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homicide

Trans et travailleuse du sexe : un arrêt de mort honteusement prévisible

Quand la criminalisation et les préjugées tuent : quatre travailleuses du sexe mortes en un mois au Canada.
Sisi Thibert

Elle s'appelait Sisi Thibert. Elle avait 26 ans. Elle a été poignardée le 18 septembre.

Un suspect de 24 ans est activement recherché en lien avec ce meurtre, Jean Edens Lindor. La Cour du Québec a lancé un mandat d'arrestation contre lui et des images circulent afin de le retrouver.

Photo courtoisie | SPVM

Photo courtoisie | SPVM

Sisi Thibert était une travailleuse du sexe trans. Elle a été retrouvée par un voisin dans l'entrée d'un immeuble à logements de l'arrondissement du Sud-Ouest à Montréal, couverte de sang, un peu avant 2 heures du matin. Son décès a été constaté quelques heures après, vers 8 heures, à l'hôpital.

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Quand la nouvelle a commencé à circuler, la communauté trans et celle des travailleuses du sexe a été sous le choc. « C'est horrible ce qui s'est passé hier soir », a reçu en message privé, à deux reprises, une escorte. Comme chaque fois qu'elle reçoit un tel message, elle savait, sans que ce soit explicite, ce qui était horrible. Une travailleuse du sexe était morte. Encore. La quatrième en un mois au Canada. La troisième en moins de deux semaines à Montréal.

Se blinder contre ce qui est commun : les corps retrouvés sans vie

La police a d'abord mégenré la victime, déclarant qu'un homme avait été poignardé, affectant le traitement médiatique du meurtre. Jesse Parker, une militante pour la reconnaissance des droits des personnes trans, souligne que c'est un manque de respect et que ça renforce la violence de la nouvelle : « Aucune d'entre nous ne veut se faire mégenrer jusque dans la tombe. »

Dans une société qui a peur et qui croit que les organes génitaux dévoilent tout sur l'identité de quelqu'un et sur son avenir dans les Forces armées ou dans un salon d'esthétique, la transphobie fait mal. Certaines personnes trans avouent se blinder et être habituées de compter leurs mortes. En Ontario, par exemple, une étude récente établit que 45 % avaient tenté de mettre fin à leur vie, tandis que 77 % y avaient pensé sérieusement. Un pourcentage alarmant de la population ontarienne trans (20 %) s'est fait attaquer physiquement et agresser sexuellement.

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Même si la communauté trans est sous le choc, la surprise n'est pas là. « On va rebondir comme on l'a toujours fait depuis toujours », dit Jesse Parker, avant d'ajouter que ça aurait pu être elle, la victime, elle ou n'importe quelle autre femme trans.

Sur Facebook, la militante a transmis un appel à la solidarité, rappelant que le monde n'est pas un endroit sécuritaire pour toute personne trans et qu'il fallait combattre la transphobie et la masculinité toxique, tout en honorant la mémoire de Sisi. « La Terre est une fucking place terrible et même si j'adore être trans, je sais que c'est un défi quotidien et des décès comme celui-ci nous rappelle à quel point c'est de la chance, d'être en vie, alors que les taux de meurtres et de suicides sont si hauts, dans notre communauté. »

Silence sur la transphobie qui se fait de plus en plus insistante

Sur Twitter, l'actrice américaine Patricia Arquette, qui participe à la défense des droits des personnes trans, a rendu hommage à Sisi, a asséné que « nous voyons qu'une société est malade à sa façon de traiter nos frères et sœurs trans. Bénis sois-tu Sisi. Je suis si triste de ce qui s'est produit. » Toutefois, le meurtre ne fait pas la première page et les hommages ne se multiplient pas sur les réseaux sociaux lorsqu'une femme trans se fait tuer violemment : « Quand on se fait littéralement tuer dans les rues, tout le monde ferment leur gueule », indique Jesse Parker.

Pour Carmen, une travailleuse du sexe depuis plus de dix ans, la situation empire et personne n'agit concrètement pour contrer ça. Elle ne se sent pas protégée par les policiers, déclare se sentir surveillée par eux, « obligée de travailler dans des endroits que je ne connais pas, parce qu'ils me volent mes points de repère, les places où je suis habituée de travailler depuis longtemps. Ils me suivent pour me faire peur et faire peur à des clients. C'est eux qui me poussent à me mettre en danger. »

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La criminalisation du travail du sexe : lien direct avec les meurtres des travailleuses

La criminalisation du travail du sexe renforce la surveillance constante des forces policières, le profilage social et racial, et le harcèlement, constate l'Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe. Cela contribue à l'isolement et aux risques de violence dont sont beaucoup plus souvent victimes les travailleuses du sexe trans.

Sandra Wesley, la directrice générale de Stella, un organisme qui défend les droits des travailleuses du sexe, fait un lien direct entre la vulnérabilité des travailleuses trans et l'illégalité de leurs pratiques : « C'est surtout la criminalisation qui permet cette violence trans misogyne. » Elle rappelle que les endroits où les femmes trans travaillent sont sans cesse ciblés par les policiers et la ville, jusqu'à ce qu'ils ferment. « Quand on parle d'une jeune femme qui travaillait chez elle, il faut se rappeler les conditions dans lesquelles elle a pris cette décision. Il faut aussi se rappeler que lorsque nos clients sont criminalisés, c'est difficile de mettre en place des mesures de sécurité. Ça devient alors plus difficile de trouver les bons clients et plus difficile d'éviter les agresseurs qui se font passer pour des clients. »

Des policiers qui ne sont pas contactés ou qui n'aident pas

Des études ont démontré que la criminalisation – que ce soit la criminalisation des clients ou de toute publicité permettant d'afficher clairement ses services sexuels – augmentait la violence ciblant précisément les travailleuses du sexe. Elle renforcerait aussi l'antagonisme de la police envers les travailleuses du sexe, qui, se sentant jugées constamment à la fois victimes et criminelles, ne se tournent pas toujours vers la police, même quand leur vie est en jeu. « Lorsque nous sommes en conflit avec la loi, la peur d'être évincées de nos logements est bien réelle. On n'appelle donc pas nécessairement le 911 », ajoute Sandra Wesley.

Et si la police est interpellée, elle n'est pas à tout coup aidante. Le 31 août, lorsque Valérie Maurice, une escorte montréalaise travaillant souvent à Edmonton, n'est pas venue retrouver son chauffeur après une heure passée avec un client, son chauffeur a appelé la police d'Edmonton. Une personne proche de Valérie Maurice, à Montréal, a fait la même chose, plaider pour que la police se rende rapidement sur le lieu de travail de Valérie, craignant pour sa vie. La police leur aurait dit qu'il n'y avait rien à faire parce que la jeune femme n'était pas disparue depuis 48 heures. Elle a finalement été retrouvée étranglée. Un client, Gregory Christopher Tessman, a par la suite été arrêté.

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Jesse Parker estime aussi que la police n'est pas efficace pour les communautés marginalisées : « Je ne connais aucune personne trans qui fait confiance à la police. La communauté trans et la communauté queer en général ont une histoire assez conflictuelle avec la police. J'ai déjà eu affaire à un flic qui, après que je lui ai dit que je souhaitais qu'il garde mon nom de naissance confidentiel (il me provoque beaucoup de souffrances comme pour beaucoup de personnes trans), s'est empressé d'aller le répéter, tout sourire, à mes amis qui ne le connaissaient pas jusque-là. Les flics ne sont pas les amis des personnes trans, et je ne fais pas confiance à un policier même dans une situation d'urgence. »

« Être trans, c'est magnifique, mais plus dur que tout »

La stigmatisation des femmes trans, et une violence politique aussi, précipite des actes de violence comme le meurtre de Sisi Thibert, rappelle la directrice de Stella, expliquant qu'on leur refuse la couverture de certaines chirurgies (pour les hommes trans, les mastectomies sont couvertes, mais les femmes trans doivent payer leur augmentation mammaire) et l'accès à la majorité des ressources pour femmes.

Florence Ashley, une étudiante en droit et militante pour les droits des personnes trans, a mentionné à la Gazette que Sisi Thibert était touchée par la pauvreté et que ça « indiquait que Sisi Thibert travaillait probablement dans l'industrie du sexe pour payer ses chirurgies ». En 2015, 50 % des personnes trans vivaient avec moins de 15 000 $ par année, selon le Trans PULSE Project Team .

Pascale, une poète et artiste s'exprimant souvent sur la réalité des personnes trans, croit aussi que Sisi Thibert désirait avoir accès rapidement aux hormones et aux opérations que beaucoup de trans cherchent à obtenir.

« Beaucoup de femmes trans ne seront jamais l'amour de la vie de quelqu'un. Je veux juste dire aux gens, aux hommes et aux femmes, que si vous avez une blonde trans et que vous sentez que c'est la bonne personne, bien dites-lui. Emmenez-la manger chez votre mère. Montrez-la aux ami-es. Faites-lui sentir qu'elle est plus qu'un corps qu'on fourre en pensant aimer. Il y a – une autre encore – femme qui est morte, grotesquement, sans voix, en tentant de making it. Je vais me répéter, mais, oui, trans is beautiful, mais, trans is real and hard. Trans is magnificient but tough as fuck », a-t-elle écrit sur sa page Facebook, encourageant des gestes concrets pour lutter contre l'isolement et la stigmatisation des personnes trans.