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Société

On a demandé à un prêtre et un pasteur si le crucifix est un signe religieux

« Si le crucifix est accroché au-dessus de la chaise du président, c’est la déclaration que cette assemblée nationale appartient à cette confession religieuse. »
On a demandé à un prêtre et un pasteur si le crucifix est un signe religieux
Photo par Francis Vachon/La Presse canadienne 

De passage à Erevan en Arménie pour le Sommet de la Francophonie la semaine dernière, François Legault, a fait une déclaration pour le moins surprenante. Selon le premier ministre élu, le crucifix qui trône à l’Assemblée nationale depuis l’époque de Duplessis représente les valeurs chrétiennes, mais ne serait pas un symbole religieux.

« Nous devons comprendre notre passé », a dit M. Legault à propos du crucifix de l’Assemblée nationale. « Dans notre passé, il y avait les protestants et les catholiques. Ils ont construit les valeurs que nous avons au Québec. Nous devons le reconnaître et ne pas le mélanger avec les signes religieux. »

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Il faut dire que les discussions autour du crucifix reviennent périodiquement, tel un marronnier politique. Nos élus semblent chronométrés pour ramener la question de ce symbole religieux (ou historique, c’est selon) sur le plancher. Cette fois-ci, c’est le débat entourant le port des signes religieux par les employés en position d’autorité dans la fonction publique. Le moment était donc propice pour que le spectre polarisant du crucifix de l’Assemblée nationale refasse surface.

Habituellement, c’est son aspect patrimonial qui constitue l’argument en sa faveur. L’histoire veut que ce soit Maurice Duplessis, qui, dans un effort de rapprocher la religion du gouvernement, ait installé la croix à l’Assemblée nationale. Ce qui est vrai. Par contre, on oublie trop souvent de mentionner que le crucifix épinglé au mur, ce n’est pas celui de 1936. Il a été remplacé par une réplique dans les années 80. Alors, on repassera pour invoquer le passage de l’Histoire avec un grand H.

Ce coup-ci, on doit souligner que M. Legault a fait preuve de créativité en affirmant que le symbole n’était pas religieux. On dirait presque qu’il avait en tête la fameuse peinture Ceci n’est pas une pipe de Magritte, célèbre peintre surréaliste belge. C’est bon de le rappeler.

Ceci n'est pas un symbole religieux

Tiré de Facebook.com/Quebecsolidank

Afin de tester l’argument de M. Legault, VICE a décidé de parler à de vrais experts, un pasteur et un prêtre, pour savoir si un crucifix pourrait ne plus être un symbole religieux, ou plutôt, être un symbole pas religieux mais qui représente les valeurs religieuses.

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Le symbole religieux suprême, selon le pasteur Eric Dyck

Pour le pasteur Eric Dyck de l’Église luthérienne Saint-Jean à Montréal, le crucifix et ce qu’il représente est très intimement lié à la religion catholique. « C’est l’exemple le plus singulier et le plus important. On ne trouve pas mieux que ça, que le crucifix en face de soi chaque fois qu’on est dans l’assemblée législative. On ne peut pas le fuir », dit-il. « Si le crucifix est accroché au-dessus de la chaise du président, c’est la déclaration que cette assemblée nationale appartient à cette confession religieuse. Je ne pense pas qu’on puisse le réduire aux valeurs chrétiennes seulement. »

Il relève d’ailleurs l’imprudence politique de M. Legault dans ses commentaires sur les peuples fondateurs : « L’autre problème, en parlant des valeurs chrétiennes au Québec, c’est que les peuples autochtones, qui étaient là avant l’arrivée des Européens, avaient un autre système de valeurs. Il aurait été peut-être plus prudent politiquement de parler des valeurs des catholiques, des protestants et des populations autochtones. »

Puisque la croix et le crucifix sont accrochés dans toutes les églises, le pasteur Dyck est d’avis qu’il est vraiment difficile de dire que ça ne représente pas la foi chrétienne. « C’est ou bien un accessoire de mode dénué de sens, ou bien un symbole de la foi. »

Sur la question du crucifix à l’Assemblée nationale, le religieux croit que l’acte de le retirer est révélateur de certaines craintes sous-jacentes. « Peut-être que c’est la peur que le retirer, ce soit reconnaître que nous sommes plus multiculturels que nous ne voulons l’admettre. Nous ne voulons pas admettre qu’il y a d’autres influences culturelles qui sont fortes et qui ne font pas partie de l’héritage culturel de la Nouvelle-France. »

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Bon joueur, le pasteur Dyck offre quand même quelques conseils à M. Legault pour se sortir du débat autour du crucifix. « D’abord, il faut reconnaître que oui, c’est un symbole religieux. Il ne fait aucun doute qu’il appartient à la foi chrétienne. Et que, puisque le Québec est inclusif, nous afficherons aussi les symboles des autres religions majeures. »

Donc, la réponse, c’est d’ajouter encore plus de symboles religieux à l’Assemblée nationale? « Bien, c’est une solution! Mais l’autre choix, c’est la laïcité, comme les autres assemblées législatives des provinces du Canada. »

Le crucifix comme protection des pouvoirs de l’Assemblée, selon le prêtre Robert Gendreau

Pour l’abbé Robert Gendreau, directeur du service de pastorale liturgique de l’archidiocèse catholique romain de Montréal, la présence d’un crucifix ne veut pas dire que l’Assemblée nationale est sous l’emprise de l’Église catholique. Mais le prêtre apporte un éclairage un peu déroutant quant à ce qu’il représente. « C’est Jésus qui a fait la séparation entre l’Église et l’État en disant : “Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu”. Donc, c’est lui, on peut dire, le premier dans l’histoire de l’humanité à bien faire la différence entre l’Église et l’État, explique-t-il. Et justement, le symbole qui est là, d’une certaine façon, protège cette séparation. C’est un peu paradoxal, vous avouerez avec moi, parce que ça prend un peu de réflexion. » Donc, avoir un crucifix au sein de l’Assemblée nationale serait une protection contre la présence de la religion dans le système politique… Ah bon.

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La question de la représentation des autochtones comme peuples fondateurs, que M. Legault a omis de mentionner dans son commentaire aux journalistes, comme le relève la CBC, ne lui pose pas problème. Selon lui, les autochtones ont été inclus dans le rêve de la Nouvelle-France de Samuel de Champlain et ont embrassé la foi catholique de plein gré. « C’est très clair que ce sont les Anglais, pour ne pas les nommer, qui ont voulu détruire l’Indien dans l’Indien. C’est pas l’Église, ça. Au contraire, l’Église essayait de protéger les droits des Amérindiens, croit-il. Alors, il y a beaucoup de choses que le crucifix représente et ce sont de très, très belles valeurs humanistes. Les valeurs que tout le monde a maintenant, vous savez, le respect des autres, des minorités, des pauvres, des femmes seules. »

Mais si on interdit les signes religieux pour les personnes en position d’autorité dans la fonction publique, il faudrait peut-être commencer par régler le cas du crucifix de l’Assemblée nationale, non? L’abbé Gendreau est d’avis « qu’on attribue au crucifix des valeurs qu’il n’a pas, alors que c’est un signe d’où on vient. Et on n’est pas obligé d’être catholique, mais, cependant, nos valeurs, là, on aime ça quand les étrangers les reconnaissent : l’égalité entre les hommes et les femmes, et ces choses-là. C’est profondément tout ça. »

Sans avoir une opinion tranchée sur la question, à savoir si on le garde ou si on le retire, car c’est à l’Assemblée de décider selon lui, l’abbé Gendreau y va tout de même d’un avertissement. « Qu’il soit là, pour moi, c’est une garantie de garder la séparation entre l’Église et l’État. C’est curieux, c’est paradoxal, je vous le dis! Mais c’est vraiment ça. Parce que le Christ a dit qu’il y avait une séparation entre l’Église et l’État. Alors si on veut garder ça, et ça, c’est important, il ne faut pas qu’un jour, le gouvernement, ou l’Assemblée nationale, devienne confessionnelle. Jamais, jamais. Mais si on enlève le crucifix, on enlève une grande protection. »