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Santé

Ce qu’on peut déduire si les personnes qui ne marchent pas vite vous frustrent

Les chercheurs commencent à prendre la rage du trottoir au sérieux.
Christopher Burns/Unsplash

Cet article a d'abord été publié sur Tonic.

Vous l’avez certainement déjà ressentie au moins une fois, si ce n’est pas tous les jours : une rage profonde qui se propage soudainement en vous jusqu’à vous envahir entièrement quand vous êtes coincé derrière quelqu’un qui marche lentement. Contre les personnes qui errent doucement les yeux fixés sur leur téléphone, les duos ou les trios qui forment une infranchissable barrière à peine mobile ou des touristes qui font ce que font les touristes, entre autres, les déversements de haine sont légion en ligne.

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C’est devenu si courant que la communauté scientifique lui a donné un nom : la rage du trottoir. Leon James, psychologue à l’Université d’Hawaï et spécialiste du phénomène, le compare à la rage au volant. Si l’on parle souvent de la rage du trottoir comme d’une irritation intérieure, ou « d’une évacuation mentale intime sous la forme d’hypothèses irrationnelles concernant d’autres piétons », cette irritation peut dégénérer en fantasmes « d’actes violents contre les personnes qui bloquent le trottoir sans égards aux autres » chez certaines personnes, jusqu’à « l’expression d’hostilité et d’agressivité » chez d’autres, note-t-il. Pourtant, peu de gens savent d’où vient cette rage ou pourquoi elle est — parfois ou toujours — plus intense chez certains que chez d’autres.

Ceux qui la ressentent laissent souvent entendre que c'est parce qu’ils ont raison de marcher vite. Ils rapportent parfois que des études affirment que ceux qui marchent vite risquent moins de souffrir d’une maladie cardiaque ou d’Alzheimer ou encore d’aggraver un cancer de la prostate que ceux qui marchent lentement.

(La causalité entre la vitesse de marche et les résultats observés dans ces études reste incertaine; la vitesse de marche pourrait n’avoir aucun effet sur eux et être prise à tort pour le facteur causal.)

Ils soutiennent surtout que ceux qui marchent lentement contreviennent à des règles sociales implicites relativement à l’utilisation du trottoir. (Circulez à droite, suivez le rythme du trafic piétonnier, regardez où vous allez, ne vous regroupez pas si vous marchez avec d’autres et, pour l’amour du ciel, déportez-vous vers un des bords du trottoir si vous tenez à vous arrêter ou à ralentir.)

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Les psychologues pensent que la rage que certains d’entre nous ressentent découle principalement de nos attentes et de notre état émotionnel. Beaucoup de gens marchent en mode pilote automatique réglé selon le temps qu’ils ont à leur disposition pour se rendre à destination, selon Marc Wittmann, de l’Institute for Frontier Areas of Psychology and Mental Health. Quand une personne entrave leur chemin, ils doivent suspendre le mode pilote automatique, et « plus on est en mode pilote automatique », dit Wittmann, « moins on prend bien les ralentissements soudains ».

Cette insatisfaction des attentes cause du stress. Mais bien sûr, c’est encore plus stressant si l’on était déjà stressé avant de devoir ralentir. De plus, si ce ralentissement cause de la rage, celle-ci peut modifier notre perception du temps. La perte de maîtrise de soi et la colère nous donnent l’impression que l’on passe une éternité derrière la personne lente, et par conséquent on en est davantage irrité.

Il n’est pas étonnant que les résidents des villes vivent plus de ces épisodes de rage du trottoir que ceux de la campagne. Comme le note Marc Wittmann, les centres urbains semblent exiger un rythme de marche rapide, et les obligations de la vie moderne émoussent notre patience. Et la compétition pour préserver son espace personnel peut également déclencher ou exacerber cette rage, selon Leon James. Il est donc relativement fréquent pour un citadin qui marche vite, parce qu’il est occupé et impatient comme beaucoup le sont, de se heurter à un piéton qui réduit sa vitesse et accroît son stress.

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La vie moderne en ville, cependant, n’est pas le seul facteur de la rage du trottoir, explique Leon James. C’est selon lui un comportement social acquis, par l’entremise de nos parents ou des médias. La façon dont on a appris en grandissant à réagir aux inconvénients en général joue également un rôle important sur le trottoir.

Selon lui, ce serait un problème croissant, ce qui est logique puisque le rythme de la vie moderne, en particulier en ville, devient plus rapide et, pour beaucoup, plus stressant. Si bon nombre d’entre nous voient ça comme un léger désagrément de la modernité, Leon James, lui, y voit « une crise de santé publique que l’on doit régler et renverser » pour réduire la violence qu’elle engendre à l’occasion, favoriser notre bien-être, et hausser la civilité dans les espaces publics.

Heureusement, il n’est pas trop difficile de calmer la rage sur le trottoir quand elle survient. Habituellement, lorsqu’on est irrité par une personne qui marche lentement — ou qui marche vite et essaie de nous doubler, fait remarquer Leon James — on fixe notre attention sur le comportement jugé « incorrect » de l’autre piéton, ce qui intensifie les émotions négatives. On a aussi tendance à se concentrer sur des sources de stress, comme l’heure à laquelle on doit arriver. Il suffit de s’écarter de ces schémas psychologiques, selon lui, par « la motivation et l’autoformation » dans la vie quotidienne.

Il s’agit simplement de s’arrêter et de se rendre compte du moment où l’on commence à ressentir de la rage, de disséquer ce sentiment et de reconnaître qu’une personne n’est pas le mal incarné parce qu’elle marche à son rythme. On doit aussi reconnaître qu’on va vite et qu’on a probablement besoin d’apprendre à se relaxer s’il n’y a rien à faire pour échapper à un désagrément, suggère Marc Wittmann. « On est un humain plus heureux, dit-il, quand on peut passer d’un état à l’autre. On maîtrise ainsi mieux ses émotions et sa vie. »

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On peut rejeter l’idée que l’on doit changer, insister que ce sont ceux qui ne marchent pas vite qui enfreignent une règle culturelle et morale. Mais on risque de sentir monter la rage du trottoir fréquemment tout au long de sa vie. Si l’on veut vaincre ces émotions, il n’est pas si difficile de changer ses perceptions et de parvenir à la maîtrise de soi, car il existe de nombreux exercices simples que l’on peut faire pour y parvenir. « Je conseille aux gens tendus de se rendre dans un supermarché et de choisir la file la plus longue aux caisses, explique Marc Wittmann. Dites-vous : “J’ai maintenant du temps pour moi et je peux me détendre un instant.” » Acceptez qu’il est normal de ralentir de temps à autre, que c’est peut-être même un cadeau que vous vous faites, si vous acceptez de le voir ainsi plutôt que d’« exprimer votre hostilité » envers ceux qui ne vont pas à votre vitesse.