeté un coup d’œil aux avis sur Facebook : des milliers de cinq étoiles. Le jour de mon rendez-vous, j’ai rencontré la femme dans une salle louée. Elle avait des lèvres de poupée mannequin Bratz : trop grosses pour son visage. Elle a procédé au remplissage des miennes avec un produit épais qui, ai-je découvert plus tard, n’est même pas conçu pour les lèvres. « Ça va désenfler », m’a-t-elle promis après. Je savais que ce ne serait pas le cas. Le lendemain matin, j’avais les lèvres bleu et noir, ma peau était étirée si violemment — du béton au toucher — à cause du produit de remplissage que j’ai sincèrement pensé qu’elles exploseraient.

Les lèvres de l’auteure après l’intervention. Source : Jennyfer J. Walker

Pas de retouche gratuite. Elle m’a dit que je pouvais payer pour faire dissoudre le produit si je n’étais pas satisfaite. Après que j’ai donné un avis négatif sur Facebook, elle m’a traitée de menteuse. J’en ai laissé un deuxième, et elle m’a alors bloqué l’accès à sa page d’entreprise.

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J’ai ensuite découvert que des dizaines d’autres femmes avaient eu les lèvres charcutées. Jocelyn était l’une d’elles. Ayant toujours rêvé de lèvres plus pulpeuses, elle a rencontré le même bourreau que moi dans un salon de coiffure. « En attendant mon tour, je regardais les coiffeuses, se souvient-elle. Quelques-unes avaient des lèvres refaites, et c’était horrible. Je me suis dit qu’elles avaient peut-être fait affaire avec une autre femme. »

Mais, ensorcelée par les spectaculaires photos avant-après montrant le supposé résultat du travail de cette femme, Jocelyn n’a pas reculé. « Quand elle a retiré la seringue, elle continuait d’injecter, ce qui a laissé de petites bulles sur ma peau, raconte-t-elle. Elle m’a offert de les enlever gratuitement, alors je suis revenue. Elle a alors planté son aiguille dans ma lèvre et commencé à retirer le produit de remplissage. Je lui ai dit : “Mais qu’est-ce que tu fais!? Pousse-toi”, et je suis partie. J’ai maintenant des cicatrices des trois bosses qu’elle m’a faites. »

Selon les données publiées par l’American Society of Plastic Surgeons (ASPS), plus de 27 000 Américaines ont eu une augmentation des lèvres en 2015. C’est une intervention toutes les 20 minutes. Ce doit être encore plus maintenant. Il n’y a pas de données pour le Royaume-Uni parce que c’est l’un des quelques pays où les opérations non chirurgicales — comme les augmentations et les traitements au Botox — ne sont pas réglementées. Par conséquent, n’importe qui peut y suivre un cours d’un jour sur l’augmentation des lèvres et commencer à entailler le visage des gens dans le confort de son salon, en toute légalité.

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Autre inquiétude, il n’y a pas de seuil d’âge minimal pour subir ces interventions. Bien que quelques établissements de bonne réputation exigent que vous soyez majeur ou ayez l’autorisation d’un de vos parents, les pseudo-chirurgiens à l’éthique discutable, eux, injectent des produits dans les lèvres d’adolescents qui ne sont pas encore en âge d’acheter de l’alcool.

Ce sont des faits que les personnes songeant à subir une augmentation des lèvres ne connaissent même pas. Comme Sophia, qui voulait des lèvres mieux équilibrées, car sa lèvre du bas était plus épaisse que celle du haut. Elle s’est fait prendre par le même éblouissant marketing sur internet que Jocelyn et moi.

« J’aurais dû m’inquiéter qu’elle ne soit pas médecin, se rappelle Sophia. Mais il y a peu d’indications pour les personnes qui souhaitent ces traitements […]. Je me suis retrouvée avec une poche de produit de remplissage à la lèvre supérieure qui pendait légèrement parce que l’injection avait été faite trop près de la surface de la peau. » Elle a été obligée de faire dissoudre le produit.

L’homme qui répare les dégâts s’appelle Tijion Esho, fondateur d’ESHO Clinic. Sept jours par semaine, il corrige de deux à cinq interventions bâclées.

Comme une mère Teresa munie d’une seringue, il a eu pitié de moi et a dissous le produit de remplissage de mes lèvres gratuitement. C’est ce qu’il fait souvent dans le cadre d’un programme qu’il a nommé ESHO Initiative et offre à celles et ceux qui en ont besoin. « Je voyais des cas à la clinique qui me mettaient tellement en colère que je ne pouvais pas facturer », explique-t-il.

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Il croit que la grande offre d’interventions esthétiques non chirurgicales est la cause de leur popularité actuelle. « Avant, c’était réservé aux riches, mais maintenant, c’est à la portée de tout le monde, dit-il. Surtout avec les modalités de paiement par versements, de la même manière que les gens peuvent ventiler le coût de leur mobilier, ils peuvent ventiler le coût de leurs interventions esthétiques au visage. »

Il en attribue aussi la popularité à la sensibilité des milléniaux, qui, selon lui, sont obsédés par leur image. « Il y a une pression croissante qui pousse à ressembler à un idéal, dit-il. S’ils prenaient un peu de recul et regardaient de quoi les gens ont l’air en dehors des réseaux sociaux, ils s’accepteraient beaucoup mieux. »

Les hommes ne sont pas à l’abri de ces pressions. Le Dr Esho estime que sur 100 interventions, de cinq à dix sont effectuées sur des garçons. « Ils ont l’impression de ne pas avoir de lèvres du tout. On voit des gars hétéros et gais, mais ce sont surtout les hétéros qui ne disent à personne qu’ils l’ont fait. »

Henry, dont l’intervention bâclée a été corrigée à l’une des cliniques où le Dr Esho est chirurgien esthétique, en a quant à lui parlé ouvertement. « Toutes mes amies sont des danseuses nues et elles se le sont fait faire, raconte-t-il. Un jour, je me suis simplement dit : “Tant pis. Je le fais.” Ça a quelque chose de sexy! »

Les lèvres d’Henry après l’intervention. Source : Henry

Henry admet qu’il en a été accroc. Il y est retourné toutes les quatre à six semaines, dépensant 400 $ chaque fois. Après plusieurs interventions, quelque chose s’est passé. Un abcès est apparu et a pris de l’ampleur. « Je ne pouvais plus parler, je ne pouvais pas y toucher. Je suis allé voir un médecin et ça a littéralement explosé. »

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Après 21 semaines pendant lesquelles il a pris les antibiotiques qu’on lui avait prescrits à tort et subi deux interventions chirurgicales, il est allé voir le Dr Esho. « Le Dr Esho m’a dit : “On doit intervenir dès maintenant, sinon tu vas perdre ta lèvre.” » Une fois qu’il a été sous anesthésie, il a entaillé les lèvres d’Henry avec des ciseaux — oui, des ciseaux — et ponctionné le pus avant de les suturer.

« J’ai beaucoup de chance que mes lèvres soient comme elles sont aujourd’hui. On aurait pu devoir me couper la lèvre. »

C’est le point : cette intervention en principe temporaire peut défigurer de façon permanente quand elle est pratiquée par une personne sans expérience, et les cas se sont multipliés de façon épidémique. C’est pourquoi le Dr Esho fait campagne pour qu’une réglementation soit établie.

À la fin du mois de novembre dernier, il a lancé une pétition exigeant que le gouvernement rende illégales les interventions avec Botox et autres produits de remplissage sur des personnes de moins de 18 ans. Le même mois, il a écrit au ministre de la Santé pour demander que seuls les médecins puissent les pratiquer. « J’ai expliqué qu’un nombre croissant d’interventions bâclées se terminaient par une visite aux urgences », explique le Dr Esho.

Il s’inquiète avant tout pour les milléniaux affectés par cette indécente absence de réglementation. Celles et ceux qui sont bombardés de publicités de ces entreprises de soins esthétiques qui ont la réputation d’avoir bousillé des centaines, même des milliers de visages dans tout le pays.

« Nous sommes censés éduquer, informer et protéger cette génération, juge-t-il. Si nous ne le faisons pas, ce sera une génération perdue parce que nous n’avons pas su en prendre soin. »

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@nyferjay