Une soirée chez les conservateurs
Photo : Jacques Boissinot/La Presse Canadienne

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politique

Une soirée chez les conservateurs

Steven Blaney avait au moins le tiers de l’assistance, peut-être plus. Ce qui prouve que oui, ça existe, des partisans de Steven Blaney.

On sait que les médias sont en crise. On peut voir ceci, notamment, à ce qu'on demande à quelqu'un comme moi de couvrir le débat à la chefferie du Parti conservateur. Je n'ai, à mon crédit, que l'entretien d'un blogue, pour lequel VICE m'a traité d'« hostie de baveux », et une vague expérience en politique fédérale qui a consisté à arriver en quatrième position dans les deux élections où je me suis présenté.

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En effet, j'ai été deux fois candidat pour le NPD du temps où le parti était un peu à gauche. Depuis, un libéral en est devenu le chef et j'ai publié un livre intitulé Fuck le monde; comme on dit, nous sommes partis chacun de notre bord. Bref, je ne suis ni journaliste ni conservateur. Je suis un imposteur qui profite de son anonymat et qui s'offre un voyage en pays étranger.

Centre des congrès de Québec, 18 h 30. J'arrive à l'heure, c'est-à-dire après tout le monde. Les 13 – 13! – candidats attendent de faire leur entrée. Steven Blaney se présente aux autres en tant que « Member of Parliament ». Il a l'air de trouver ça aussi drôle que moi, mais pas pour les mêmes raisons. On finit par me dire que l'entrée pour les quidams – partisans, journalistes – est plus loin.

J'entre dans la salle, et retenez ça, les jeunes : c'est plein. Tout le monde en costard, sauf les partisans de Rick Peterson, qui ont un t-shirt à son effigie comme Safia Nolin en a un de Gerry Boulet. Faudra leur expliquer à quoi ils s'exposent.

Je navigue le mieux possible dans la foule en tentant d'éviter Sylvie Boucher, la candidate qui m'a battue aux deux élections que j'ai faites. La première fois, elle a fait des entrevues dans tous les médias pour dire qu'elle ne croyait pas à ça. La deuxième fois qu'elle a gagné, c'est nous qui ne croyions pas à ça.

Les tables attribuées aux médias sont pleines, mais je finis par me trouver une place à côté d'une journaliste de Radio-Canada; on la reconnaît notamment à ce qu'elle passe toute la soirée sur Twitter. Bon, je ne me plaindrai pas du non-accueil; quand on se souvient de la manière dont les conservateurs traitaient les journalistes, je m'attendais à être parqué dans un enclos ou encore à errer sans but dans un univers hostile.

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Les candidats font leur entrée. Applaudissements polis pour la plupart. Maxime Bernier entre : hourras nourris, suivis de quelques huées. Diable, des gauchistes ont-ils noyauté la place? Mais non, ce sont les partisans de Steven Blaney, qui entre à son tour : c'est le délire. Il a au moins le tiers de l'assistance, peut-être plus. On va bien s'amuser.

Les candidats se présentent et l'animatrice énonce les règles. Il y aura 50 secondes pour répondre à chaque question; le gars qui coupe le son des micros est super tight. Il y aura aussi deux droits de répliques à prendre dans la soirée. Kellie Leitch – ou était-ce Lisa Raitt? – utilise un droit de réplique dès la présentation des candidats pour une attaque virulente à l'endroit de Maxime Bernier. Dans la salle, c'est la stupéfaction :

– Qu'est-ce qu'elle a dit?

– J'ai rien compris, et toi?

– Non plus. Qui a parlé?

– Je sais pas, j'ai rien compris.

Le format ne permet pas d'approfondir beaucoup les sujets. Les prétendants passent leur temps à renvoyer à leur site internet, mais, de manière générale, peu importe le sujet, il y a dix candidats qui sont d'accord et deux dissidents. Ils sont tous pour un contrôle sévère de l'immigration, sauf Deepak Obhrai et Michael Chong. Ils sont tous d'accord pour augmenter le nombre de membres, mais les deux femmes sont les deux seules à trouver que ça manque de femmes. Ils trouvent tous que le prochain chef devrait être bilingue, sauf les deux qui ne parlent objectivement pas français. Ils veulent tous maintenir la gestion de l'offre en agriculture, sauf Maxime qui est fidèle à son néolibéralisme idéologique. Ils veulent tous réduire les impôts tout en augmentant les budgets de l'armée et du renseignement; sur ce point, chacun est son propre dissident.

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Mais voyons un peu qui est sur scène, dans l'ordre des belligérants.

1. Chris Alexander. Vous vous souvenez de ce petit garçon syrien mort atterri sur une plage? Il s'appelait Alan Kurdi. Chris Alexander était ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration quand on a refusé l'asile à sa famille. Il a été vu récemment dans un rallye ultraconservateur en Alberta où, pendant son discours, la foule scandait à l'intention de la première ministre néo-démocrate Rachel Notley : « Lock her up! » Oui, ça devrait vous rappeler quelque chose. On y reviendra, d'ailleurs.

Il s'est distingué par son excellent français et son discours antiterroriste. Sa table était pleine de documents qui disaient ce qu'il fallait penser de différents enjeux internationaux – Syrie, Cuba, etc. – laissant penser qu'il était l'intellectuel de la gang. Personne n'en a pris.

2. Deepak Obhrai parle français comme Stéphane Dion parle espagnol, ce qui lui a d'abord valu des rires, puis de la sympathie. Pour étirer les longues secondes qui lui étaient imparties, il a commencé toutes ses interventions par « Merci, Pascale, pour votre question » avant de donner l'adresse de son site internet.

Meilleure ligne : on n'a rien compris, mais c'est déjà sur Infoman.

Deuxième meilleure ligne : « Un Canadien est un Canadien canadien. »

À sa table, des communiqués de presse. « Ils sont tous en français », me dit la dame. Il y a trop de blagues qui me sont passées par la tête pour que je puisse en choisir une.

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3. Michael Chong a trollé ses adversaires en achetant des Google Ads quand on tape leurs noms; autrement, c'est, semble-t-il, un modéré, peu importe ce que ça veut dire dans le contexte.

Meilleure ligne : « Ça prend une fiscalité durable! »

Un moment de silence ici pour le concept de « durable ».

4. Erin O'Toole est un militaire de carrière et fils de politicien conservateur. J'ai pris huit pages de notes pendant le débat et je n'ai à peu près rien sur lui. Je veux bien faire comme tout le monde et promettre de manger mon article s'il gagne la chefferie.

Meilleure ligne :  « S'il vous plaît, arrêtez de vous chicaner! »

C'était avant la première question.

5. Kellie Leitch a été ministre de la Condition féminine dans un gouvernement conservateur, ce qu'on appelle un oxymore. Elle a appuyé Trump à la présidence et veut faire passer un test de valeurs canadiennes aux immigrants. Elle a une espèce de trouble obsessionnel-compulsif envers Maxime Bernier, contre qui elle a dirigé toutes ses attaques, la plupart créant un malaise.

Elle s'est par ailleurs distinguée en répétant plusieurs fois qu'au moins un immigrant sur dix devrait passer des entrevues en tête-à-tête avec des agents de l'immigration. Bonjour la bureaucratie. Ses collègues avaient l'air de capoter.

6. Andrew Scheer : À la question « Comment alléger le fardeau fiscal des Canadiens et recevoir de meilleurs services? », il a répondu qu'il allait combattre la désinformation des groupes environnementalistes sur l'industrie forestière. Faites le lien comme vous pouvez.

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Meilleure ligne : « Les valeurs conservatrices sont des valeurs québécoises. Il faut être bilingue. J'apprends mes subjonctifs. »

Il ne lui restera plus qu'à les enseigner à ses collègues ensuite.

7. Pierre Lemieux est un ancien militaire, notoirement pro-vie (lire : contre l'avortement) et pro-famille (lire : contre le mariage homosexuel). Il a annoncé sa candidature à la chefferie après avoir perdu son comté ontarien par plus de 10 000 voix. Il trouve que les trois valeurs que les Québécois ont à cœur sont la démocratie, la famille et la sécurité. Un frisson m'a traversé.

Meilleure ligne : « Il faut trouver des solutions gagnant-gagnant avec les Premières Nations, comme pour les oléoducs, qui sont sains et sécuritaires. »

En effet, on note à peine trois déversements par année au Canada.

8. Maxime Bernier a fait oublier ses Jos Louis et Julie Couillard – mais pas son jingle – quand il a déclaré récemment que les Chinois sont prospères parce qu'ils ont plus de liberté et moins de gouvernement (vidéo). Sa page Facebook est à suivre avec du pop-corn.

On le croyait favori, mais sa vision néolibérale très rigide le place souvent en porte-à-faux avec ses collègues et, de manière générale, il s'est fait complètement upstager par Blaney. Il veut consacrer 2 % du budget à l'armée et il s'en est pris à plusieurs reprises au « puissant cartel de l'UPA », ce qui laisse méditatif sur la notion de cartel.

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Meilleure ligne : « Il faut laisser les points d'impôts aux provinces pour la santé. Les citoyens sauront alors qui blâmer [pour leurs services de marde]. »

Les mots entre crochets sont les miens, mais je ne trahis pas l'original.

9. Lisa Raitt a été ministre des Ressources naturelles, puis du Travail, puis des Transports, toutes des choses avec lesquelles les conservateurs ont une relation problématique.

Meilleure ligne : « Qu'est-ce qui empêche les gens de dormir la nuit? »

Elle a dit ça deux fois, complètement hors sujet, et ça résonnait comme une incantation brechtienne : « What keeps mankind alive? » Bon, je suis un peu dans ma tête, mais faut bien se réfugier quelque part.

10. Steven Blaney :  Je venais voir le cirque Bernier, on a eu le festival Blaney. Chacune de ses interventions était épique et se terminait par des cris qui rencontraient les hourras de ses partisans. Ses propos étaient toutefois décousus, chaque phrase semblant étrangère à celle qui la précédait : « Pour élargir la base électorale au Québec, c'est évident, il faut un chef du Québec! D'ailleurs, Jean Cauchy est ici ce soir, c'est un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale, il a 93 ans, il a pris l'autobus, LEVEZ-VOUS MONSIEUR CAUCHY! »

Meilleures lignes :

« Un terroriste est un terroriste terroriste. Je suis pas wishy-washy. »

« Andrew [Scheer], nos collègues sont partis sur une chire [rires gras des partisans], je t'ai jamais vu te lever pour la gestion de l'offre, et d'ailleurs je suis en faveur d'un troisième lien! ÇA NOUS PREND UN TROISIÈME LIEN! »

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Je n'ai pas fait le lien, justement, mais j'ai vraiment failli crier « Chou! »

11. Rick Peterson. À part les gaminets de son équipe, Peterson se distingue en répondant sur tous les sujets – immigration, Premières Nations, etc. – qu'il veut complètement abolir l'impôt des entreprises.

Question : « Devrait-on révoquer la nationalité des terroristes? »

Réponse : « Il faut abolir l'impôt sur les sociétés. »

Meilleure ligne : « J'ai vu Rambo Gauthier à Tout le monde en parle. »

12. Brad Trost se présente comme 100 % conservateur, « social et fiscal ». Je crois qu'il veut suggérer par là qu'il est plus à droite que son parti, ce qui ne laisse pas d'inquiéter. Il veut limiter l'immigration venant de pays qui encouragent l'islam radical.

Seule ligne : « Je suis 100 % conservateur. »

13. Andrew Saxton. Alors que tous ses collègues tentaient de nous convaincre que la sécurité était menacée par le terrorisme international, il a été le seul à souligner que le Canada était le seul à n'avoir pas connu d'attaque d'envergure menée de l'étranger. Ceci est passé complètement sous le radar, comme la plupart de ses autres interventions.

Apardetsa, j'ai reçu un communiqué tout de suite après le débat qui disait : « Saxton met en lumière le leadership économique au débat du Parti conservateur », ce qui était rigoureusement impossible vu le format.

14. Était absent : Kevin O'Leary est né à Montréal; il ne parle donc pas français et a préféré attendre après le débat de Québec pour annoncer sa candidature. Andrew Coyne, du National Post, a qualifié sa personnalité de « glib and outrageous ». En tant qu'ancien participant à la version anglaise de Dans l'œil du dragon, il a la double qualité d'homme d'affaires et de personnage de téléréalité. Tout ça nous rappelle vaguement quelque chose.

Oh wait.

Non.

Non non non non non.