Ross From Friends va-t-il sauver la house lo-fi ?
© Fabrice Bourgelle / Brainfeeder

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Music

Ross From Friends va-t-il sauver la house lo-fi ?

Spoiler : il n'en a rien à foutre, nous non plus, et c'est très bien comme ça.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

Que reste-il de la house lo-fi ? Souvenez-vous, il y a de cela encore une paire d'années, ce genre qui n'en a jamais vraiment été un se voyait quand même intronisé symbole ultime du post-modernisme en musique par ceux qui n'avaient rien d'autre à faire que se demander où était le cool - et quelques sites anglais spécialisés. L'esthétique qui semblait lier sous cette appellation certains artistes aux patronymes plus ou moins rigolos ne se cantonnait pas (seulement) à une harmonie dans le son (plutôt rugueux et en basse définition, donc), mais également à un esprit général régressif, de préférence branché sur l'ironie sympa et les années 90 (attention à ne pas confondre la house lo-fi avec l'outsider house qui l'a précédée, plus premier degré et un peu moins aimable de prime abord).

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Un temps, tout ça avait l'air tellement reproductible à l'infini qu'on s'est même demandé si la musique des Ross From Friends, DJ Boring et DJ Seinfeld n'était pas juste une affaire de blagues et d'algorithmes, comme si créer un vrai/faux sous-genre de musique électronique sur Internet dans notre tourment post-moderne ne se résumait plus que jongler avec des référents et des symboles communs et identifiables pour faire remonter sa musique sur Youtube – c'est comme ça, entre autres, que le « Winona » de DJ Boring s'est retrouvé avec des millions de vues sur la plateforme en question.

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(c) Fabrice Bourgelle

Seulement voilà, comme souvent avec ce type d'épiphénomène branchouille, la question est un poil plus compliquée que cela. Rétrospectivement déjà, lorsqu'on écoute leur musique (ce qui est tout de même pas mal lorsque l'on veut juger sur pièce quelque chose), on se rend compte que ces artistes devraient être considérés en tant que tels, et non comme le simple fruit de tropes générationnels copiés-collés jusqu'à saturation. Pour en revenir à ses têtes de gondoles suscitées, si DJ Boring semble s'être perdu dans les méandres d'une formule dont il peine à s'extraire, le Suédois DJ Seinfeld sortait l'année dernière un album aux synthés luxuriants (bien qu'un peu répétitif dans l'exécution). Surtout, on se rendait compte que ces faux pitres portaient en eux une véritable mélancolie, comme pour mieux cacher le maquillage de clowns qu'ils voulaient bien arborer. DJ Boring, avec son morceau sur « Winona Rider », convoquait sa propre vécu de victime des cours de récré (en faisant ressortir à l'écran celui de l'actrice), tandis que Seinfeld (dont le premier pseudo avait été Rimbaudian, en référence au poète français) ne tirait pas son nom d'une blague de télé, mais faisait référence à une rupture amoureuse douloureuse, qu'il avait réussi à surmonter en regardant la sitcom en question en boucle.

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Le faux-semblant est encore plus criant avec Ross From Friends, et devient d'autant plus surprenant que celui des trois qui s'amuse le plus de son patronyme soit justement le plus intéressant du lot – contrairement aux autres, il ne se cache pas que son nom ne soit pas autre chose qu'une boutade.

Sa musique est pourtant celle dont la barque est la plus chargée émotionnellement ; il n'y a qu'à jeter un œil (et une oreille) à sa Boiler Room sortie en décembre dernier pour voir d'office le décalage entre l'emballage et la contenance, le contenu et le contenant : la deep house qu'il y déploie est portée par des nappes somptueuses, des saxos et des basses tristes et aquatiques. Il y a tout de même cet amusement de gosse pour désamorcer un éventuel côté emo et/ou studieux, avec le guitariste qui fait semblant de jammer comme un guitar hero en carton. Pour aller vite, c'est tout sauf du Nicolas Jaar lorsqu'il sort en live des « vrais » instruments.

Pour ma part, le changement de perception de la musique de Ross From Friends s'est opéré avec le maxi Aphelion, sûrement la plus belle chose qu'il ait produite jusqu'ici, que le jeune homme publiait en début d'année sur Brainfeeder, le label de Flying Lotus - ce qui est toujours un gage de qualité. Porté par « John Cage », un single tout en langueur et volutes palmiers-cocotiers, le disque aurait pu passer pour un énième clin d'œil ou coup de coude adressé à tous les ironistes de ce monde, surtout si l'on se fie à son seul titre hipsterisant et facile (allez, on name-droppe l'un des plus grands noms de la musique expérimentale du XXe siècle, juste pour le fun). Pourtant, « John Cage » s'avère être un morceau délicieux, qui a plus à voir avec la bedroom et la twee pop qu'avec n'importe quelle cochonnerie post moderne de petit malin - comme, au hasard, n'importe quel truc de PC Music. Sous l'empaquetage, la musique parle d'elle-même : ce qu'on y entend, c'est un gamin comme tant d'autres (il a 24 ans) qui produit de la musique en 2018 comme tous les autres, c'est-à-dire directement depuis sa chambre, où il a emmagasiné tout un tas de jouets et d'impressions disparates, qu'il dispense et disperse avec la confusion et la fraicheur de ceux de son âge.

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Car Ross From Friends, de son vrai nom Felix Clary Weatherall à l'état civil – c'est sûrement un signe - est un gamin londonien de 2018 tout ce qu'il y a de lambda, il fait du skate, a un père passionné de house music qui lui en a fait souper depuis petit, et a eu bien de quoi se faire les dents depuis qu'il est entré en musique. Passé de son propre aveu par tout un tas de groupes et de projets, il a eu le temps de murir sa musique, laquelle apparaît aujourd'hui en public comme elle devrait toujours : après avoir eu le temps de murir et de se former, loin des projecteurs et des regards avides.

Sur son premier album, Family Portrait, qu'il livre à la fin du mois toujours chez Brainfeeder, on retrouve également le morceau « Don't Wake Dad », déjà présent également sur Aphelion. Seulement, les choses se corsent un peu (mais pas tant que ça) : l'album n'est pas tant une complication de forme (le sample des pionniers post punk Crash Course In Science sur « Thank God I'm A Lizard » vient y côtoyer le sinueux single « Project Cybersyn », en plus d'effluves vaporwave présents tout au long du disque) que le signe d'une confusion des genres, symbole, selon l'intéressé, « de sa propre instabilité émotionnelle ». Et si la nostalgie est toujours le maitre mot, elle n'est aujourd'hui plus l'apanage d'une coolitude au rabais. Comme enfin dépossédée de son vernis, elle permet d'y voir plus clair et apparait enfin comme ce qu'elle a toujours été : une musique de loner aussi autiste que délicieusement cabossée.

Après être passé par le festival parisien Peacock Society le week-end, Ross From Friends jouera à Dour ce samedi.
Le premier album de Ross From Friends, Family Portrait, sortira fin juillet sur Brainfeeder.

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