On a interviewé François Legault
François Legault à son arrivée au rassemblement de la CAQ. Photo par Alice Cliche

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politique

On a interviewé François Legault

Le chef de la CAQ explique pourquoi on devrait baisser le nombre d’immigrants à 40 000 et continuer l’exploitation des « ressources naturelles » au Québec.

Après un congé d’une journée samedi dernier, François Legault s’est arrêté prendre une dose d'énergie partisane lundi dans la circonscription de Jean-Talon, à Québec, le temps d’un barbecue.

Le chef de la Coalition avenir Québec, qui domine les sondages depuis plusieurs mois, s’est amusé à cuire des hot-dogs pour les proches du parti. Ici, Legault est roi, confiant et en contrôle, même du gril.

François Legault était visiblement de bonne humeur, alors qu'il s'occupait des grillades. Photo par Alice Cliche

Entouré de candidats vedettes comme l’ancienne ministre libérale Marguerite Blais, Legault est là pour mousser la campagne de sa candidate Joëlle Boutin dans une circonscription où son parti a fini bon troisième lors du dernier scrutin. Mme Boutin, une ancienne pilote d’avion devenue influenceuse sur les réseaux sociaux et femme d’affaires, affrontera le ministre de l’Éducation sortant, Sébastien Proulx, qui a gagné haut la main en 2014, et la lutte s’annonce serrée.

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Legault s’est arrêté entre deux hot-dogs pour nous parler d’immigration, de féminisme et de l’avenir des ressources naturelles au Québec.

VICE : La CAQ souhaite réduire le seuil d’immigration de 20 %, soit passer d’environ 50 000 par année à 40 000. La dernière année où le nombre d’immigrants a été si bas, c’est 2003. Qu’est-ce qui a changé au cours des 15 dernières années pour rendre le taux actuel insoutenable?

François Legault : On pourrait le prendre à l’inverse et dire : pourquoi sommes-nous passés de 40 000 à 50 000 sans ajuster les budgets? C’était irresponsable. Quand on regarde les faits, sur 50 000 nouveaux arrivants, 26 % quittent le Québec dans les dix premières années. C’est 13 000 personnes par année. Ça veut dire qu’il en reste 37 000, et le taux de chômage les cinq premières années au Québec est de 15 %, donc c’est un échec parce qu’on a excédé cette capacité d’intégration.

Il faut augmenter les cours de français et l’aide fournie par Emploi-Québec pour la reconnaissance des diplômes et de l’expérience de travail. Il faut choisir différemment les nouveaux arrivants.

Il y a eu deux échecs dans les dernières années en matière d’immigration : on en perd 26 %, et presque tous s’installent à Montréal. Il faut en envoyer plus en région, dans des entreprises. Des entreprises me disent souvent : « J’ai identifié des travailleurs étrangers qui seraient prêts à immigrer au Québec, mais c’est long et compliqué et il faudrait que ce soit plus simple. » Quand un immigrant trouve un emploi dans une entreprise en région, on devrait accélérer le processus pour recevoir cette personne-là. Donc, nous ce qu’on veut, c’est réajuster temporairement notre capacité d’intégration et tranquillement se réajuster ensuite.

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Il y a une autre dimension qui n’est pas banale : le français. Nous, on va exiger la réussite d’un test de français dans les trois premières années. Tous les enfants doivent aller à l’école en français, mais la majorité des adultes ne suivent pas de cours de français.

D’où vient le nombre de 40 000, au juste? Pourquoi pas 45 000? Ou 35 000?

C’était le chiffre qu’on avait en 2003. Quand Jean Charest est arrivé au pouvoir en 2003, il est passé de façon très arbitraire de 40 000 à 50 000. À 40 000, toutes proportions gardées, on continuerait à recevoir plus d’immigrants que les États-Unis ou la France. Même 40 000, c’est un nombre élevé. Ce qu’on vise, c’est que les immigrants qu’on accueille se trouvent un emploi et apprennent le français. On pense que 40 000 est une barre qu’il ne faut pas excéder dans les prochaines années si on veut bien les intégrer.

Le chef de la Coalition avenir Québec est accueilli en rockstar. Photo par Alice Cliche

Vous comptez imposer un test des valeurs aux nouveaux arrivants. Pouvez-vous me donner un exemple des valeurs qui sont présentement admises et qui ne le seraient pas sous un gouvernement de la CAQ?

Quand on regarde les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés, il n’y a pas beaucoup de différences : égalité hommes-femmes, démocratie, laïcité de l’État… Ce sont nos valeurs fondamentales. Il y a une inquiétude, faut pas la nier — au Québec et partout dans le monde — par rapport à la protection de nos valeurs fondamentales, et d’ajouter ce test des valeurs là, il y a déjà sept, huit pays en Europe qui ont des tests de connaissance des valeurs, et on pense que c’est une bonne idée d’ajouter ce test-là au Québec. Ça va faire partie des exigences pour émettre le certificat de sélection pour le 60 % d’immigrants qui est choisi par le Québec.

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L’article de loi sur les services à visage découvert adopté par les libéraux a déjà été suspendu par la cour supérieure. Pourquoi est-ce que votre politique, qui élargirait l’interdiction, va être acceptée?

On n’exclut pas d’utiliser la clause dérogatoire [de la Charte canadienne des droits et libertés], qui est permise et que Robert Bourassa avait utilisée [pour imposer l’affichage commercial en français au Québec]. On n’est pas certains qu’on doive l’utiliser, mais on veut que les personnes qui sont en position d’autorité ne puissent pas porter de signes religieux, pour ne pas les mettre dans une situation où il n’y a pas apparence, au moins, de neutralité. C’est important, c’est une recommandation de Bouchard-Taylor, c’est appuyé par plus de 80 % des Québécois.

La lutte à la corruption a été un des piliers de votre campagne en 2012. On en entend très peu parler depuis le début de la campagne. Est-ce encore un enjeu important pour la CAQ?

[La candidate de la CAQ dans Champlain] Sonia Lebel a travaillé sur des propositions à titre d’ex-procureure en charge de la commission Charbonneau. On veut s’assurer qu’il n’y ait plus — ou le moins possible — de corruption, de collusion. Ça passe aussi par une amélioration des compétences des gestionnaires. Dans le ministère des Transports, si on avait eu des personnes compétentes, il me semble qu’on aurait dû voir que les prix étaient soufflés de 30 % à cause de la collusion. Je suis très content d’être entouré de plusieurs personnes qui ont une bonne expérience de gestion, entre autres dans le secteur privé.

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Vous mettez de l’avant vos aptitudes en économie en martelant que vous êtes le seul chef qui a aussi été entrepreneur. En quoi avoir fondé une entreprise est garant de meilleures connaissances économiques pour diriger un gouvernement?

La bonne gestion, ça s’applique à l’immigration, aux transports, à l’éducation et à la santé. Actuellement, il y a de grosses, grosses lacunes. [Une étude du magazine L’actualité a révélé que] la moitié des ministères n’ont soit pas d’objectifs de performance ou ils ne les atteignent pas. C’est un peu décourageant de voir ça. Il y a vraiment beaucoup à faire pour rendre imputables ceux qui travaillent dans la fonction publique.

Vous souhaitez que les Québécois soient plus riches, avec de meilleurs salaires et plus d’argent dans leurs poches. Est-ce que l’argent est la réponse aux insatisfactions? Plus d’argent, moins de service? Pourtant, les priorités des électeurs se situent dans l’éducation et la santé, l’économie arrivant en troisième.

La création de richesse est un moyen. La fin, c’est d’être capable de financer des meilleurs services et de laisser plus d’argent dans les poches des citoyens. Le problème le plus important du Québec, c’est qu’il n’y a pas assez d’emplois à 25, 30, 40 dollars de l’heure. Ce n’est pas un problème de chômage, ce n’est pas un problème de nombre d’emplois, mais c’est un problème de qualité d’emploi.

Le manufacturier innovant, l’intelligence artificielle, les technologies d’information, tous les domaines dans lesquels il y a de la valeur ajoutée… On doit mettre plus d’emphase pour augmenter les salaires et réduire notre écart avec l’Ontario et le reste de l’Amérique du Nord. Sur un budget de 100 milliards, le Québec reçoit 11 milliards en péréquation parce qu’on est moins riches que le reste du Canada. L’écart de salaire est à peu près le même depuis 50 ans.

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Jamais un député de la CAQ n’a été élu à Montréal. À quoi attribuez-vous votre impopularité dans la métropole?

Si on prend les francophones, on est très populaires, même à Montréal. La CAQ est première dans toutes les régions du Québec, sauf Montréal.

Donc comment faire sortir le vote à Montréal?

À Montréal, le problème est avec les anglophones et les allophones. Ça fait 50 ans que les anglophones et les allophones votent libéral. Et moi en plus, j’ai le défaut d'être un ancien péquiste. On pense que ça va prendre une élection. En 2022, je pense que les anglophones et les allophones vont voter pour nous. Ils vont voir qu’on n’aura pas fait de référendum sur la souveraineté — on n’aura pas de ça — et qu’on aura bien géré. Actuellement, il y a une habitude de voter libéral, car on ne veut pas parler de la souveraineté du Québec. Il y a un paradigme qui est là depuis 50 ans et ça ne changera pas du jour au lendemain. La CAQ est là depuis seulement six ans et demi.

J’essaie de faire des efforts, de mettre des phrases en anglais dans mes discours, faire des entrevues dans des magazines, mais je vois très bien quand je regarde les sondages qu’on est premiers partout chez les francophones, mais les libéraux, c’est presque soviétique : 60-70 % des anglophones, allophones votent libéral. Je ne pense pas qu’on voie ça dans aucun autre pays dans le monde.

Photo par Alice Chiche

Radio-Canada rapportait en fin de semaine que les mots pétrole et gaz de schiste ont été supprimés de la plateforme en ligne de la CAQ. Quelle est votre politique par rapport à l’exploitation du pétrole et du gaz naturel?

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Depuis quelques mois, six mois, on a réécrit toutes nos plateformes et regroupé de façon différente. Il y a des mots qui ont été changés et on parle maintenant de ressources naturelles plutôt que de parler de gaz de schiste, mais les positions sont exactement les mêmes qu’avant. Avant d’exploiter nos ressources naturelles — que ce soit le pétrole, le gaz, les forêts — il faut deux choses : la certitude de pas affecter l’environnement et l’acceptabilité sociale. On n’est pas fermés ou dogmatiques comme d’autres.

Quand on dit acceptabilité sociale, ça veut dire que dans les zones densément habitées, c’est très difficile de réaliser des projets. Par contre, quand on arrive dans le Grand Nord québécois, il y une acceptabilité sociale en Abitibi ou sur la Côte-Nord. Ça crée des emplois payants et les gens sont intéressés.

Est-ce que l’avenir économique du Québec passe toujours par l’exploitation de ces ressources?

C’est temporaire. On pense qu’il y a une période de transition de 25 ans pour les énergies non renouvelables. Il ne faut pas être hypocrites. Pendant 25 ans, on va continuer à en consommer, mais on va être plus proactifs pour développer l’hydroélectricité. Mon grand rêve, c’est qu’on ferme des centrales au gaz et au charbon aux États-Unis et qu’on les remplace par de l’hydroélectricité qui vient du Québec. Selon moi, ce serait la plus grande contribution que le Québec pourrait faire pour sauver la planète. Je vais y arriver et j’y crois très fort.

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L’administration Trump risque d’être difficile à convaincre, non?

Je pense que le gros avantage qu’on a est de pouvoir leur offrir un prix qui est plus bas par rapport à une centrale au charbon ou une centrale nucléaire en Ontario. C’est non seulement propre, mais beaucoup moins coûteux. L’argument économique est difficile à nier, quoi qu’en dise Donald Trump. Même lui ne peut pas priver les entreprises américaines d’une source d’énergie moins coûteuse.

La CAQ est le parti qui a pris la ligne la plus dure par rapport à la légalisation du cannabis. En même temps, vous avez au sein de vos rangs Lionel Carmant, un neurologue qui a fait des miracles avec le cannabis thérapeutique et qui semble vouloir prendre le devant de ces enjeux. À quoi peut-on s’attendre d’un gouvernement de la CAQ sur le plan du cannabis?

Lionel est d’accord avec moi qu’on ne doit pas permettre le cannabis avant 21 ans, qu’il y a un risque réel de créer des problèmes de schizophrénie chez les jeunes. On va faire des campagnes pour convaincre les jeunes de ne pas consommer le cannabis. Je pense que la plupart des spécialistes et des psychiatres sont contre la légalisation à 18 ans. Donc, Lionel est parmi ceux-là aussi. Je n’aime pas le signal, le message qu’on envoie. On dit que, puisque c’est légal, c’est banal. Moi, j’ai très peur de ça.

N’y a-t-il pas un risque d’engorger un système judiciaire qui déborde déjà?

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Certains vont dire qu’ils peuvent se le procurer sur le marché noir, mais au moins on n’aura pas envoyé le signal que c’est banal. C’est très, très dangereux. J’aurais préféré ne pas légaliser.

Avec vos 65 candidates, vous êtes le parti qui présente le plus de femmes de l’histoire québécoise. Que ferait un gouvernement caquiste pour remédier au manque de femmes dans les postes de direction, au sein des conseils d’administration, etc.? Pour l’équité salariale?

Il y a des lois qui sont déjà en place. Il faut s’assurer qu’elles soient respectées, il faut donner l’exemple. On aura un conseil de ministre paritaire. Il faut aussi continuer à travailler sur certains préjugés, dans les métiers où il y a moins de femmes. Je pense entre autres à un métier qui est important pour moi, l'ingénierie. Il faut trouver un moyen pour qu’il y ait plus de femmes dans tous les domaines. Il y a beaucoup qui a été fait.

Dans les prochaines années, on va voir les femmes prendre de plus en plus de place en entreprise, peut-être même plus que les hommes. Les femmes sont déjà plus performantes à l’école, en moyenne, et ça va faire qu’elles vont prendre leur place partout, comme elles le font en médecine, elles vont le faire en affaires.

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On a parlé beaucoup de féminisme dans la dernière semaine, quelle est votre définition du féminisme et quel genre de féminisme on a besoin au Québec en 2018.

Je pense que le féminisme, c’est de s’assurer que les femmes ont autant de droits que les hommes. Dans ce sens-là, contrairement à M. Couillard, je me définis comme un féministe. Il y a encore du travail à faire. Il y a encore des clubs d’hommes dans le sport, dans les affaires, et du travail à faire pour que les femmes prennent leur place. Je pense que ça va aider la politique. Si ça va bien avec la CAQ, je pense qu’on va être le parti qui va avoir fait élire le plus de femmes dans l’histoire au Québec et je pense que ça va paraître dans le ton à l’Assemblée nationale, entre autres pendant la période de questions. Les gars, ça aime jouer les coqs et ça donne des périodes où on n’a pas beaucoup de réponses. J’ai l’impression que ça va contribuer à ce qu’il y ait plus de collaboration entre les partis politiques.