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LE NUMÉRO CLAIR DE LUNE ET POUSSIÈRE D'ÉTOILE

Reviews

Les Dum Dum Girls ont beau boire des bières, tracer avec Blank Dogs et avoir environ dix fois plus de couilles...

BURZUM

65DAYSOFSTATIC

DUM DUM GIRLS

GORILLAZ

Cette jeune fille buzze énormément parce qu’elle trace avec tous les mecs en place dans le rap américain (Weezy et Jeezy en tête), et qu’à n’en pas douter, elle doit aussi coucher avec eux pour satisfaire son immense soif de succès – oh, je t’en prie Hugues ! N’empêche que toute son esthétique sexuellement déconneuse, empruntée à la fois à Lil’ Kim, Missy Elliott et Lady Gaga, trouble tous mes plans de journaliste blanc cynique et remet en doute une longue liste d’a priori sur les goûts à laquelle je me fie depuis que je suis en âge de comprendre mon affolante supériorité par rapport au reste de l’humanité. Que dire, alors ? Cette musique me donne pas mal envie de piner.

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JIMMY MORE HELL

ERYKAH BADU

New Amerykah Part Two: Return of the Ankh

Universal Motown/

Universal

Les mixtapes, c’est relou. Les compilations en revanche, c’est bien. Comme celle-ci. C’est une sélection des meilleurs morceaux de Mr. Lee, un producteur de Houston qui fait du country-rap, un sous-genre local caractérisé par sa lenteur et l’utilisation de samples de cette musique de pineurs invétérés qu’est la soul. Toutes les stars du rap texan ont collaboré avec lui puisque ce mec ne fait que des tubes, qui sont à la fois mélancoliques et gangsta, comme le souvenir qu’a laissé Tupac Amaru Shakur dans l’inconscient collectif. Et surtout, aucun DJ débile n’est là pour interrompre ce flot continu de swag texan en hurlant un de ses drops à la con. La sobriété a finalement triomphé. Le rap n’a plus besoin des disc-jockeys.

KELLY SLAUGHTER

Je pensais que depuis son récent clip dans lequel elle se fout à poil en plein Dallas, Erykah Badu opérait un grand tournant dans sa carrière de chanteuse à texte qui a connu des hauts, des bas, mais surtout des milieux. J’espérais sans trop le dire qu’elle se foutrait désormais à poil tout le temps. Mais pas du tout, puisqu’elle est plus habillée que jamais. C’est pour ça que tout me déplaît dans ce disque, qu’il s’agisse de la pochette où un arbre lui sort de la tête jusqu’à ces chansons végétales qui parlent des VRAIES choses comme l’amour et la politique, mais aussi les pharaons et les poils pubiens. Sérieux, on dirait que ce disque a poussé dans l’herbe.

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JIMMY MORE HELL

J’ai entendu parler de dDamage pour la première fois alors que je devais avoir 18 ou 19 ans, en fréquentant le kiosque à journaux de ma gare : ils faisaient la couverture d’un magazine en détruisant violemment leurs instruments, de quoi attirer mon attention de jeune révolté. Puis j’ai découvert une musique extrêmement distinctive (guitares saturées et lignes de synthé trouées sur lesquelles vient se déverser une

blitzkrieg

de

kicks

et de

snares

) couplée à une attitude

thug

(bastons lors de concerts, menaces contre M83). Depuis, ils ont poursuivi cette musique de guerre mentale en envahissant les tranchées du featuring et en refroidissant leurs synthés à la gorge tranchée. Ce nouvel album reflète cette orientation : un certain nombre de tracks sont issus de Radio Ape – revus et corrigés par des invités –, des rappeurs viennent dire des choses vraies, et il y a même un steak de dancefloor soviétique entre deux buns de calme relatif.

COLONEL TAMER

HEY HEY MY MY

A Sudden Change of Mood

Discograph

Ce qui est bien avec le téléchargement c’est qu’avec l’argent qu’on économise on peut acheter des bouquins.

PAUL RANCŒUR

AUDIO BULLIES

Higher Than the Eiffel

Face Piece/Cooking Vinyl

Vous avez déjà entendu parler de la fois où le philosophe Richard Rorty est devenu tout rouge parce qu’alors qu’il faisait le malin dans une conférence en affirmant qu’il n’existait aucune langue dans laquelle une double affirmation constituait une négation, quelqu’un assis au fond de la salle a dit tout fort : « Mouais mouais… » ? Je pense que si quelqu’un avait ajouté « Nice Nice », il serait instantanément devenu Liquid Liquid, puis il se serait transformé en Zombie Zombie sous la lumière d’une lampe à Neon Neon.

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HUMBERT IMBERBE

GOLDFRAPP

Head First

Mute/EMI

Je comprends que quand on a été retenu en otage pendant trois ans dans une publicité mettant en scène une voiture familiale, un ciel sans nuages et une conception petite-bourgeoise de la réussite on ait besoin de s’évader un peu, mais je doute que participer à une soirée roller disco organisée par une association de sosies d’ABBA soit le meilleur moyen d’épouser en secondes noces la liberté grande.

FÉLIX ATARI

Ça me fatigue de devoir chroniquer ce genre d’albums parce que je n’arrive jamais vraiment à percer tous les mystères de leur nullité. Qu’ont-ils cherché à nous dire ? Quelle était l’idée derrière cette figure annonciatrice de la presque apocalypse ? J’en sais foutre rien. Je ne peux qu’essayer de dé­crypter quelques détails, quelques motifs, notamment ceux reprenant les effets grossiers des genres « dubstep », « fidget », « turbine de Rimini », mais au bout du compte, quand le soleil se couche et que la lumière disparaît de ce côté de l’Atlantique, qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ?

JIMMY MORE HELL

«

Francis et moi, on s’est mis à écouter Year Long Disaster après nos divorces d’avec nos femmes respectives. Cette énergie rock nous a donné la confiance nécessaire pour nous remettre à nos instruments et relancer notre tout premier groupe, Faster Than Life.

» Après m’avoir fait part de son parcours de vie – haché, selon lui – et de son insatisfaction quant à son métier de directeur de casting, Rapha est parti dans les toilettes du Petit Marquis pour prendre de la coke dans l’espoir de pouvoir baiser des mannequins ukrainiennes en leur faisant miroiter un hypothétique rôle dans une série à succès. Après, il s’est rabattu sur ma petite sœur. Voilà pourquoi j’ai décidé de ne jamais écouter ce groupe de vieux toxicos californiens.

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FRÉDÉRIC BÈGUE-PÉDÉ

TITUS ANDRONICUS

The Monitor

XL/Beggars

Mmm… Le nom du groupe fait référence à une tragédie oubliée de Shakespeare ? Cet album est construit sur la thématique de la guerre de Sécession ? C’est des gros cons de poseurs imbuvables ? Pas du tout, c’est le retour du Rade !

LE RADE

BURZUM

Belus

PHD/Import

Cette musique electro-rock emo-pompière est encore plus

wack

qu’un magicien prof de techno à Créapole. Les compositions sont des opéras de guimauve répandant un torrent de grandiloquence

cheap

et les rythmiques sont du tambourinage postjungle inspiré par Matrix et Freestyler pour asiatique à coiffure complexe. J’ai l’impression d’être dans une démo de

Wip3out

sur PS2. C’est de la musique en « 3D ».

CHARLES MOREASS

DUM DUM GIRLS

I Will Be

Sub Pop/Pias

Les Dum Dum Girls ont beau boire des bières, tracer avec Blank Dogs et avoir environ dix fois plus de couilles que les mecs de Girls, elles arrivent à faire la pop la plus féminine qui soit. On continue à se moquer des filles parce que c’est le jeu de les vexer en leur disant qu’elles pleurent tout le temps, qu’elles ne savent pas être drôles à part en disant du mal de leurs copines et qu’elles croient qu’il faut voter à toutes les élections, mais la vérité c’est qu’elles nous font encore plus peur et qu’on a encore plus envie de les épouser depuis qu’elles ont compris qu’elles n’avaient pas à choisir entre les Shangri-Las et Nirvana.

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MICHEL ROCKHARD

Je vois pas comment j’aurais pu mettre moins de 10 pour le retour de Burzum, onze ans après cet album d’ambiant naïf dont je ne saurais écrire le nom, et même s’il ne dépasse pas, à mon avis, le génial

Filosofem

. Tout frais sorti de prison, voici Varg Vikernes qui sort un CD prenant comme thème le mythe nordique de Baldr, déité à la blancheur magnifique et fils d’Odin, qui fût tué par l’aveugle Höd avec une branche de gui, seul élément de la nature apte à vaincre son invincibilité, ce secret ayant été livré par le fourbe Loki. À travers cet album de métal classique (selon son auteur), Vikernes raconte l’histoire de cette mort et la résurrection de Baldr. Burzum =

Belus

?

OTIS SHREDDING

J’avoue, j’ai écouté trois secondes ce disque, mais il mérite la meilleure note car je suis sûr que c’est le genre de musique qu’écoutent ces jolies fleurs à peine écloses qui portent des marinières, du type de celles que l’on voit dans la pub Tati partout dans le métro en ce moment… Et cette image hante mes nuits.

JOHN CREEP

BLANK DOGS

Phrases EP

Captured Tracks/Import

Certains de mes amis se foutaient de moi l’an dernier parce que je trouvais que Blank Dogs avait un côté hyper pop inhibé par un inconscient noise et torturé par des guitares dissonantes. Ce nouvel EP, plus explicitement coldwave, qui sonne plus « clair » voire plus « propre » est de ce point de vue carrément pop voire poppy, sans jamais quitter le registre du cri sourd de la culpabilité étouffé dans une cave allé­gorique. Il pourrait même symboliser le retour des beaux jours et accompagner ­certaines activités printanières comme lire les journaux de guerre d’Ernst Jünger ­allongé dans l’herbe ou ne pas réussir à mettre des mots sur le malaise civilisationnel qui étreint notre époque en mangeant une glace au chocolat.

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JULIEN CRACK

MGMT

Congratulations

Columbia/Sony Music

Les mecs de MGMT ramassent pas mal depuis qu’ils se sont rendu compte que la principale conséquence de leur premier album était d’avoir remis les chats à la mode. Ils ont donc décidé de nous faire le coup de « l’album qui sert à sélectionner son public », ce qui ne marche qu’à moitié, parce que leurs gros tubes genre « Electric Feel » étaient quand même ce qu’il y avait de mieux sur leur disque précédent, et que personne n’y croit quand ils font des morceaux de 12 minutes. Ça ne m’empêche pas de reconnaître mon semblable mon frère dans ces deux petits

artfags

sur le tortueux chemin de la

realness

, et de trouver leur démarche tout à fait touchante, parce que ce qu’ils font là, c’est exactement la même chose que ce qu’on fait, nous, quand on publie le numéro Fiction en espérant qu’on va enfin se débarrasser de notre lectorat en école de commerce.

MICHEL ROCKHARD

CARIBOU

Swim

City Slang/Coop

Je n’arrive pas très bien à saisir ce qui se passe dans cet album, mais je ressens comme un profond malaise puisque se matérialisent sous mes yeux ahuris toutes les métaphores du manque d’inspiration et du vide de notre époque. Ça me fait penser à une longue publicité pour le néant qui ferait alterner de lentes plages de contemplation dans un supermarché de la neutralité et d’autres, plus agressives, qui mettraient en scène des séquences de vie commune entre Michel Dupond et la Communication. Encore des jeunes gens qui n’auraient pas pu vivre à l’époque des cloches à gaz et des premiers congés payés. Allez-vous-en, les fiottes.

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JIMMY MORE HELL

DREW ANDREWS

Only mirrors

Broken Silence/Minty Fresh

Encore un indie nerd à hoodie marron et aux sentiments fragiles qui nous parle à mots voilés de son fantasme d’épouser un doppelganger d’Ellen Page sur une plage de San Diego aux premières lueurs de l’automne, de la mener à l’autel devant ses amis assemblés en rangées parallèles selon leur taux de fidélité et leur degré de soutien aux six groupes successifs qu’il a montés dans sa fac de cinéma, de l’emmener en pèlerinage devant le célèbre mur de la pochette de

Figure 8

d’Elliott Smith, avant de s’installer avec elle dans une petite board douillette de Soulseek où ils pourront s’échanger des covers acoustiques de Arthur Russell et élever deux ou trois courts métrages en 8 mm.

JULIEN CRACK

Vous savez ce que j’écoute en ce moment ? Les Beach Boys. Vous savez ce que j’ai écouté les dix derniers étés de ma vie ? Les Beach Boys. Vous savez quel est mon groupe préféré de tous les temps ? Les Smiths. Mais aussi les Beach Boys. Alors plutôt que faire de la musique aventureuse ratée et inécoutable dans un espace autre qu’une chambre d’étudiant qui sent la clope roulée et le pesto, tout jeune musicien devrait à la place monter un ­groupe qui pomperait intégralement le répertoire des Beach Boys post Pet Sounds, époque où Brian Wilson prenait tellement de LSD qu’il s’est transformé en Zach Galifianakis et a écrit « Til I Die ». C’est ce que font les Ganglians. La meilleure musique du monde.

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KELLY SLAUGHTER

BONNIE PRINCE BILLY

The Wonder Show of the World

Drag City/Pias

On se fait toujours un peu chier en écoutant un album de Bonnie Prince Billy, mais c’est bien. Déjà parce que c’est beau, mais surtout parce que c’est un ennui militant – dans la mesure où il est tellement gratuit et replié sur lui-même et sa propre contemplation qu’il en devient intense. Je suis pas du tout ironique, Will Oldham fait des trucs beaux et gratuits qui ne mènent littéralement nulle part pour emmerder les gens qui n’aiment pas s’ennuyer et en font une valeur en soi ; il se sent obligé de rien, il donne aucun gage, il brûle ses vaisseaux, et moi je préfère m’emmerder avec Will Oldham que m’amuser avec des gens ironiques.

MARCO POLIO

WOODPIGEON

Die Stadt Musikanten

End of the Road

C’est un groupe de type « formation à géométrie variable » qui fait de la musique de type « les amis de mes amis sont mes meilleurs amis » pour un public de type « la blogothèque constitue mon univers musical ». Mais leur optimisme inoffensif est assez communicatif, et leurs chansons simples me donnent envie de ravaler mon cynisme et mon ressentiment pour aller boire des bières près du canal Saint-Martin en regardant les meufs passer. Advienne que pourra !

ÉTIENNE ZAHO

GORILLAZ

Plastic Beach

EMI

Au seuil de la vie adulte, lorsqu’un ange séraphin est descendu de sa milice céleste pour projeter un rai de lumière divine sur une existence qui m’apparaissait alors comme un labyrinthe d’ombres sans entrée ni sortie en rotation autour d’un axe d’impasses agencées en fractale vers l’infiniment petit afin de m’annoncer d’une voix pure comme la Vérité révélée que dans quelques années je serais payé pour dire du mal de Gorillaz dans un magazine américain, cette sentence messianique m’avait semblé ouvrir une perspective beaucoup plus glorieuse que cette laborieuse sensation d’impuissance face à une déferlante d’adjectifs qui me fouette comme une rafale de graviers au moment de décrire cet album. Tu t’es bien foutu de ma gueule, Achaiah.

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MARCO POLIO

YUSSUF JERUSALEM

A Heart Full of Sorrow

Born Bad/Pias

Born Bad sort une réédition de cet album génial passé plus ou moins inaperçu l’année dernière malgré les efforts intarissables de nos rédacteurs musique qui l’avaient porté aux nues des caves à vin de Saint-Ouen jusque devant les portes du Chiquito. Ce qui avait d’ailleurs le don de faire particulièrement chier la tête pensante de ce groupe, qui ne supportait pas l’idée qu’un « magazine de merde » tel que le nôtre puisse s’intéresser à eux. Je vous conseillerai donc de ne pas acheter ce disque, de ne pas en parler autour de vous et de ne pas vous rendre à leur concert s’ils viennent jouer près de chez vous ou au Chiquito. C’est mieux comme ça, non ?

STOMY BALLSY

FOREST SWORDS

Dagger Paths

Olde English Spelling Bee/Import

Un certain nombre de pipes de l’art contemporain sont en train de vider de tout contenu les concepts d’hétérotopie et de déterritorialisation, mais Forest Swords s’en fout pas mal, parce que ces jours-ci il est hyper occupé à faire croire à tout le monde que la banlieue de Liverpool a été bâtie sur un plateau rocheux émergeant tout juste au-dessus d’une jungle maudite réputée pour sa végétation hostile et ses peuplades anthropophages constituées de fugitifs et de fans de Sun Araw, et à imaginer ce qui se passerait si Aaliyah avait chanté « If Your Girl Only Knew » à l’occasion d’une cérémonie funéraire Na-khi.

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FÉLIX ATARI

SUN ARAW

On Patrol

NotNotfun/Import

RANGERS

Suburban Tours

Olde English Spelling Bee/Import

Ce disque me rappelle mon enfance en banlieue, quand ma personnalité se formait à l’épreuve de questions telles que « quelle émotion ressentirai-je lorsque j’aurai enfin l’occasion de voir la mer ? », « quels souvenirs garderai-je de ces heures passées en voiture à écouter l’autoradio lorsque des technologies plus performantes auront rendu les voyages plus courts et la qualité du son incomparablement supérieure ? » ou encore « à quoi ressemblerait le mois d’août si mon père était muté dans l’espace ? ». Je sais que dans la mesure où la valeur du récit autobiographique repose sur une confiance mutuelle et sans réserve entre l’auteur et le lecteur, je devrais reconnaître qu’en vérité lorsque j’étais enfant en banlieue les problèmes qui me plongeaient dans la perplexité concernaient plutôt le véritable sens des initiales NTM et la probabilité que la Coupe du monde 1998 ait effectivement été truquée, mais le pacte autobiographique n’est pas le premier pacte que je trahis, et je ne vois pas l’intérêt d’écrire des histoires si c’est pour qu’à la fin tout le monde se rende compte qu’en fait j’ai toujours été hyper normal.

COSMO CRÂNEUR

Je sais pas ce que j’emporterais comme disque sur une île déserte parce que j’aime pas les plages et que je déteste ce topos ­journalistique au moins autant que le ­questionnaire de Proust mais si un jour je devais remonter le fleuve Congo dans une époque indéterminée à la tombée de la nuit sur une barque lente menée par des rameurs silencieux, je crois que j’écouterais Sun Araw.

JULIEN CRACK