Les érections divisent les nudistes depuis des décennies
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Les érections divisent les nudistes depuis des décennies

Des naturistes soutiennent qu’il n’y a rien de plus naturel qu’une occasionnelle et accidentelle montée d’excitation.
Lia Kantrowitz
illustrations Lia Kantrowitz

Bien qu'un petit pour cent de la population américaine admette s'être déjà mise à poil en public et qu'encore moins affirment se dévêtir pour socialiser de façon régulière, le naturisme conserve une aura de monde utopique. Ceux qui le pratiquent parlent, de façon assez convaincante, d'une libération qui aide chacun à parvenir à l'acceptation de soi, à renouer avec la nature et à y retrouver sa place originale. L'attrait qu'exerce cette vision a permis au naturisme social, en tant qu'activité sporadique pour certains et mode de vie pour d'autres, de persister depuis près d'un siècle et même de prendre lentement de l'ampleur : on compte aujourd'hui 200 plages, camps ou complexes hôteliers naturistes aux États-Unis.

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Cependant, des facteurs sociaux font obstacle à l'expansion du naturisme. Comme le relèvent d'ailleurs certaines publications naturistes, beaucoup d'hommes, à l'idée de se retrouver flambant nus dans ces lieux parfois familiaux, s'inquiètent de voir surgir une érection intempestive. La plupart des groupes naturistes ont une réponse simple à ce problème.

En se basant sur des études sur le naturisme et les cultures dans lesquelles la nudité est la norme depuis des années, ainsi que sur leurs observations et leur analyse, les naturistes assurent que les érections ne surviennent que rarement quand on est nu en public. « La première fois qu'un homme est nu dans un milieu social naturiste, il est d'habitude trop nerveux pour avoir une érection », m'a dit Nicky Hoffman de la Naturist Society et directrice de la rédaction au magazine Nude and Natural. « Après, il se rend compte que la nudité n'est pas sexuelle, que c'est plutôt un mode de vie. Par conséquent, il n'y a pas d'érection. »

N'empêche qu'elle reconnaît que des érections peuvent parfois se présenter de façon inattendue. Bien que beaucoup de groupes se montrent compréhensifs, elle précise qu'« on ne veut certainement pas voir plusieurs hommes en érection déambuler autour de nous ». Une érection pourrait être vue comme un signe d'attirance sexuelle indésirable ou le résultat d'un voyeurisme qui met tout le monde mal à l'aise. Le protocole habituel pour un homme victime de priapisme, m'explique Nicky Hoffman, est de porter une serviette ou un vêtement pour se couvrir. Les naturistes ont normalement avec eux une serviette sur laquelle ils s'assoient et des vêtements à proximité en cas de conditions météorologiques défavorables à la nudité.

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Il semble donc qu'il n'y ait pas de problème. Or, tous les nudistes ne sont pas de cet avis. Dans des forums, de jeunes hommes se plaignent que les règles des naturistes les forcent à voir un phénomène physique naturel comme un tabou, un inconvénient ou une honte. Ils rappellent que beaucoup d'hommes bandent par réflexe (plutôt qu'en raison d'une excitation sexuelle) plusieurs fois par jour, parfois justement à cause de la pression sanguine associée à des émotions comme le stress et, d'autres fois, surtout chez les jeunes, en raison de fluctuations hormonales. À leurs yeux, si l'on considère toutes les érections comme des signes d'une attirance sexuelle indésirable qu'il faut cacher, on trahit le cœur de la philosophie naturiste.

J'ai demandé à Nicky Hoffman son avis sur les érections par réflexe et la suppression d'un phénomène physique naturel par courriel, mais je n'ai pas eu de réponse. « À certains endroits, il y a de la répression et à d'autres, non », a noté Brian Hoffman (aucun lien de parenté avec Nicky) dans son livre Naked: A Cultural History of American Nudism. Il estime qu'il est inusité que la culture nudiste essaie d'éradiquer tout signe d'érotisme. D'après lui, même si le nudisme brise le lien entre la nudité et la sexualité, il n'est pas exclu que des personnes qui le pratiquent soient excitées de temps à autre, et c'est naturel.

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À bien y regarder, ajoute-t-il, « le nudisme a survécu aux États-Unis en maintenant sa respectabilité dans toutes les facettes possibles ». Pour ce faire, il a souvent fallu mettre de l'avant le naturel du naturalisme et cacher tous les signes de virilité ou d'érotisme. La volonté de supprimer les érections a pris beaucoup d'importance dans les années 50, quand des soldats de retour de la Deuxième Guerre mondiale (qui, écrit Brian Hoffman, ont utilisé en grand nombre des magazines de naturisme pour s'inspirer à défaut de magazines pornos) ont décidé d'aller visiter les camps de naturistes, souvent seuls. « Ces visites d'hommes célibataires soulevaient la question de leurs intentions », observe-t-il. L'érection d'un homme célibataire, surtout un étranger dans des cercles de naturistes assez fermés, faisait planer le « spectre de l'homosexualité ou de l'adultère » à une époque où l'un et l'autre étaient condamnés, à l'instar de la pédophilie. « On peut voir le corps humain sans vêtements de multiples façons, ajoute-t-il. Si l'on ne connaît pas l'origine de l'érection : on peut y voir le meilleur ou le pire. »

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D'où la série de règles qui est apparue. Non seulement on a réprouvé les érections et dans certains cas jugé qu'il y avait matière à expulsion, mais on a aussi refusé l'entrée à des hommes célibataires. On a aussi interdit les manifestations d'affection qui dépassaient la poignée de main ou l'étreinte ainsi que les sous-vêtements érotiques.

Il est tentant de croire que la lente acceptation de la sexualité dans la société a rendu certaines de ces règles dépassées. Brian Hoffman mentionne qu'il y a d'ailleurs eu une forte vague de contestation contre le conservatisme au sein du nudisme dans les années 60 et qu'il y a eu et il y a toujours une branche du nudisme qui rejette la position dominante sur l'érection, vue comme hypocrite, archaïque et contraignante.

La peur des avances sexuelles indésirables, des normes sexuelles masculines négatives, des pédophiles et des agressions sexuelles reste légitime et pertinente, surtout dans les communautés où tous les nudistes ne connaissent pas tous ceux qu'ils côtoient. De plus, ces plages, camps ou complexes ne se relèveraient peut-être pas d'un scandale, car il détruirait leur image publique et leurs finances. Dans ce contexte, réduire au minimum les signes d'érotisme inappropriés ou mal interprétés n'est que de la prudence.

Le débat autour des pénis de nudistes se poursuit donc. Toutefois, même dans les lieux grand public, on fait probablement preuve de beaucoup de tolérance en soirée ou entre habitués qui se connaissent bien, croit Brian Hoffman. « Il y a ce qu'on dit en public et ce qui se passe pour vrai, conclut-il. Mais est-ce qu'en public, l'American Association for Nude Recreation se dira ouverte aux érections? Non. »

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