La délirante chicane de voisins entre un bar de danseuses végane et un steakhouse de Portland
Toutes les illustrations : Julia Kuo

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Culture

La délirante chicane de voisins entre un bar de danseuses végane et un steakhouse de Portland

On a parlé aux propriétaires, à des employés et à des clients.

Il y a neuf ans est née la Casa Diablo, le seul bar de danseuses végane au monde : des plats végétaliens au menu et fourrure interdite sur scène. C’était – vous l’aurez deviné – à Portland, Oregon, des années ans avant que Portlandia commence à parodier l’étrangeté de cette ville sans pareille, et à ce moment l’idée a semblé assez normale à ses citoyens qui se vantent d’avoir le plus de bars de danseuses nues et de véganes per capita aux États-Unis.

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Aujourd’hui toutefois, son fondateur, Johnny Zuckle, surnommé Diablo, se retrouve dans une guerre de clôtures. Ce vendeur de matière végétale – qui dit faire danser la viande plutôt que de la servir – a récemment ouvert un deuxième établissement, Dusk 'Til Dawn: Casa Diablo 2, à quelques mètres de l’Acropolis, un steak house-bar de danseuses établi là depuis 35 ans. Cette décision a mis en colère le patron de l’Acropolis, Bob Polizos, fier carnivore qui sert de fameux steaks de faux-filet à 7 $, qui dit élever lui-même une partie du bétail pour son restaurant sur une ferme avoisinante.

Ensuite, l’histoire commence à dégénérer. Un mur a été érigé pour prévenir la défection des clients; la sécurité a été rehaussée; des manifestants en faveur des valeurs familiales les ont sermonnés; les danseuses ont contre-manifesté, mais aussi commandé plus tard de la bouffe chez l’ennemi. Pour les propriétaires de l’Acropolis, la Casa Diablo n’est qu’un « bordel » qui a « mauvaise réputation ». (En 2015, alléguant qu’on avait refusé de leur verser des sommes dues en salaires et qu’elles avaient été harcelées sexuellement, deux danseuses ont poursuivi en justice la Casa Diablo.)

Comment en est-on arrivé là? Ça a commencé par une bonne vieille théorie du complot.

L’origine

Johnny Zukle, 52, fondateur du Casa Diablo et du Dusk 'Til Dawn: Casa Diablo 2 : C’était en 1985, j’avais 21 ans. J’ai vu un type à la télé, John McDougall. Il disait essentiellement que les produits d’origine animale pouvaient vous tuer. Il disait aussi que le gouvernement faisait partie d’une grande conspiration, qu’on se fait tous arnaquer, que, si on regarde la pyramide alimentaire, il y a surtout de la viande et des produits laitiers parce que c’est fait par le National Dairy Council. J’aime les théories du complot, alors j’ai fait mes recherches. Et je me suis rendu compte que, si je ne mangeais pas de produits animaux, si je ne portais pas de produits animaux et si je n’utilisais pas de produits testés sur des animaux, je pouvais éliminer beaucoup de souffrance dans le monde. Je suis donc passé de mangeur de chair fraîche à végane. Quand je l’ai dit à ma mère, elle m’a répondu : « Oh, ne deviens pas un fanatique. » Bien, trop tard!

Bob Polizos, 76 ans, fondateur de l’Acropolis Steakhouse Strip Club : J’ai grandi dans un petit village dans le nord de la Grèce. Mes parents élevaient des cochons. On mangeait chaque année du porc à Noël et de l’agneau à Pâques. Je cuisinais beaucoup avant d’arriver aux États-Unis. J’ai travaillé sur un cargo, je cuisinais pour un équipage de 40 personnes. J’adorais ça.

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Johnny Zukle : Je me suis demandé comment je pourrais éclairer les gens au sujet du véganisme. Et vous connaissez le vieux dicton « le chemin pour toucher le coeur d'un homme passe par son estomac »? Je me suis dit que le chemin vers son âme passait peut-être aussi par son estomac. Alors j’ai décidé d’ouvrir un restaurant végane. Mais on était dans un secteur industriel de cols bleus, et des gars entraient, regardaient notre menu et disaient : « Il n’y a pas de viande? », et je leur répondais : « Non mon ami, on est végane. » Ils me regardaient et finissaient par dire « euh, on va revenir », puis ils se levaient et sortaient! Ça arrivait au moins une fois par semaine. Je me disais : « On est à Portland, censée être la capitale végane des États-Unis, et vous, vous êtes trop poules mouillées pour essayer le poulet végétarien!

Bob Polizos : Quand je suis arrivé aux États-Unis, j’ai ouvert Athens West, un restaurant grec à Portland. Je le gérais avec mon frère, mais il a fermé parce qu’on ne s’entendait pas. Quand j’ai trouvé la bâtisse [devenue l’Acropolis], les propriétaires avaient fait faillite, alors le prix était très bas. Je l’ai payée 40 000 $ en novembre 1976. On a donné 20 000 $ d’acompte. Au début, c’était un restaurant. Un diner avec musiciens sur place, mais personne ne venait. Rien ne marchait et on perdait de l’argent. Qu’est-ce qu’on pouvait faire? J’ai fait venir des danseuses.

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Johnny Zukle : La récession en 2007 a été dure, les ventes ont chuté. J’ai vu des restaurants fermer, certains étaient là depuis 20 ans. Alors j’ai dit à ma blonde à ce moment-là : « Je pense que la seule chose qui va marcher dans ce secteur industriel, c’est un bar de danseuses, parce que c’est à 90 % des hommes. » Sa réponse a été : « Oh, jamais. C’est moi ou le bar de danseuse. » Je lui ai répondu : « Bye! »

Des boules!

Zukle : Je me disais que j’avais un immeuble et que j’allais faire faillite. Qu’est-ce que je devais faire pour convaincre les gars d’entrer et de manger? J’ai installé une scène et j’ai fait monter des topless dessus. Bien, vous savez quoi? Ils disent : « Je n’ai jamais rien mangé de mieux. » C’est l’endroit le plus joyeux sur Terre. C’est Disneyland avec des boules!

Bob Polizos : Les demoiselles m’ont aidé, elles ont attiré les clients. Ce sont de gentilles demoiselles. J’aime ces demoiselles. Maintenant, les gens viennent de soir comme de jour. Après que j’ai engagé des danseuses, beaucoup d’autres établissements de Portland ont fait pareil.

Johnny Zukle : L’intérieur de la bâtisse était en briques et en fer forgé, alors le nom Casa Diablo me semblait approprié. Un barman a fait plusieurs peintures pour bloquer la vue depuis la rue. L’une d’elles était de moi en diable. J’aimais ça parce que je suis un peu… comment on dit?

VICE : Narcissique?

Johnny Zukle : Oui, narcissique! J’ai entendu dire que la plupart des propriétaires de commerce sont narcissiques. Je pense qu’il faut l’être un peu pour foncer. En plus, je suis beau! Non?

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Bob Polizos : Pendant cinq ans dans les années 80, j’étais seul dans la cuisine. J’ai essayé d’embaucher des gens, mais ce qu’ils préparaient n’était pas bon. Maintenant, j’ai des cuisiniers à qui j’ai enseigné mes recettes. Je veux vraiment que ce soit délicieux. Environ 10 % des steaks qu’on sert viennent de ma ferme. Notre bœuf est le meilleur parce que j’ai des terres pour le bétail. J’ai 50 hectares à Estacada en Oregon. J’ai déjà eu 70 vaches.

Johnny Zukle : À l’ouverture, j’étais le gérant, le cuisinier, le portier et le concierge. Pendant environ deux mois, j’ai été aussi le DJ après que le DJ s’est fait amputer un pied. Je présentais les filles en disant « applaudissez une telle! », puis je retournais en cuisine préparer un burger végé pour quelqu’un. J’en ai sué un coup, j’en ai fait des heures. J’ai perdu beaucoup de poids. Lentement, quand les profits ont augmenté, j’ai pu commencer à déléguer des tâches. Aujourd’hui, on est l’établissement numéro un dans le nord-ouest des États-Unis, avec une file devant la porte et une heure d’attente pour entrer les week-ends. Je dois dire merci aux dieux véganes.

Andreas Polizos, gérant de l’Acropolis et fils du propriétaire : On reçoit de 50 à 100 commandes pour emporter par jour. On coupe les tranches de bœuf à la main nous-mêmes. Et on passe environ une livre de sauce par jour. On n’est pas un bar de danseuse ordinaire.

Bob Polizos : Et on a un comptoir à salades à deux dollars avec n’importe quelle salade que tu pourrais aimer : de macaroni, de patates, de laitue, pour deux dollars. Prends une photo de mon comptoir à salades!

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Tori, danseuse à la Casa Diablo et au Dusk 'Til Dawn: Casa Diablo 2 : On a été le premier bar en ville à profiter des nouvelles lois sur les contacts [l’Oregon a donné le droit aux danseuses de toucher les clients et aux clients de toucher les danseuses nues, en plus de la vente de spiritueux] et à donner des spectacles érotiques. On fait les meilleures danses-contacts en ville. Les gens viennent de partout pour la bouffe aussi. Ils disent que « c’est tellement Portland ».

On ouvre la danse

Johnny Zukle : J’ai entendu dire – de la bouche d’une danseuse de l’Acropolis d’ailleurs – que la bâtisse voisine du bar de danseuses était à vendre. Je me suis dit que ce serait drôle d’ouvrir un deuxième bar de danseuses, végane, à côté d’un bar de danseuse qui est aussi un steakhouse. C’était en 2011. On a ouvert les portes en 2015. On peut y manger un bon repas sans faire de mal à un être vivant innocent.

Le vieux, Bob, je l’aime bien, c’est un bon gars. Quand on a ouvert, il a dit : « J’aime la compétition », et j’ai répondu : « Merveilleux, parce que tu en auras! » Les gens vont là pour des cubes de steaks à cinq dollars, puis ils viennent ici pour une danse-contact à 500 $.

Bob Polizos : Je ne les veux pas ici. On a un vrai restaurant. À côté, ce n’est rien d’autre qu’un bordel!

Andreas Polizos : Ils ont mauvaise réputation. Quand ils ont ouvert, il y a eu une manifestation contre les bars de danseuses. On a été mêlés à ça parce qu’on aurait dit que les manifestants protestaient contre nous.

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Johnny Zukle : Quelques-uns s’en sont plaints, ils disaient qu’il y avait des couches et des seringues dans le stationnement. C’est faux. Donc toutes ces vieilles femmes, ces vieilles sacoches viennent manifester avec des affiches. J’ai réuni 50 jolies danseuses pour contre-manifester avec des affiches qui disaient « La bisexualité n’est pas un péché » et « Ouvrez votre cœur et vos jambes ».

Andreas Polizos : Leur bar est une plaie. C’est vraiment irritant.

Fey, ex-danseuse à l’Acropolis, maintenant barmaid au Dusk 'Til Dawn: Casa Diablo 2 : Il y a des filles qui ont quitté l’Acrop pour venir travailler ici, et leurs clients réguliers les ont suivies. Au moins quatre hommes que je connais viennent ici maintenant. Ils trouvent une fille qu’ils aiment et ils la suivent, qu’importe où elle travaille.

Bob Polizos : Leurs clients vont et viennent et causent des ennuis. La commission des alcools ne les aime pas non plus. Ils n’arrêtent pas de servir les clients quand ils sont trop saouls.

Andreas Polizos : Beaucoup de clients sortent de là en titubant et viennent causer des ennuis ici. C’est la principale raison pour laquelle on a installé la clôture. Ça nous a coûté entre trois et quatre mille dollars. On l’a fait pour les irriter.

Fey : Il y a eu des ennuis à cause des groupes de motards. On trouve des condoms et des seringues, et des gars pissent dans la rue.

Johnny Zukle : Quand ils ont installé la clôture, j’ai juste trouvé ça drôle. C’est une très belle clôture. Merci beaucoup! Et ce sont eux qui l’ont payée. Peut-être qu’ils ne voulaient pas voir le sourire de nos clients.

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Fey : La clôture n’a servi à rien. C’est juste un peu plus emmerdant. Les clients ont juste à la contourner. Ça n’a pas empêché les clients de passer d’un bar à l’autre.

Andreas Polizos : On a dû embaucher un gardien de sécurité pour surveiller le stationnement les week-ends. C’est une autre facture, quelques centaines de dollars chaque semaine. Après [qu’un client de la Casa Diablo a selon les Polizos causé des ennuis], la Ville nous a donné une liste de sept ou huit choses qu’ils veulent qu’on fasse, comme arrêter de servir des shooters après minuit. On ne va pas arrêter d’en servir. On a payé 8000 $ en salaire d’avocats. Et les policiers continuent de venir ici pour surveiller ce qui se passe. Ils viennent et mangent des cubes de steaks.

Fey : Des filles d’ici fument des fois dehors seins nus. Peut-être que c’est pour ça que l’Acrop ne nous aime pas.

Andreas Polizos : Culturellement, c’est deux mondes. Vraiment. Ils sont véganes, et on aime la viande. Le conflit a sûrement quelque chose à voir avec ça.

Les filles

Fey : L’Acrop, c’est dépassé, et c’est malpropre. Les chaises pour les danses-contacts n’ont pas été lavées à la vapeur depuis… l’ouverture. La Casa est impeccable, on peut manger sur le plancher. Les filles sont traitées avec plus de respect. C’est une des raisons pour lesquelles je suis partie. Et la paye est plus grosse.

Tori : Le personnel de l’Acrop était chialeux envers les filles quand elles commandaient à manger. Je ne suis pas fan. Même avant de commencer à travailler à la Casa, je ne l’étais pas. Leur comptoir à salades à l’air libre, c’est dégueulasse.

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Jordan, danseuse à l’Acropolis : On mange là-bas, et elles mangent ici.

Fey : Leurs filles viennent ici pour demander du travail. Mais elles sont nerveuses parce que, si les propriétaires de l’Acrop s’aperçoivent qu’elles travaillent ici, ils les retirent de l’horaire.

Andreas Polizos : Je n’ai aucune raison de parler aux propriétaires de la Casa Diablo. Je n’ai rien à leur dire.

Johnny Zukle : Les gens disent : « Vous n’exploitez pas les animaux, mais vous exploitez les femmes. » Ma réponse à ça, c’est que les humains n’exploitent pas les animaux, on les assassine. On les torture et on les assassine et on les mange. L’exploitation des animaux, c’est avoir un caniche, le toiletter, le faire parader dans une compétition pour gagner 50 $. Vous allez peut-être dépenser ces 50 $ en jouets pour chiens, mais peut-être que vous vous achèterez de la marijuana. Ça, ce serait de l’exploitation. Mais découper ces êtres vivants encore en vie, les écorcher et les regarder crier pendant qu’ils agonisent? C’est de la torture et des meurtres.

VICE : Donc, dans cette analogie, les filles sont les caniches?

Johnny Zukle : Regarde, je n’écorche pas les filles. Je ne mange pas de filles non plus.

Les commentaires des clients

Blake Rauch, 33 ans, client : L’Acropolis, c’est un attrait touristique. Ils sont célèbres pour leurs plats de la ferme à la table de bar de danseuses. Leurs danseuses… ont plus d’expérience.

Molly Torbert, 31 ans, cliente : Les danseuses de la Casa Diablo sont punk rock et grunge, ce que j’aime. C’est cool et différent. Je peux apprécier la beauté d’une femme, mais leurs spectacles avec des dildos et des actes sexuels, c’est trop obscène pour moi.

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Nate, 33 ans, client : Les danseuses de la Casa ont plus de talent et font plus de choses étonnantes, elles ont une plus grande connaissance de l’art. Mais l’Acrop, c’est un lieu historique. En plus, il y a un dispensaire de cannabis de l’autre côté de la rue. La seule chose, c’est que j’ai peur d’y croiser mon père un jour.

L’avenir

Johnny Zukle : Le plan n’a jamais été de gérer un bar de danseuses pour toujours. Je m’intéresse vraiment à l’immobilier, c’est ma passion maintenant. Je veux construire un complexe immobilier végane. J’aimerais bâtir une ville végane entière, peut-être quelque part dans la Willamette Valley. Mais je suis le fondateur du bar de danseuses, alors je ne serai jamais loin. C’est comme PFK et le Colonel Sanders : ils vont m’utiliser comme mascotte. Je serai le Colonel Sanders végane du monde des bars de danseuses.

Tori : La Casa Diablo ne va que continuer de grandir et de s’améliorer.

Jordan : On est bien établis. Rien n’a changé en 35 ans. On ne va pas commencer à changer aujourd’hui.

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Bob Polizos : On est là pour de bon.

Andreas Polizos : Si je prends la relève, je vais moderniser les choses un peu. On verra si la Casa Diablo sera encore là dans 20 ans. Peut-être qu’on se parlera à ce moment-là.

Johnny Zukle : On ne pourrait pas tout simplement bien s’entendre?

Les entrevues ont été légèrement abrégées par souci de clarté et de concision.