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Drogue

Québec applique à la lettre l’interdiction d’afficher la feuille de cannabis

Les commerces de vente d’accessoires pour fumeurs visés par la loi répliquent devant les tribunaux.
2019-02-21
Photomontage : Mathieu Rouland

En septembre dernier, VICE Québec révélait qu’à compter du 17 octobre, tout logo arborant une feuille de pot ou toute autre référence à la drogue ne pourrait plus figurer sur tout ce qui n'est pas un emballage de cannabis vendu par la Société québécoise du cannabis.

En effet, la Loi encadrant le cannabis stipule que « l’exploitant d’un commerce ou un producteur de cannabis ne peut vendre, donner ou échanger un objet qui n’est pas du cannabis si un nom, un logo, un signe distinctif, un dessin, une image ou un slogan qui est associé directement au cannabis, à une marque de cannabis, à la Société québécoise du cannabis ou à un producteur de cannabis figure sur cet objet ».

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Depuis la légalisation, le gouvernement provincial s’active à mettre son règlement en application. Criant à la censure, plusieurs entreprises contestent maintenant la loi devant les tribunaux.

Il y a quelques semaines, on trouvait la photo d’un pot de miel, d’une crème et d’un onguent sur la page Facebook de la Clinique la croix verte. Quelques jours plus tard, la propriétaire du dispensaire, Shantal Arroyo, reçoit la visite d’un inspecteur du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Son infraction n’est pas d’avoir vendu une substance prohibée par la loi. On la met à l’amende pour avoir fait de la publicité avec le mot « cannabis », qui se retrouve sur les récipients.

Le MSSS confirme que quatre constats ont été donnés, assortis d’une amende qui varie entre 1000 $ et 5000 $. Mme Arroyo a l’intention de les contester.

La croix verte n’est pas seule à remettre en cause la nouvelle loi. Les propriétaires des boutiques Prohibition, qui comptent 16 points de vente d’articles pour fumeurs au Québec, ont déjà entamé des démarches judiciaires à cet effet, le 16 novembre dernier, avec l’aide financière d’une dizaine d’autres entreprises.

« Pour nous, cette loi brime les droits fondamentaux, dont la liberté d’expression, affirme l’avocat Frédérick Pinto, qui représente Prohibition. L’idée de cette loi est que des t-shirts avec une feuille de pot encourageraient la consommation. Je suis désolé, mais ils n’ont aucune preuve pour avancer ça. Le cannabis et les produits associés n’ont jamais été légaux en même temps. C’est complètement spéculatif. »

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Le gouvernement aurait demandé un délai à Prohibition, le temps de consulter certains experts. « Ils ne comprennent même pas leur propre loi! s’insurge le copropriétaire Christopher Mennillo. Pourquoi ne pas avoir fait ces démarches plus tôt? Contester une loi comme ça va nous coûter presque 200 000 $ en frais juridiques! »

Prohibition espère aujourd’hui avoir une date d’audience d’ici la fin de 2019. Le MSSS n’a pas voulu confirmer les délais demandés par le gouvernement, compte tenu du processus judiciaire. La porte-parole du Ministère, Marie-Claude Lacasse, rappelle toutefois que le projet de loi 2 resserrant l’encadrement du cannabis fait l'objet de travaux parlementaires. La Coalition avenir Québec veut faire passer l’âge légal de consommation du cannabis de 18 à 21 ans, ainsi que l’interdire sur la voie publique. « Notons néanmoins qu’il ne contient pas d'éléments modifiant les règles établies en matière de promotion, publicité et emballage », avance-t-elle.

Entre-temps, les propriétaires de la chaîne Prohibition sont furieux. Ils n’ont pas reçu de constat d’infraction, mais ont reçu la visite d’un des 37 inspecteurs du MSSS qui sillonnent la province. « Mes clients ont décidé de retirer tous les produits à risque des tablettes, dit Me Pinto. Mais ils perdent beaucoup d’argent en interprétant la loi de façon très conservatrice. »

Le propriétaire de la brasserie Saint-Bock, Martin Guimond, qui produit une bière aromatisée aux huiles essentielles de cannabis a lui aussi décidé de contester le nouveau cadre légal du gouvernement, en marge des démarches de Prohibition. Il songe aujourd’hui à lancer une campagne de sociofinancement pour couvrir les frais juridiques.

« Le gouvernement nous a signifié qu’il ferait tout en son pouvoir pour démontrer qu’une feuille de pot, c’est la pire chose au monde, dit Martin Guimond. On ne peut même pas écrire que notre bière est à saveur de cannabis puisqu’on nous dit qu’on fait de la promotion pour la drogue. Il est presque sur le point de rayer le mot du dictionnaire. »

Simon Coutu est sur Twitter .