Billboard
Photo : courtoisie de Billboard
Culture

Comment un beatmaker d’Hochelaga s’est retrouvé à produire des beats pour Madonna

À 30 ans, Billboard a déjà signé des morceaux pour Britney Spears, Robyn et Kesha.

Mai 2009, le producteur Mathieu Jomphe-Lépine, alias Billboard, prend l’avion vers Phoenix, en Arizona, avec en poche un simple disque compact contenant une dizaine de ses créations. Il se rend au One Stop Shop, l’un des plus grands beat battles aux États-Unis. Le jeune beatmaker rêve d’une carrière internationale et il veut se frotter aux meilleurs. Dans le jury, la crème du rap américain : 9th Wonder, Nipsey Hussle, RZA, Drumma Boy.

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Billboard est debout devant l’intimidante brochette de juges. Dès les premières notes, tout le monde se met à bouger au rythme de la musique. La foule est conquise. « L’ambiance était complètement malade! » se rappelle le producteur montréalais. « C’était mon meilleur beat, ever. »

À sa grande surprise, Billboard remporte les honneurs de la prestigieuse compétition. En guise de prix, les membres de G-Unit doivent poser leurs voix sur le beat victorieux. Quelques semaines plus tard, il rencontre finalement Tony Yayo, du célèbre crew, dans sa maison de New York.

« C’était vraiment ghetto, on fumait plein de weed dans son garage, dit Billboard. Il capotait sur le beat gagnant, qu’il a enregistré, mais ce n’est sorti que sur internet. »

À la suite de cet incroyable épisode, le jeune homme retourne chez lui, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, espérant être repéré par un des bonzes de l’industrie musicale américaine. À l’époque, grâce à l’aide de son ami le producteur Ruffsound, Billboard a déjà vendu quelques beats à des artistes importants de la scène rap québécoise tels que Sans Pression et K.Maro. Malgré son succès local, il souhaite maintenant traverser les frontières.

« T-Pain était très intéressé, avance Jomphe-Lépine. Il a même fait enregistrer une version du beat par Busta Rhymes, une de mes idoles de jeunesse. Mais finalement, ce n’est jamais sorti du studio. Nipsey Hussle aussi voulait le beat, mais il ne s’est rien passé. J’étais vraiment découragé. »

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Au-delà de ces occasions manquées, le téléphone ne sonne pas. Désespéré, Billboard se met à écrire directement à tous ses producteurs favoris. « J’ai contacté tout le monde par MySpace et Twitter : Timbaland, Darkchild et Dr. Luke. Jamais je n’avais pensé oser faire ça, mais à ma grande surprise, Luke a pris le temps d’écouter mes affaires. »

Le producteur et l’auteur-compositeur Lukasz « Dr. Luke » Gottwald est littéralement une légende dans l’industrie de la pop américaine. Il a travaillé avec d’énormes vedettes comme Nicki Minaj, Katy Perry, Avril Lavigne, Miley Cyrus et Britney Spears. « Par chance, j’avais un remix de Britney Spears sur mon MySpace qu’il a vraiment aimé, dit Billboard. Une semaine plus tard, il m’invitait à Los Angeles. Tout ça grâce à un tweet dans lequel j’avais écrit quelque chose comme : “ Hey, respect to you, my man!” »

Fraîchement débarqué de l’avion, le Montréalais se rend directement au Conwey Studio à Hollywood, véritable temple de la pop, pour rencontrer son nouveau mentor. L’auteur-compositeur et producteur Max Martin (prenez 30 secondes pour consulter son impressionnante feuille de route) est aussi sur place. Billboard croit rêver. « Ce sont des idoles pour moi. À partir de là, ma vie a changé. Ils m’ont tout de suite fait travailler sur le prochain disque de Britney Spears, Femme Fatale, qui devait paraître en 2011. »

Deux ans plus tard, le beat qui lui a valu la première place au One Stop Shop à Phoenix se retrouve sur l’album et devient la pièce Inside Out. « Dr. Luke et Max Martin ont écrit la chanson sur ma création pour Britney, se rappelle Billboard. C’était juste avant Noël. Ils me l’ont envoyée et c’était exactement ce que je voulais. Meilleur cadeau. »

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Malgré ses racines rap, c’est plutôt l’univers pop qui attire le jeune beatmaker : « J’ai toujours aimé Britney Spears. C’était même mon rêve de travailler avec elle, parce que je sais qu’elle est ouverte aux propositions audacieuses. J’ai capoté quand j’ai entendu l’album Blackout en 2007. Ce genre de fusion entre l’électronique et la pop, c’est exactement ce que je fais. »

Il compose finalement quatre morceaux de l’album Femme Fatale, dont Hold Against Me, qui trône aussitôt en première place des palmarès dans 18 pays. Ensuite, les collaborations s’enchaînent pour Billboard. Il travaille sur Cannibal de Kesha et on l’invite en Suède pour composer quelques chansons pour l’album Body Talk de Robyn.

Jomphe-Lépine a le vent dans les voiles et décide de s’installer de façon permanente à Los Angeles. Il devient un vrai bourreau de travail. « J’étais devant mon ordinateur 15 heures par jour, six jours par semaine. Je n’avais aucune vie sociale, je ne faisais que des beats. Toute la planète est à Los Angeles et tout le monde est bon. J’ai bossé tellement au courant de mes premières années, mais je suis content de l’avoir fait, parce que ça m’ouvre beaucoup de portes aujourd’hui. »

Et justement, il entre par la grande porte, en collaborant avec Madonna. « Il y a quatre ans, Dr. Luke a été approché pour travailler avec la chanteuse, mais ça ne lui tentait pas vraiment. Il m’a donc filé le contrat et je me suis retrouvé à travailler sur la production de la pièce Ghosttown de l’album Rebel Heart. Elle a vraiment aimé mon travail et, pour son nouveau disque, elle m’a invité à Londres pour faire que des drums pendant trois semaines. »

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Après plus de deux ans en Californie, en 2014, Billboard décide de s’éloigner du rythme effréné hollywoodien et de revenir chez lui, à Montréal, où il retrouve son grand ami et complice, Ruffsound. « Il nous a prouvé que le rêve américain est tangible, avance le coréalisateur des albums de Loud et Koriass, notamment. J’ai tellement appris en travaillant en studio avec Billboard ou simplement en l’observant dans son cheminement. C’est juste incroyable de le voir évoluer. Non seulement il est extrêmement talentueux, mais c’est aussi l’un des gars les plus humbles que tu puisses rencontrer. »

De retour au pays, Billboard s’achète une maison dans l’est de la ville où il monte son studio et planche sur son projet solo, beaucoup plus expérimental et personnel. « J’aime produire pour d’autres, mais c’est important d’avoir mes propres projets, raconte-t-il, en se faisant un jus vert, avec à peu près tous les ingrédients santé de son garde-manger. Si les gens veulent comprendre qui je suis, c’est ce qu’ils doivent écouter. À la fin, à Los Angeles, je sentais que ma créativité était complètement drainée. Si tu ne fais pas gaffe, il y a un risque de devenir une machine. Revenir à Montréal m’a permis de me ressourcer artistiquement. »

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Plutôt timide et réservé, Billboard ne cherche pas l’attention médiatique. Mais s’il a accepté l’entrevue, c’est pour prouver aux jeunes producteurs et compositeurs qu’à force de travail acharné, il est possible de collaborer avec les plus grands.

« Le talent est incroyable ici. Mais c’est tellement random comme industrie. Tu mets toute ton énergie sur une chanson pendant des semaines et ça peut prendre des années avant qu’elle soit publiée. Il ne faut jamais arrêter de faire des beats et de les envoyer à des artistes. Et un jour, ça se place. »

Simon Coutu est sur Twitter.