Du faux sang et des annonces au Sommet des champions de la nature
Photo Marie Boule
environnement

Du faux sang, Harrison Ford et des annonces au Sommet des champions de la nature

On a passé une journée à faire des allers-retours entre Justin Trudeau et les militants.

Il y a beaucoup de « champions de la nature » si l’on en croit Catherine McKenna, la ministre de l'Environnement et du Changement climatique. Dans la salle de conférence de l’hôtel InterContinental ce matin à Montréal, elle dit aux invités du sommet : « Vous êtes tous des champions de la nature! » Autour des tables, des représentants d’organisations comme le Fonds mondial pour la nature ou la National Geographic Society, des chefs de communautés autochtones, mais aussi des chefs d’entreprises comme Siemens, et Michael Crothers, le président de Shell au Canada de Shell. Ils applaudissent la ministre.

Publicité

Dehors, le discours est tout autre.

« Vous n’êtes pas des champions! Les champions, ça passe à l’action! » Devant l’entrée de l’hôtel, les militants d’Extinction Rebellion scandent des slogans, avant de déverser sur le trottoir et dans la rue 70 litres de faux sang, composé d’un mélange de sirop, de colorant alimentaire, d’eau et de poudre de cacao. « Il faut un changement radical! Pacifique, non violent, mais radical! » Les militants se moquent du nom du Sommet : « Quand j’ai vu qu’ils s'appelaient les “champions de la nature”, j’ai cru que c’était une blague, dit l’un d’entre eux. Ils sont très loin dans le déni, quand même, très, très loin d’être champions aussi. »

1556229199739-IMG_0485

Le Sommet, qui a débuté mercredi, a été organisé à l’initiative de Catherine McKenna et réunit à Montréal pour deux jours des dirigeants internationaux de gouvernements, d'entreprises, de fondations, de communautés autochtones et d'organisations non gouvernementales. Selon Environnement Canada, l'objectif est de « former une nouvelle coalition ambitieuse et de faire progresser la protection de la nature dans le monde ». Ottawa a d'ailleurs profité de ce sommet pour annoncer la création de « réserves nationales de faune » afin de protéger 27 îles du Saint-Laurent.

Justin Trudeau est attendu à 11 h. Avant l’entrée du premier ministre sur la scène de la salle de conférence, une vidéo de National Geographic est diffusée. De magnifiques images de paysages canadiens, des ours, des montagnes, des glaciers défilent. « Il est dans notre nature de protéger nos espèces sauvages, de préserver les endroits que nous aimons », peut-on lire à l’écran, puis le ton change : « Mais notre nature est en danger. » On voit des feux de forêt, des filets de pêche emmêlés – mais pas de pipelines ni de déchets de plastique. Les mots « Il est temps d’agir » s'affichent accompagné de musique digne des scènes de bataille de Lord of the Rings.

Publicité

Catherine McKenna prend ensuite la parole pour présenter Justin Trudeau. Elle raconte le jour où elle est allée faire du canoë avec le premier ministre, qui serait d’après elle un excellent pagayeur. Ses gardiens de sécurité avaient d’ailleurs du mal à le suivre, et ramaient en cercle. Dans un premier temps, la ministre a pensé qu’elle serait certainement obligée d’aller les sauver si un accident devait arriver, mais elle a ensuite tourné son regard vers le premier ministre : « Ses yeux pétillaient, et disaient : “Je maîtrise la situation.” »

1556229286304-20973313

Photo La Presse canadienne

Le premier ministre fait son entrée sous les applaudissements. Tantôt en français, tantôt en anglais, Justin Trudeau parle de l’avenir. « J’ai trois enfants, et je pense souvent au monde que je vais leur laisser. […] Je n’ai pas besoin de vous dire que nous sommes la dernière génération à pouvoir agir pour le climat et la biodiversité. »

Catherine McKenna reprend la parole : « Le premier ministre, c’est un grand champion de la nature, insiste-t-elle, et je vais maintenant présenter quelqu’un qui est vraiment un champion pour les changements climatiques, pour la nature. » Steven Guilbeault, le cofondateur d’Équiterre, qu’il a quittée en 2018, prend place sur un siège aux côtés du premier ministre pour lui poser des questions pendant une trentaine de minutes. Les journalistes, eux, n’auront pas la possibilité de questionner Justin Trudeau.

« Les gouvernements ne peuvent pas être les seuls à agir, aussi parce que les choix des individus sont importants pour transformer notre façon de fonctionner, dit le premier ministre […] Est-ce qu’on va en faire plus? Bien sûr qu’on va en faire plus. »

Publicité

Justin Trudeau explique que les gens commencent à comprendre que c’est « payant » d’investir dans la nature : « Ça nous profite tous, c’est pas juste un don qu’on fait sans avoir de retour, mais les stratégies responsables et les approches économiquement bien financées pour protéger nos terres et nos océans nous amènent des bénéfices économiques tangibles et concrets. […] C’est des investissements qu’on est en train de faire et pas juste des dépenses. »

Steven Guilbeault lui demande s’il a un message pour les jeunes et les milliers de gens qui sont descendus dans la rue le 15 mars.

« Je comprends profondément l’impatience des gens, répond le premier ministre. Mais un des gros problèmes qu’on a eus, c’est que les citoyens sont toujours très prêts à dire qu’ils veulent voir l’environnement protégé […] mais ensuite, tu creuses un peu plus et tu dis : “OK, qu’est-ce que t’es prêt à abandonner pour protéger l’environnement?” […] Et là, les gens passent très rapidement à être moins enthousiastes par rapport à ces actions. »

L’allocution se termine. Soudain, Harrison Ford fait son apparition sur la scène. Non, on ne rêve pas. L’acteur, qui est vice-président de Conservation International (CI), a été invité par le Sommet et prendra la pose pour une séance photo aux côtés du premier ministre. En attendant de pouvoir prendre la célébrité en photos, les journalistes discutent : « As-tu remarqué les gars de la sécurité du PM, ils sont shapés, hein, tu veux pas les emmerder! »

Publicité
1556229349743-20974059

Photo La Presse canadienne

L’acteur est également présent pour la conférence de la fin du Sommet de Catherine McKenna. « C’était une bonne journée », dit la ministre. Elle explique que le Canada a la responsabilité d’être exemplaire envers le monde : « Nous sommes très chanceux, nous avons un cinquième de l’eau douce de la planète et le plus long littoral du monde, et nous devons agir. »

Harrison Ford s’exprime brièvement et s’adresse aux jeunes : « J’encourage les jeunes à voter, et à ne pas voter pour des gens qui ne croient pas en la science. »

On lui fait remarquer que le mot « urgence » n’a pas ou peu été prononcé lors du Sommet, alors que c’est le terme qu’utilisent les scientifiques. Le gouvernement estime-t-il que nous sommes en état d’urgence?

« C’est sûr que nous sommes en état d’urgence, répond la ministre. Nous avons perdu depuis 1970 en moyenne 60 % de nos animaux dans le monde, bien sûr que c’est urgent. C’est pour ça que nous avons besoin de champions de la nature. On doit se tenir debout pour nous, parce qu’on a besoin de la nature, et la nature n’a pas besoin de nous. »

Quelques étages plus bas, dans le hall de l’hôtel, Sara Montpetit, porte-parole de Pour le futur Montréal et Louis Couillard, le porte-parole de La Planète s’invite à l’université attendent de pouvoir rencontrer la ministre. Ils ont apporté une photo encadrée de la foule de la marche du 15 mars.

En attendant, assis dans les sofas moelleux de l’hôtel, ils discutent du nom du sommet : « Le "Sommet des champions de la nature", ça démontre une volonté de greenwashing, dit Louis Couillard, une volonté de dire : "Regardez, on est des champions ici au Canada." Au lieu de dire : "Wow, c’est magnifique, il y a 150 000 jeunes dans les rues de Montréal qui veulent du changement, ils disent : "Wow, c’est magnifique, les jeunes dans les rues nous prouvent qu’au Canada et au Québec, on est des leaders." C’est ça qui est utilisé comme discours. »

Publicité

Quand on leur demande ce qu’ils ont envie de dire à la ministre, Sara soupire : « C’est rendu que j’ai plus envie de rien leur dire, on est en train de le faire nous, on n’a presque plus besoin d’avoir leurs opinions parce qu’ils ne bougent pas. Donc, c’est plus symbolique, je veux juste lui montrer la photo. Elle a des enfants, non? Moi, je veux lui dire : "Vos enfants vont souffrir de vos décisions." »

L’attachée de presse de la ministre descend chercher les deux militants, mais elle refuse qu’ils soient accompagnés des deux vidéastes qui sont venus avec eux. VICE n'a pas non plus le droit d’assister à la rencontre.

Ils reviennent quelques dizaines de minutes plus tard. « Je pense qu’elle a été chouette de prendre la photo, de prendre nos revendications et tout, mais on le sait très bien qu’il va falloir pousser énormément pour que les choses changent, dit Louis Couillard. Ils sont bien dans leur bulle, ils sont bien dans leur illusion, dans leur meeting à l’hôtel Intercontinental…»

«…En plus ça dit sommet champion pour la nature et y a plein de bouteilles en plastiques sur les tables, » note Sara Montpetit.

La ministre a accepté la photo encadrée qui montre les militants dans les rues de Montréal.

« Elle a dit qu’elle allait la mettre dans son bureau pour se rappeler qu’elle était accountable de ces jeunes là, raconte Louis Couillard. C’est bien, parce que c’est important que les politiciens se rendent compte que la mobilisation des jeunes ici est la plus grosse au monde. Y a vraiment quelque chose de spécial qui se passe ici, on est vraiment prêts les jeunes à continuer à le faire, à assumer ce lead là. Et si c’est nous qui devons prendre le pouvoir dans 5 ans, ben on le fera, » conclut-il en riant.

Suivez Marie Boule sur Twitter.