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Société

Les sept types d’athées

Entrevue avec le philosophe John Gray à propos des différentes formes d’athéisme et des raisons pour lesquelles la plupart ne valent pas grand-chose.
Photo: Judith Bicking / Alamy Stock Photo

Ne pas croire en Dieu m’a toujours semblé parfaitement sensé, mais c’est un sujet que je trouve un peu fastidieux. Bien sûr, ça n’empêche pas de soi-disant « nouveaux athées » comme Richard Dawkins, Daniel Bennett et Sam Harris, ainsi que leurs irritants adeptes sur internet, de pontifier sur ce en quoi exactement ils ne croient pas.

John Gray, réputé philosophe anglais, en a eu assez de ces néo-athées et trouve le fruit de leurs réflexions superficiel. Il n’est adepte d’aucune religion, mais soutient que l’absence de croyance est une affaire beaucoup plus inusitée et subtile que Dawkins et ses amis ne l’ont jamais noté.

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M. Gray est l’auteur d’un nouveau livre intitulé The Seven Types of Atheism (« Les sept types d’athéisme ») dans lequel il montre l’étonnante diversité des perspectives parmi les esprits irréligieux. Il y examine également certaines hypothèses que l’on a à propos de soi-même et du monde après s’être débarrassé de Dieu. J’ai parlé à M. Gray des très diversifiées façons de concevoir sa place dans un univers froid et obscur.

VICE : Vous êtes plutôt dur envers le néo-athéisme de Richard Dawkins et des autres. Qu’est-ce qui vous exaspère dans leur point de vue?
John Gray :

C’est qu’ils voient la religion comme une fausse théorie scientifique de tout, une science primitive. Pour ce qui est du mythe de la Genèse, même les premiers érudits chrétiens disaient qu’« il ne faut pas considérer qu’il s’agit d’une interprétation littérale des faits ». C’est une erreur de confondre les fondamentalistes religieux avec la vaste et riche tradition religieuse. La religion n’est pas une théorie explicative du monde, c’est un moyen de donner un sens à sa vie dans le monde.

L’autre façon très répandue de pratiquer l’athéisme de nos jours, c’est l’humanisme laïque. Pourquoi pensez-vous que les humanistes sont dans le champ et ne font que répéter des enseignements religieux?
L’idée même du progrès provient du monothéisme, en particulier du christianisme, et du post-millénarisme selon lesquels le Christ reviendra un jour, mais seulement après que nous aurons amélioré le monde. Les humanistes laïques ont remplacé Dieu par l’humanité : une entité qui accomplit un ensemble d’objectifs communs progressivement, au fil du temps. L’humanité fait partie d’une morale de rédemption. Les humanistes laïques n’ont pas délaissé ces idées issues du monothéisme. Dans le monde préchrétien, on n’avait jamais supposé qu’il y aurait un progrès. La notion de rédemption est absente de l’histoire.

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John Gray. Photo: Justine Stoddart

Il y a un troisième type d’athéisme que vous relevez : la foi en la science. C’est une idée noble de croire en la science, non?

La science a toujours été, et sera toujours, utilisée par toutes sortes de personnes aux valeurs différentes. Beaucoup ont utilisé le scientisme — une tentative de faire d’un ensemble de méthodes scientifiques un évangile — pour justifier le racisme, l’impérialisme ou même le génocide. Elle a tendance à soutenir les valeurs dominantes d’une époque. Les gens ne peuvent pas expliquer pourquoi la science devrait soutenir des valeurs libérales, bien que l’hypothèse soit courante de nos jours. Il n’y a rien dans la science qui vous encourage à être aimable ou à venir en aide aux pauvres. La science est un ensemble de méthodes : elle tente d’expliquer des choses pratiques. Mais elle ne peut pas dicter des valeurs.

Le quatrième type d’athée, c’est celui qui transforme la politique en une sorte de religion. Est-ce que ce genre de fanatisme aide à expliquer des choses comme la Révolution française, la montée du bolchevisme et du nazisme?
Dans les mouvements religieux millénaristes de la fin du Moyen Âge, on s’attendait à ce qu’un nouveau monde apparaisse après une période de conflit catastrophique. Pour les révolutionnaires modernes, c’est l’humanité qui fait naître une société différente de toute autre dans l’histoire. Dans les deux cas, on retrouve le mythe voulant que l’histoire se termine avec un monde infiniment meilleur. Curieusement, une version de cette croyance a capté l’attention des libéraux après la chute du communisme; ils n’ont pas pris conscience que ce qui est gagné peut être perdu à cause des faiblesses dans la nature de l’animal humain. Les penseurs du monde antique, eux, avaient compris qu’il y a un cycle permanent avec des phases d’amélioration et de barbarie.

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Passons à ceux qui haïssent Dieu. Ces athées semblent être tellement obsédés par le mal qu’ils gardent une sorte de foi en Dieu.
L’existence du mal dans le monde est un mystère. Les chrétiens ont proposé des explications sophistiquées à l’existence du mal, le libre arbitre et ainsi de suite, tandis que d’autres acceptent simplement le mystère. Si vous êtes athée et que vous vous intéressez au mal, il n’y a qu’un pas à franchir pour affirmer qu’il doit y avoir du mal en Dieu, ou que l’idée même de Dieu est mal. Celui qui hait Dieu ne peut accepter son existence en raison de tout le mal qui survient dans le monde, et en vient ensuite à haïr ce Dieu. Mais c’est en fait une reproduction de la pensée monothéiste.

Parlons du sixième type d’athéisme sur lequel vous vous êtes penché : l’athéisme sans foi dans le progrès. Est-il juste de dire que c’est l’athéisme le plus vif?
Je dirais que oui. Je donne en exemple le romancier Joseph Conrad; son type d’athéisme rejette complètement l’idée de progrès, et pourtant il continue d’admirer l’affirmation de soi de l’humanité confrontée au néant infini. Le penseur George Santayana en est un autre qui a été impressionné par la beauté de la religion, mais qui n’en a pas voulu ou n’en a pas eu besoin. Les deux ont rejeté l’idée de la rationalité du cosmos.

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Vous terminez avec l’athéisme mystique. On dirait qu’il est question de ces gens qui après un trip très fort parlent de l’unité de tout.
Bien, c’est un athéisme radical dans lequel la nature de la réalité est ineffable — on ne peut l’exprimer avec des mots. Schopenhauer pensait que la réalité ultime des choses était spirituelle, mais que nous ne pouvions pas vraiment la saisir par la raison. Il n’avait pas besoin d’un Dieu créateur, mais, en réalité, il n’était pas si loin de certaines traditions du mysticisme et de diverses religions. Certaines religions mystiques se rapprochent de l’athéisme en soutenant que Dieu est inimaginable.

Donc, ces deux dernières formes d’athéismes sont celles que vous admirez le plus?
Oui, ce sont celles que je préfère, car elles se distinguent plus rigoureusement des pensées monothéistes. Il y a beaucoup de formes d’athéisme. Je pense qu’on est athée si l’on n’a pas besoin de croire en un Dieu créateur. Mais si on veut réellement sortir du monothéisme, je pense que ce sont ces formes vers lesquelles on se dirige.

@adamtomforrest