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Une passeuse de coke québécoise nous raconte sa vie dans une prison tropicale

« Ils ne nous fournissent rien ici : pas de papier de toilette ni de brosse à dents. Si tu n'as pas d'argent, tu ne survis pas. »
Le glamour d'une prison d'Amérique centrale. Photos fournies par la détenue

L'avenir demeure incertain pour Isabelle Lagacé et Mélina Roberge, ces deux Québécoises arrêtées à bord d'un bateau de croisière en Australie avec des valises remplies de dizaines de kilos de cocaïne. Les jeunes femmes, qui avaient assidûment documenté leur périple international sur Instagram, risquent la prison à vie.

Lagacé et Roberge ne sont pas les premières Canadiennes ayant raté leur coup. Plus tôt cette année, VICE a contacté une Montréalaise qui croupit dans une prison d'Amérique centrale depuis plus d'un an parler de son expérience. Accusée de trafic de cocaïne, elle est toujours en attente de son procès.

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Comme plusieurs amis et membres de sa famille ne savent pas qu'elle est incarcérée à l'étranger, elle nous a demandé de cacher son identité.

VICE : Comment t'es-tu retrouvée dans cette situation?
Je voyageais avec deux kilos de cocaïne que je devais rapporter à Montréal, mais ça s'est mal passé. Je ne peux pas en dire plus sur le « qui », le « pourquoi » ou le « comment ».

Es-tu partie avec l'intention de transporter de la cocaïne?
Oui, je savais dès que j'ai quitté que j'allais transporter de la drogue de l'Amérique centrale vers le Canada. Bien entendu, on m'avait dit que je n'allais pas me faire prendre et je ne pensais pas me retrouver en prison.

Qu'est-ce qu'on t'avait donné comme instructions?
Ça, je ne peux pas répondre.

As-tu été payée?
Oui, mon voyage a été payé, plus l'hôtel et quelques dépenses. On allait aussi me payer 10 000 $ à mon retour au Canada.

Connaissais-tu d'autres personnes qui avaient fait ce genre de voyage avant de t'embarquer?
Non, je n'en connaissais pas d'autres. On m'a dit qu'il y en avait d'autres, mais je n'ai jamais pu les rencontrer.

C'est comment, la vie derrière les barreaux?
C'est plutôt tranquille. Les agents de sécurité nous laissent faire à peu près ce qu'on veut.

Dans les wings, il n'y a pas de cellules. Il y a des lits deux étages partout et on est à peu près 100 détenues par wing. Il y a 10 wings au total, en plus de la maxima, où on t'enferme pendant un mois quand tu te comportes mal.

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Ils ne nous fournissent rien ici : pas de papier de toilette ni de brosse à dents. Si tu n'as pas d'argent, tu ne survis pas. Et dans la wing, il n'y a aucun agent de sécurité pendant la nuit. S'il arrive quelque chose, on doit les appeler en criant, car elles sont dehors et notre porte est fermée.

Sais-tu combien de temps tu vas devoir passer là-bas? As-tu un avocat?
Pour le moment, j'attends encore d'avoir un avocat. L'ambassade du Canada est censée m'en envoyer un, mais ça fait six mois que je l'attends.

L'ambassade me visite tous les trois mois pour voir si je suis en santé physiquement et mentalement. Mais à part ça, il n'y a pas d'aide. Je ne pense pas que le gouvernement puisse faire grand-chose pour moi. S'il le pouvait, il le ferait.

Pour l'instant, j'attends de passer en cour, ce qui prend environ un an. Lorsque j'aurai ma sentence, je pourrai faire une demande de transfert vers une prison au Canada, mais ça prendra environ trois ans.

Tu vas aussi devoir faire de la prison au Canada?
Oui, je vais devoir faire de la prison au Canada aussi, mais pas pour longtemps vu que j'aurai sûrement déjà servi plus du tiers de ma peine ici.

Comment te sens-tu face à tout ça?
Sincèrement, je me surprends moi-même. Je n'ai jamais déprimé. Des fois, je me sens désespérée et je veux revoir ma famille et mes amis à tout prix. Je sens que je perds mon temps, que je gaspille ma jeunesse ici. Mais je garde espoir et la tête haute, et, au plus profond de moi, j'ai le pressentiment que je ne vais pas rester ici longtemps. Même si c'est un faux espoir, vaut mieux avoir de faux espoirs qu'aucun espoir dans cette situation.

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Si on se fie à ton compte Instagram, tu sembles avoir un bon réseau d'amies là-bas [Elle et ses codétenues publient beaucoup de photos sur les réseaux sociaux, NDLR].
Non, je n'ai pas vraiment d'amies ici, sauf une. Ici, personne ne t'aide vraiment : elles veulent quelque chose en échange. Les autres, ce sont plus des connaissances.

Est-ce qu'elles sont toutes là pour un peu la même raison que toi?
Oui, c'est assez commun. Ça arrive beaucoup plus qu'on ne le croit. Beaucoup de filles qui sont ici en étaient à leur troisième, quatrième ou même cinquième voyage. Les passeurs trouvent des moyens de plus en plus sophistiqués pour cacher la drogue. Moi, c'était dans ma valise, cachée dans un double-fond. Dans le cas de mon « amie », la cocaïne était imprégnée dans ses vêtements.

Comment ça se passe avec la personne qui t'a demandé de faire ça? Est-elle en prison aussi? As-tu une dette à lui rembourser quand tu reviendras au Canada?
Je ne parle plus à la personne qui m'a envoyé ici, car elle ne m'aidait pas financièrement, ce qu'elle m'avait dit qu'elle allait faire. Je ne vois pas pourquoi je devrais lui parler. Elle ne m'est d'aucune aide.

Et non, je n'ai pas de dette et je ne pense pas qu'elle va oser m'en imposer une. Je ne sais pas si on se reparlera. Pour le moment, on n'a aucun contact.

Moi, je fais ma part. Je fais mon temps et je garde le silence. Et non, la personne n'est pas en prison et je ne pense pas qu'elle finira derrière les barreaux comme moi. Se retrouver en prison, sincèrement, je ne le souhaite à personne. C'était ma décision et je connaissais les risques.

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Est-ce que tu as l'intention de la dénoncer? Aurais-tu une peine plus clémente?
Non, je n'ai aucune intention de la dénoncer, car je savais dans quoi je m'embarquais et c'était un risque que je prenais en faisant ce voyage. Cette personne et moi, on s'entendait bien et je sais qu'elle ne voulait pas que ça se passe mal. J'espère juste qu'elle arrête de faire ça parce qu'un jour ou l'autre, elle pourrait finir comme moi, derrière les barreaux.

Est-ce que cette personne était liée au crime organisé?
Je ne pense pas.

Qu'est-ce que les Canadiens devraient savoir à ce sujet?
Le marché de la drogue rapporte beaucoup d'argent. Les trafiquants vont bien te payer, car tu prends un risque, mais le profit qu'ils font sur ta tête est énorme. C'est comme jouer à pile ou face. Pile : tout se passe bien, ton voyage est payé, tu passes du bon temps et tu gagnes 10 000 $. Face : tu te fais prendre et tu perds tout : ton travail, tes amis, ta famille.

En prison, tu vis dans des circonstances horribles et tu peux oublier tout ce que tu connais de la vie civilisée. Je ne suis pas fière de ce que j'ai fait et c'est pour cela que je reste anonyme. Je ne conseille à personne d'essayer, ou même d'y penser.

C'est ici que tu te rends compte que t'es toute seule et que ceux qui t'ont envoyée ne t'aideront pas pour longtemps. Ils finissent par se tanner. Ils veulent faire de l'argent et non la gaspiller pour t'aider à survivre.

Le trafic international, ce n'est rien de rare. Ce n'est pas comme dans les films de Pablo Escobar ou d'El Chapo Guzman. La plupart des filles dans la prison menaient des petites vies tranquilles, ont des enfants et avaient un bon travail au niveau de la société. N'importe qui peut se faire proposer de faire passer de la drogue. Des fois, ils te disent que ta récompense va être de l'argent ou d'autres choses, mais ne faites confiance à personne!

* Cette entrevue a été éditée à des fins de clarté et de longueur.