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Culture

Une religion fondée sur 4chan promet la vie éternelle dans un paradis cyberpunk

Le Systemspace est-il une secte pour internautes perdus ou une mauvaise blague ?

L'article original a été publié sur Motherboard et traduit par Motherboard France.

En janvier 2017, un mystérieux 4channer appelé Tsuki a fondé une secte qui promettait d’envoyer ses membres dans un paradis cyberpunk, à une seule condition : qu’ils acceptent de mourir. Était-ce une mauvaise plaisanterie, un jeu de rôle inoffensif ou un authentique projet de suicide collectif sous le signe de l’animation japonaise ?

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4chan est une boîte de Petri pour sous-cultures depuis plus de dix ans. Grâce à lui et à son principe fondateur, l’anonymat, des mouvements comme Anonymous et l’alt-right ont pu grandir et s’organiser tranquillement sur Internet avant de déferler sur le meatspace.

La communauté qui incube sur le forum depuis le début de l’année 2017 ressemble moins à un mouvement politique qu’à Heaven’s Gate, le culte néo-évhémériste qui a fait le tour du monde en 1997 après le suicide collectif de ses membres. Systemspace, la religion numérique lancée par Tsuki, promet à ses quelque 5 000 membres ou « migrants » qu’ils seront transportés dans un Élysée cyberpunk après leur mort.

Accusée d’être un « anime suicide cult » et une tentative d’incitation au suicide par Reddit, Systempace a attiré l’attention de nombreux YouTubers conspirationnistes. Les écritures de la secte, un document Github appelé The Compendium, expliquent que l’Univers est constitué d’un nombre inconnu de dimensions alternatives appelées “systèmes”. À la manière de la matrice, elles ne seraient que des simulations.

The Compendium explique que l’humanité évolue dans « Life », un système qui aurait commencé à s’effondrer à cause d’une erreur de codage. Tsuki, le fondateur messianique de Systemspace, affirmait qu’il avait le pouvoir de transférer les âmes de ses adeptes vers une dimension cyberpunk supérieure appelée LFE, à condition qu’ils s’inscrivent sur le site Tsuki Project avant le premier juillet 2017.

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Le système LFE ressemble beaucoup à Ninsei, l’univers artificiel qui permet aux personnages du Neuromancien de William Gibson de se séparer de la « viande » qui leur sert de corps. Le Tsuki Wiki affirme que les habitants du LFE sont « tous importants », qu’ils « peuvent faire tout ce qu’ils veulent » et qu’ils communiquent dans une langue appelée « Synapsian ». Les 9.4×10^28 âmes qui vivraient là seraient issues d’un nombre incalculable d’espèces et sous-espèces, parmi lesquelles des êtres magiques comme des anges et des démons.

Les membres du Discord de Systemspace, le « Tsuki Overground », ont des perceptions différentes du système LFE. Un internaute utilisant le pseudonyme Var m’a décrit un « Tokyo futuriste, qui fait penser au monde de Ghost in the Shell. » Pour Migrant 4858, il est fait de « villes immenses et tentaculaires » avec « des paysages magnifiques ».

En dépit du fait que tout cela ressemble fort à un jeu de rôle en ligne type mutli-user dungeon (MUD), tous les membres du Systemspace avec lesquels j’ai échangé m’ont assuré qu’ils ne faisaient pas semblant et que Tsuki avait créé une vraie croyance.

Comme la plupart des religions, le Systemspace promet une vie après la mort. Les paradis reflètent toujours les besoins de l’époque dans laquelle ils sont nés. Quand les religions abrahamiques ont commencé à prendre forme, les humains craignaient la faim et la maladie. Le paradis du moment leur promettait donc d’échapper aux deux à tout jamais. Aujourd’hui, on pourrait dire que le LFE reflète les craintes d’anonymat et de solitude surgies de notre capitalisme tardif.

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Tsuki garantit que tous les habitants de son cyber-nirvana « contrôlent leur destinée » : eux et leurs frères venus de 4chan ne seront plus jamais des parias. Les forums et chatrooms du Tsuki Project sont pleins d’un vif sentiment d’appartenance. « Nous aimons la communauté qui entoure tout ça », m’a déclaré Varz.

Cependant, les fils Reddit et 4chan qui semblent avoir enfanté de Systemspace révèlent le côté sombre du projet. Tsuki a attiré l’attention d’Internet pour la première fois le 19 janvier dernier avec un post Reddit intitulé « My daydreams tells me to die before August 28 ». En quelques lignes, il explique que son monde imaginaire lui a indiqué qu’il devait se suicider pour « amorcer la destruction de la vie ».

Quelques jours plus tard, Tsuki a révélé qu’il avait peur de devoir suivre une cure d’antipsychotiques à cause du « second monde » qui grandissait dans sa tête depuis ses douze ans. Ce monde, expliquait-il, était de plus en plus difficile à séparer du monde réel.

Les premiers commentateurs ont réagi avec inquiétude et ont conseillé à Tsuki, qui s’est présenté comme un homme de 16 ans résidant aux Pays-Bas, de consulter un professionnel. Dans le thread suivant, le ton a changé du tout au tout : plusieurs internautes ont accepté d’offrir leur âme à Tsuki dans l’espoir qu’ils les transfèrent vers le système LFE après leur mort. « Tant que vous mourez avant le premier juillet 2017, vous serez transportés, leur a-t-il assuré. Mourir de vieillesse fonctionne, le suicide aussi. »

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Le premier juillet dernier, le système d’inscription du Tsuki Project a disparu. Le site lui-même a disparu quelque temps plus tard, mais un miroir est disponible ici.

D’après une rumeur citée par Migrant 4858, plusieurs membres du projet se seraient suicidés dans l’espoir d’être transportés dans le LFE. « Franchement, c’est leur choix, m’a-t-il expliqué. Je n’aurais pas essayé d’arrêter un seul d’entre eux, le LFE les attend de l’autre côté. » Il a ensuite précisé qu’il était impossible de savoir si ces suicides avaient bel et bien eu lieu. Notre enquête n’a pas permis de confirmer les rumeurs.

Pour Rick Alan Ross, le directeur du Cult Education Institute, le Tsuki Project n’est qu’un représentant isolé d’une mode engendrée par Internet. « Ce que démontre le Tsuki Project, explique-t-il dans un mail adressé à Motherboard, c’est qu’il est facile d’établir une présence sur le web sans dévoiler son identité. Des milliers de personnes se retrouvent impliquées sans savoir la moindre chose sur le créateur du site. »

Le plus grave, c’est que de nombreux mouvements dangereux et toxiques ont déjà été créés sur Internet « for the lulz ». L’un des instigateurs du Blue Whale Challenge, cette « blague » sadique lancée sur les réseaux sociaux, a été arrêté l’année dernière. Il est accusé d’avoir causé le suicide d’au moins 16 jeunes filles.

Aujourd’hui, le Tsuki Project s’est transformé en creepypasta. Les trolls et les voyeurs en raffolent. Pour les membres du Systemspace, cependant, le projet n’aurait pas dû finir comme ça. À les croire, Tsuki ne s’attendait pas à ce que tant d’internautes s’inscrivent sur son site. Il aurait paniqué, inquiet de finir en prison pour incitation au suicide, et aurait choisi de disparaître du réseau une bonne fois pour toutes.

Les adeptes du système LFE m’ont expliqué qu’ils tenaient encore beaucoup à la communauté qui s’est formée autour du Tsuki Project. « Nous sommes peu accueillants pour une bonne raison, m’a lancé l’un d’entre eux. Cette communauté est spéciale, nous ne voulons pas qu’elle soit gâchée. »

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