Sur Instagram, elles fument des joints comme s’il n’y avait pas de lendemain
Photo par Vanessa-Lyn Mercier

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Drogue

Sur Instagram, elles fument des joints comme s’il n’y avait pas de lendemain

Elles sont plusieurs femmes à documenter leur consommation de cannabis sur Instagram avec de jolies photos enfumées. On a voulu savoir pourquoi.

Avant, quand on pensait à une fumette de weed, on avait en tête un dude de type Seth Rogen qui rit tout seul, bien écrasé dans son sofa, manette de jeux vidéo à la main, entouré d’une mer de boîtes de pizza. Il y a un peu d’exagération ici, mais l’image générale et clichée autour du weed qui perdure depuis des années, c’est celle d’un gars assez vedge qui fume pour planer. De nos jours, aux côtés du stoner aux yeux rouges, il y a aussi des filles pas très loin de l’influenceuse type d’Instagram qui boit une eau citronnée avec sa tartine à l’avocat. Sauf qu’en plus, elles documentent leur consommation de cannabis de façon complètement décomplexée.

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Pour elles, le but, c’est de promouvoir le cannabis comme acte de self-care féminin et féministe. Comme prendre un bain, allumer une chandelle, se rouler la bille. Ou, dans ce cas-ci, un joint.

La photographe Vanessa-Lyn Mercier, connue sur Instagram sous l’alias @FallforVee, s’inscrit totalement dans ce courant pas juste esthétique. Oui, les photos qu’elle crée reflètent un moment doux et enfumé, mais c’est plus que ça. C’est une question de santé, et de liberté.

On lui doit les photos de la boutique en ligne montréalaise d’accessoires de cannabis Allume, ainsi que le compte d’inspiration High Love Club. Pour elle, la plante verte a changé sa vie. Sans exagérer. Aux prises avec les problèmes de santé nommés spondylarthrite ankylosante et polyarthrite psoriasique depuis son enfance, Vanessa engloutissait une tonne d’antidouleurs, y compris de la morphine, ainsi que des anti-inflammatoires juste pour continuer à fonctionner. Parfois, elle devait se déplacer en chaise roulante, parce qu’elle était incapable de marcher.

Ça, c’est avant qu’elle découvre le cannabis il y a quelques années. « Ce qui est arrivé, c’est qu’un jour j’étais dans mon salon avec mon copain, qui consomme du cannabis médical depuis plusieurs années pour son arthrite. Il m’a dit : “S’il te plaît, essaie de fumer deux puffs de ce joint-là et dis-moi comment tu te sens après.” Cette soirée-là, je ne pouvais pas marcher, j’étais couchée sur mon divan. J’ai fumé, et puis après, je dansais dans mon salon! Ça, ç’a été ma découverte du cannabis, qui a été plus médicale que récréative, je dirais! » Depuis ce temps, celle qui habite à l’Île-du-Prince-Édouard, une ordonnance de cannabis médical en main, ne prend plus aucun antidouleur, que des huiles, des plantes sèches, des concentrés, des crèmes et autres.

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C’est par la suite qu’elle a voulu illustrer en photos son parcours avec le cannabis médical. « Je trouvais qu’en tant que femme, il n’y avait pas beaucoup de choses dans le marché que j’aimais et qui me ressemblait. C’est pour ça que j’ai commencé à documenter la façon dont je consommais du cannabis de façon médicale. » L’impact s’est fait ressentir, surtout pour les femmes qui craignaient de consommer en public. « C’est vraiment difficile de se dissocier de l’image de la stoner girl. Il n’y a rien de mal avec cette image-là, mais moi, ce n’est vraiment pas mon style et je ne peux pas m’identifier à ça. Il y a beaucoup de femmes qui me disent “Merci de faire ça d’une façon qui est accessible”, qui pourrait plaire à ta grand-mère, genre! »

Les lieux qu’elle choisit de photographier, des plages sablonneuses, des forêts verdoyantes et l’intérieur de sa chambre, ne sont pas anodins : « Le moment où je consommais du cannabis, c’était le seul moment où je me sentais assez bien pour aller prendre une marche dans le bois, explique-t-elle. Pour moi, c’est devenu comme une obligation, j’aime vraiment montrer aux gens que consommer du cannabis, ce n’est pas juste être dans ton salon et regarder la télé. »

Au fil de la conversation, Vanessa mentionne la militante Annie MacEachern, avec qui elle organise des conférences sur le cannabis expressément pour les femmes à Charlottetown et à Halifax. Cette dernière se définit comme une « cannabis cruisader » qui se bat pour les droits des patients consommateurs de cannabis médical et qui documente également ses moments teintés de boucane sur son compte Instagram, @_canniebis, dans un style vaguement seventies.

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En entrevue téléphonique, Annie parle du cannabis avec passion. C’est que sa consommation, d’abord récréative puis pour des raisons médicales, lui a permis de littéralement « tomber amoureuse d’elle-même ». Cette confiance renouvelée transparaît dans ses photos au mood intime et sensuel, et c’est ce qu’elle cherche à communiquer. « J’ai toujours cru que les hommes devaient me dire que j’étais sexy. Mais, quand j’ai commencé à consommer du cannabis seule, j’étais dans ma chambre et, comme c’était l’heure du coucher, je me déshabillais. De la musique jouait, alors je dansais et je me disais “oh mon Dieu, je suis trop sexy!”, s’exclame-t-elle. Et je me suis débarrassée de toutes les idées que j’avais au sujet de mon corps. Le cannabis m’a vraiment permis de tomber amoureuse de moi en tant que femme. »

Son appréciation du cannabis a décuplé pour des raisons quasi ésotériques. « Et c’est une plante femelle non?! C’est ce qui rend le tout si beau. Je connecte tellement profondément avec elle. C’est une plante médicinale et je pense sincèrement qu’elle me parle », ajoute-t-elle. Mais, sa consommation de cannabis l’a transformée de manière bien concrète. « Ça m’a donné une autonomie dans la prise en charge de ma santé. Ça m’a donné une autonomie dans mon amour de moi-même. Je ne ressens plus le besoin de me faire dire par mon partenaire que je suis belle ou sexy : je me sens sexy maintenant. Je peux réellement apprécier mon corps, dit-elle. Et parce que j’en suis arrivée à cette réflexion lors de ma consommation de cannabis ne veut pas dire que je me sens ainsi seulement quand je consomme. Le changement a eu lieu. Le cannabis m’a simplement aidée à faire ressortir ces sentiments d’amour. »

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La jeune femme a souvent pris la parole publiquement pour conscientiser la population sur les enjeux du cannabis médical auprès de différentes instances politiques. Et si elle se fait une mission de diffuser sa consommation sur Instagram, c’est aussi pour transmettre l’information scientifique qu’elle accumule au fil de ses recherches aux autres femmes de sa communauté. « J’adore transmettre ce que j’ai appris sur le cannabis parce que c’est ce qui m’a rendue forte et autonome. Plus j’en apprenais sur les effets différents du cannabis, plus je me sentais en contrôle en le consommant et plus je pouvais contrôler ce que j’allais ressentir, et je pense que c’est exaltant de faire connaître ce que j’ai appris, spécialement avec d’autres femmes. »

Parce qu’il y a un réel effort à faire pour convaincre les femmes de s’intéresser au cannabis. Pour Annie, c’est partiellement en raison de l’imagerie, bardée de couleurs criardes et de feuilles de cannabis, traditionnellement associée à la culture du weed. « Je crois que c’est l’une des raisons pourquoi les femmes ne se sentaient pas tellement attirées par la culture du cannabis dans le passé. Parce que les couleurs qui y sont associées sont les couleurs rastafari. C’est super pour Rihanna, mais peut-être pas pour le reste des femmes, qui ne portent pas de rouge, jaune et vert sur une base régulière. Nous sommes attirées vers des teintes plus douces. » En plus, le message véhiculé par la culture stoner ne la rejoint pas du tout. Elle l’associe aux films comme The Hangover, qui font la promotion de la consommation à outrance et de l’excès. Elle précise que « quand tu consommes de manière réfléchie, avec l’intention de t’aider et de t’aimer, il y a une grande possibilité de hausser ton bien-être. J’essaie d’utiliser cette possibilité pour modeler une nouvelle culture de modération et de consommation consciencieuse. Pas seulement pour se geler la face. »

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Mais il y a un mais. Car si cette nouvelle esthétique du cannabis présente des femmes libérées et heureuses de diffuser des images de joints roulés dans des papiers à motifs girly, il reste que ce ne sont pas toutes les femmes qui s’identifient à cette esthétique très propre, et, souvent, très blanche. L’une d’elles, c’est D.M. Brooks. L’Afro-Américaine de 22 ans originaire du Midwest américain habite maintenant Washington D.C., où le cannabis récréatif est légal, et n’hésite pas à parler franchement de représentation sur Instagram. Sur son compte @d.m.blunted, ses photos la montre, toujours bien fringuée, dans son appartement à la déco très milléniale, entourée de plantes et de cristaux, là où un joint n’est jamais bien loin.

« Mon petit groupe de 2000 abonnés ne représente pas grand-chose, mais le but, c’était de former une communauté sécuritaire, pour moi-même et pour ceux qui souhaitent être représentés et d’avoir une voix plus sociale à propos du cannabis, plus juste esthétique… Je m’excuse, je suis un peu gelée et j’ai oublié ta question! », dit-elle en rigolant. En rassemblant ses pensées, elle réalise que sa consommation de cannabis est rattachée à une importante prise de conscience sociale. « Je pense que le moment où j’ai commencé à fumer du cannabis coïncide avec celui où je suis devenue plus consciente, en général, mais aussi socialement consciente de mon identité noire, de ma place dans le monde et de celle du cannabis. Le cannabis m’a donné la confiance pour m’exprimer, pour moi-même et pour les autres. Et pour aimer être Noire, parce que c’est vraiment interrelié, enchaîne-t-elle. L’industrie s’est bâtie sur le dos des personnes noires, mais j’en suis exclue… Le cannabis m’a fait réaliser que j’ai le droit d’en faire partie autant que les autres. C’est magnifique. »

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Les préjugés autour de la consommation de weed s’estompent peu à peu, mais pas pour tous, car la jeune femme juge que les personnes de couleur se font plus souvent tester pour la drogue dans leur milieu de travail et ont plus de risque d’avoir des problèmes avec la police. C’est pourquoi la question de la représentation est cruciale pour elle. « Tu restes “l’autre” si tu n’es pas blanche. Les préjugés ont changé pour les femmes blanches, oui, mais ça n’a pas vraiment changé pour les femmes noires, et je l’exprime sur Instagram, explique-t-elle. Quand je fume et que je publie une photo, je brise les préjugés que d’autres n’ont pas brisés pour moi. Je le fais pour moi et pour toutes les autres femmes noires. » Elle est d’avis que, même si les choses évoluent pour les femmes dans l’industrie du cannabis, les femmes noires, elles, sont toujours écartées.

Dans le but de proposer un point de vue différent, elle alimente sa page Medium de textes revendicateurs et a récemment lancé le compte Instagram lifestyle @Hazythings, qui deviendra un magazine web sur le cannabis. « L’idée, ce n’est même pas de me suivre sur Instagram, ce n’est pas ça l’idée. Sortez de votre zone de confort pour suivre des femmes qui ne sont pas juste des blanches avec des tonnes d’abonnés. Il y a tellement plus et nous pouvons toutes apprendre l’une de l’autre. » Autrement dit, c’est bien beau de publier de jolies photos, mais soyez conscients et politiques à propos de votre consommation.

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