Débattre avec un raciste, une cause perdue?
Imagen: Noel Ransome

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Culture

Débattre avec un raciste, une cause perdue?

Des experts, dont un ancien suprémaciste blanc, nous disent comment faire changer une personne d’opinion (surtout si elle est odieuse).

Quelques heures après que James Alex Fields, 20 ans, a été accusé d'avoir foncé dans une foule de manifestants antiracistes avec sa voiture à Charlottesville, tuant une jeune femme, sa mère a dit aux journalistes qu'elle « essaye de ne pas se mêler des opinions politiques de son fils ».

« Je n'ai pas vraiment compris le but de cette marche », a dit Samantha Bloom à l'Associated Press à propos de Unite the Right. « Il a parlé de l'all-bright. C'est quoi? »

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Le journaliste lui a expliqué qu'il s'agissait de l'« alt-right », des suprémacistes blancs d'extrême droite. « Je ne savais pas que c'était des suprémacistes blancs, a-t-elle admis. Je pensais que ça avait à voir avec Trump. Et Trump n'est pas un suprémaciste. »

Plus tard, des journaux ont révélé que Fields avait exprimé son admiration pour Hitler quand il était au secondaire. La manifestante qu'il est accusé d'avoir tuée, Heather Heyer, avait 32 ans, était technicienne juridique et s'opposait ouvertement aux inégalités.

Dans la foulée de la violente manifestation, le père de Peter Tefft, un suprémaciste blanc aussi présent à Charlottesville, a rédigé une lettre ouverte dans laquelle il désavoue son fils et exprime ses remords pour sa propre inaction.

« Nous avons gardé le silence jusqu'à maintenant, mais nous voyons que c'était une erreur. C'est le silence des bonnes personnes qui a permis au mouvement nazi de prendre de l'ampleur la première fois, et c'est le silence de bonnes personnes qui lui permet de prendre de l'ampleur aujourd'hui », écrit Pierce Tefft.

Quand survient une tragédie comme celle de Charlottesville, naturellement des gens se demandent ce qu'ils auraient pu ou dû faire. La plupart n'ont pas dans leur vie des proches qui allumeraient une torche, se joindraient à une marche et entonneraient « Les juifs ne nous remplaceront pas! » N'en demeure pas moins que nous sommes tous témoins de racisme, parfois dans notre propre cercle social ou familial, et que souvent nous choisissons de regarder ailleurs.

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Mais si l'on décidait de s'opposer quand une personne manifeste haut et fort son intolérance et ses préjugés, comment le ferait-on d'une façon qui soit efficace et sans paraître hostile?

C'est une question à laquelle j'ai du mal à répondre. Dans la dernière année, j'ai coupé les ponts avec des amis de longue date et des membres de ma famille après des discussions explosives. J'ai tendance à dénoncer le racisme agressivement.

Selon un article de Vox publié l'an dernier, traiter un raciste de raciste n'aide pas si l'objectif est de l'éclairer. On y cite une étude de Stanford et de Berkeley sur la transphobie : les auteurs écrivent qu'on arrive mieux à susciter de l'empathie en ayant une conversation courte et franche au cours de laquelle on demande à notre interlocuteur de se mettre à la place d'une personne trans.

Des conversations de ce genre, Akwasi Owusu-Bempah, professeur adjoint en sociologie à l'Université de Toronto, en a tout le temps. Il a dit à VICE que, grâce à son enfance dans une famille multiethnique et ses études des relations interraciales, il a appris à mettre ses émotions de côté quand c'est nécessaire.

« Est-ce que je me mets en colère quand je lis et quand j'écris? Bien sûr », dit-il. Mais, « quand j'ai des conversations sur la notion de race et des iniquités sociales, j'essaie de faire en sorte qu'elles soient le moins émotionnelles possible. »

Akwasi en est venu aux mêmes conclusions que les auteurs de l'étude sur la transphobie. « Dans ces situations conflictuelles, je pense que les injures ne font qu'empirer les choses. Quand quelqu'un remet en question nos opinions de façon provocante, on a tendance à s'y accrocher davantage », dit-il. Ce qui ne veut pas dire que le racisme ne doit pas être dénoncé; au contraire, le professeur estime que cette responsabilité est spécialement importante au Canada, où un mythe veut que l'on vive dans une utopie postraciale, supérieure aux États-Unis.

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« Dans l'une et l'autre de ces deux sociétés, il y a encore beaucoup de gens qui pensent que le racisme n'est plus un problème. »

Même s'il pense « avoir raison », Akwasi dit qu'il considère les arguments des gens qui ont un point de vue opposé au sien quand il discute avec eux. Selon lui, il est irréaliste de vouloir les amener à changer d'idée; peut-être que l'objectif ne doit être que « de leur faire voir une autre réalité ».

Au cours du week-end, l'avocate spécialisée en abus sexuel Julie Lalonde a tweeté un lien vers un fil de discussion sur les difficultés de parler aux Blancs à faible revenu de notions comme la suprématie blanche et le privilège blanc.

« Les membres de ma famille vivent dans un parc de maisons mobiles et certains ont tout au plus leur diplôme d'études secondaires, raconte-t-elle. Ça a toujours été délicat pour moi, parce que je suis partie et que j'ai fait des études supérieures. »

Toutefois, elle fait aussitôt remarquer qu'elle ne laisse pas les membres rednecks de sa famille dire ce qu'ils veulent pour autant. Par contre, elle ne les bombarde pas de termes savants qu'ils ne comprennent pas ou qu'ils lui en voudraient d'utiliser. »

« Il faut y aller doucement », dit-elle, parlant en particulier d'un membre de sa famille qui est « plutôt relax à propos de 95 % des enjeux, mais a des opinions très arrêtées quand il s'agit des autochtones ».

Cette personne soutient son travail pour défendre les victimes d'abus, ce qu'elle a utilisé pour tenter d'obtenir son empathie. Par exemple, en réponse à des commentaires racistes, elle lui dit : « Quand tu dis des choses comme ça, tu contribues à une culture dans laquelle on n'accorde pas d'importance à ces femmes. Et après, on trouve ça horrible quand elles meurent. »

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Julie a aussi dit à un ami qui s'informait sur les sites de Breitbart et The Rebel qu'il n'était plus le bienvenu chez elle s'il continuait avec ses propos islamophobes. Il a depuis adouci le ton, mais elle ne sait pas s'il se censure seulement quand il est avec elle.

Quand des gens sont bien endoctrinés, une ou deux conversations franches n'y changeront probablement pas grand-chose.

Brad Galloway, 37 ans, est un ancien suprémaciste blanc. Dans la vingtaine, ce Vancouvérois a été membre de Volksfront, un défunt groupe qui voulait la ségrégation et une société exclusivement blanche.

Aujourd'hui conférencier et travailleur social, il semble encore mal à l'aise d'entrer dans les détails de l'idéologie du groupe auquel il appartenait. « Ce type de groupe avait l'idée de se séparer de la société, ce n'était pas tellement du racisme », dit-il. Toutefois, si l'on insiste, il admet que la société idéalisée envisagée aurait été uniquement composée de Blancs de descendance européenne. « C'est du racisme, mais pas autant que le KKK, qui parle de tuer des gens », soutient-il.

Brad dit qu'il s'était tourné vers Volksfront pour faire partie d'un groupe et qu'il n'en approuvait pas réellement les aspects les plus racistes. Des conversations avec des travailleurs sociaux « auraient pu l'aider » à l'époque, dit-il, mais c'est la naissance de son enfant qui a été déterminante.

« On ne peut pas enseigner des choses pareilles à un enfant », dit-il. Il n'en pouvait plus de la négativité constante qui vient avec la haine d'une partie de la population. « On ne peut pas vivre en se disant "Je hais tout ça" tout le temps. » Cependant, Brad remarque qu'il faut des années pour venir à bout de surmonter cet état d'esprit. Et il faut le vouloir beaucoup.

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Ces jours-ci, dans le cadre de son travail social, quand il rencontre de jeunes hommes dans la situation dans laquelle il se trouvait à leur âge, il essaie de les écouter et de les aider à trouver quelque chose de positif auquel s'accrocher.

Ces conversations demandent souvent beaucoup de travail. On doit y consacrer beaucoup de temps et d'énergie psychologique et émotionnelle. C'est pourquoi il importe que la responsabilité de combler les fossés ne repose pas entièrement sur les épaules des personnes qui en sont victimes.

Julie Lalonde pense que des gens se permettent de faire des commentaires racistes en sa présence parce qu'elle est blanche. Ils pensent que ça ne la dérangera pas. Mais ne pas intervenir « revient à laisser les personnes opprimées corriger ce qui ne va pas ».

De plus, quand il s'agit de racisme, un Blanc a sans doute de meilleures chances de se faire entendre d'un autre Blanc parce qu'il ne lui semblera pas agir dans son propre intérêt. (Pour cette même raison, les hommes ne devraient pas laisser passer de commentaires sexistes.) Quand c'est un ami ou un membre de la famille, même si l'on est mal à l'aise, on est probablement la personne la mieux placée pour intervenir et faire réfléchir, parce qu'il y a déjà un lien.

Évidemment, il n'y a pas de formule simple et universelle pour résoudre ce problème, mais l'idée de renoncer complètement est démoralisante. « C'est tellement déprimant d'imaginer ne pas pouvoir faire changer quelqu'un d'opinion quand il s'agit de racisme, d'homophobie ou de misogynie, dit Julie Lalonde. Nous n'en serions pas là où nous en sommes si les gens étaient incapables de changer d'avis. »

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