Un archiviste déterre le punk canadien le plus obscur
Photo de Jason Flower par Lotus Johnson

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Culture

Un archiviste déterre le punk canadien le plus obscur

« J’ai réussi à localiser des gens de manière tellement compliquée que ça me surprend moi-même. »

Ces dernières années, on constate un intérêt croissant pour le vieux punk canadien, souvent oublié. En parallèle des livres et des documentaires comme Treat Me Like Dirt ou Bloodied But Unbowed qui sont parus dans la dernière décennie, il y a Jason Flower et son label Supreme Echo. En plus d’être musicien et disquaire, Jason Flower est un archiviste punk établi à Victoria en Colombie-Britannique qui déterre les enregistrements canadiens les plus obscurs pour ensuite les faire paraître sur disque, souvent pour la première fois. Parmi le catalogue de Supreme Echo on retrouve du rock des années 70 des Prairies, pas mal de punk et de hardcore, et même du heavy rock en inuktitut.

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Ce printemps, quatre 45 tours étampés Supreme Echo ont vu le jour. En plus de morceaux inédits des groupes cultes The Stiffs et Wasted Lives, ainsi que le rock heavy de Triton Warrior, les geeks de punk canadien peuvent maintenant se procurer la première réédition de l’unique single de « punk moustachu » du groupe ottavien Vendetta.

VICE s’est entretenu avec Jason Flower pour en apprendre plus sur son travail d’archiviste de la musique underground et pour comprendre les raisons pour lesquelles on sous-estime souvent le punk canadien.

VICE : D’où vient ton intérêt pour la musique obscure faite au Canada?
Jason Flower : C’est une question très difficile! L’histoire musicale du Canada est mal documentée et peu valorisée. Je suis fasciné par l’idée de cartographier les musiciens canadiens qui méritent notre attention et les underdogs oubliés ou boudés par le succès. Le Canada regorge de musique de qualité mais méconnue, soit parce qu’elle n’est jamais sortie sur disque, soit parce que les disques sont épuisés. Peut-être qu’aujourd’hui, ces artistes obscurs auront plus de chance d’obtenir de la visibilité qu’autrefois. J’ai envie de brosser un portrait éclairé d’une époque et d’un lieu particulier qui servira de référence dans le futur et, par le fait même, bâtir une légende.

Tous les disques que tu sors sont autorisés par les bands, ce qui veut dire que tu dois localiser les musiciens, mettre la main sur les vieux enregistrements, les faire remastériser et trouver des photos d’époque. Ça semble être beaucoup de travail.
C’est très différent d’une réédition conventionnelle. Ça prend plus de temps et ça coûte plus cher. Pour les vieux musiciens, ça implique qu’ils doivent se pencher sur une partie très significative de leur vie. Mon but, c’est de rendre hommage à leur créativité, à ce qu’ils étaient et à ce qu’ils sont maintenant. Les archives que j’obtiens proviennent des membres des groupes, mais aussi d’autres personnes. Parfois, j’entends une rumeur sur l’existence d’un vieil enregistrement, et ça prend beaucoup d’efforts et de patience pour le trouver. J’utilise seulement du matériel original de la période dans laquelle les chansons ont été enregistrées. Ça peut prendre plusieurs années.

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Crois-tu que tu aurais pu découvrir toutes ces archives et diriger Supreme Echo à l’époque préinternet?
Je le faisais déjà avant internet, mais c’était plus difficile. En fait, les groupes les plus obscurs que j’ai découverts, c’était en discutant avec des gens, pas en faisant des recherches sur internet. Durant les années 80, j’ai échangé des cassettes et correspondu avec des personnes de 48 pays différents. J’ai réussi à localiser des gens de manière tellement compliquée que ça me surprend moi-même.

Wasted Lives. Crédit photo : John Sherlock

J’ai l’impression qu’à part pour quelques gros noms, le punk canadien est moins reconnu que celui du Royaume-Uni, des États-Unis ou même de l’Australie. Pourquoi?
Je demande souvent pourquoi au Canada, on n’a pas créé une légende autour du punk, comme ç’a été fait dans d’autres pays. Je consulte les archives de la BBC, et c’est une véritable mine d’or, alors que celles de CBC ont été négligées ou même vendues et abandonnées. Les Européens accordent plus de valeur à l’art et la culture populaire. Ces choses ont une fonction sociale qu’ils honorent et respectent. C’est la même chose aux États-Unis, dont la population est plus grande que celle du Canada. Les Américains ont l’habitude de mettre en valeur leur propre culture plutôt que de s’intéresser au reste du monde. Glenn Gould et Gord Downie ont laissé leur marque, mais D.O.A. est un groupe tout aussi influent, et tout le monde devrait savoir qui est Da Slyme!

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Cette année, Supreme Echo sort plusieurs disques de groupes qui étaient actifs à la fin des années 70 et au début des années 80, comme Wasted Lives, The Stiffs, Vendetta et Private School. Pourquoi est-ce que la première vague punk est un courant digne d’intérêt?
La première vague punk au Canada correspond à une période très prolifique de la musique canadienne. L’attitude « no rules » a motivé tellement de musiciens talentueux qu’on pourrait parler d’une des plus grosses explosions de rock indépendant dans l’histoire de la musique canadienne. Je suis aussi d’avis que les musiciens issus de cette première vague punk, qui sont maintenant dans la cinquantaine ou la soixantaine, sont parmi les personnes les plus intéressantes et intelligentes que j’ai rencontrées. En archivant leur musique et leur histoire, mon but, c’est de créer une connexion avec ces musiciens. Rien n’est plus gratifiant et satisfaisant que l’étincelle dans leurs yeux quand ils voient que leur héritage a été honoré.

Wasted Lives. Crédit photo : Craig Neeland

Tu as fait paraître un 45 tours de Wasted Lives, un groupe de Vancouver dans lequel on retrouvait Mary-Jo Kopechne, qui est ensuite devenue la bassiste des Modernettes, ainsi que des musiciens qui ont rejoint les groupes U-J3RK5 et D.O.A. Quelle est l’histoire de ce band ?
C’est un band qui se caractérisait par son urgence. Les membres de Wasted sont arrivés et repartis très rapidement. Contrairement aux autres groupes de Vancouver à cette époque, Wasted Lives avait un son empreint de hardcore vigoureux qu’ils arrivaient à combiner à leur côté post-punk unique. Les membres du groupe étaient aussi plus âgés, alors ils étaient vraiment investis dans la scène punk locale. C’est un groupe qui se démarquait vraiment des autres. Comme tous les membres se sont illustrés de manière très prolifique dans cette scène-là, on peut qualifier Wasted Lives de véritable « super groupe ».

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Peux-tu m’en dire plus sur The Stiffs, qui était un des tout premiers groupes punk de Vancouver, mais qui n’a malheureusement jamais sorti de disque?
The Stiffs, c’est un groupe essentiel de la scène punk vancouvéroise de l’époque. C’est un groupe d’adolescents qui a existé très brièvement. L’aspect le plus important de leur histoire, c’est que The Subhumans (formé par deux anciens membres de The Stiffs) a continué à interpréter certaines de leurs chansons comme Fuck You, Oh Canada et Slave to My Dick, qui sont aujourd’hui reconnues comme de véritables hymnes punk. D’ailleurs, mon intention avec la sortie de leur EP, c’est de montrer ce qu’était The Stiffs avec les quatre membres originaux, quarante ans plus tard. Si les trois chansons étaient sorties à l’époque, ça aurait fait d’eux le premier groupe punk de Vancouver à sortir un 45 tours.

The Stiffs. Crédit photo : Lynne Werner

Tu dis que tu ne fais pas de profit avec les ventes de Supreme Echo. Qu’est-ce qui t’encourage à continuer?
J’adore faire paraître des disques et entrer en contact avec des musiciens plus vieux. Pour moi, effectuer toute cette recherche, c’est une façon saine de vivre mon obsession! Je viens au secours des vieux enregistrements et je m’assure qu’ils soient préservés, sans quoi ils risqueraient d’être perdus pour toujours. Mon intention, c’est bien sûr de faire du profit, mais la production de ces disques-là coûte très cher. Plusieurs de ces groupes auraient été oubliés à jamais si je n’avais pas récupéré leurs enregistrements pour les préserver.