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Musique

Distant Planet – L’intégralité de l'interview avec Jamal Moss

Comme promis dans le mag voici l'intégralité de l'interview de l'énigmatique Jamal Moss, boss du label Mathematics plus connu sous l'alias Hieroglyphics Being, avec en prime deux morceaux extraits de son album 4 she is the acid & i am the frequency...

Comme promis dans le mag voici l'intégralité de l'interview de l'énigmatique Jamal Moss, boss du label Mathematics plus connu sous l'alias Hieroglyphics Being, avec en prime deux morceaux extraits de son album 4 she is the acid & i am the frequency (aujourd'hui épuisé), et un mix exclusif de John Heckle dont Mathematics vient de sortir le premier album, The Second Son.

VICE : Ça veut dire quoi toutes ces références cryptiques dans les titres de vos tracks/EP/LP ?
Jamal Moss : C’est une forme d’échappatoire pour moi depuis que je suis petit, c’est dû au fait que j’ai grandi dans une famille de francs-maçons, de l’Ordre de l’Etoile Orientale, et il y avait beaucoup de livres sur la Science, l’Afrique (L’Égypte), les enseignements maures, les enseignements ésotériques comme le livre d'Urantia, ou bien de la littérature sur les codes et les « Supreme Mathematics ». J’ai incorporé ça dans mes sons, ça vient de cette éducation, de cette enfance étrange, et ça a continué jusqu’à l’âge adulte. Je collectionne et lis toujours ce genre de trucs.

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Il y a des sortes de messages dans vos morceaux ?
Oui parfois mais je ne suis pas toujours conscient de le faire ou que j’essaie de le faire, ça se met juste en place de façon cosmique, par hasard ou par « volonté accidentelle ». Je préfère encoder des messages à l’aspect éclairant qui me feront évoluer en tant que personne et entraineront d’autres gens dans un même élan, plutôt que de les abrutir ou de les subvertir.

OK, Qu’est-ce qui vous inspire, en réalité ?
Ce qui inspire mon approche expérimentale de la musique sont les champs d’énergie, les forces vitales et les forces invisibles,  les mots écrits, les projections visuelles et les interactions soniques qui flottent autour de moi et à travers moi jour et nuit depuis le moment où j’ai découvert que j’avais 5 sens physiques et 2 sens spirituels.

Vous partez de concept, idées ou thèmes ?
Généralement c’est un mélange des trois. J’essaie de voir ce qui marche et ce qui ne marche pas, mais très souvent ça me vient de l’Univers et je le suis. Comme je l’ai dit avant je ne mène pas vraiment une réflexion, les choses se mettent dans un certain ordre à partir de ce que j’ai pu lire, voir, ou écouter. Je n’ai pas de méthode de production particulière, c’est plus un réflexe ou une réaction, un peu comme respirer/manger/dormir ou marcher pour moi. Je fais ça depuis tellement longtemps.

Des projets en cours ?
Je travaille sur quelques projets perso pour ma propre santé mentale et ma guérison spirituelle, je les sortirais en CDR limités une fois par mois dans certaines boutiques. Mais je concentre la plupart de mes ressources à aider d’autres artistes à se faire entendre sur Mathematics.

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Comment vous avez déniché des gars comme John Heckle ou Marcello Napolettano vous êtes un gros crate Digger ou on vous recevez plein de démos ?
C’est une combinaison des deux. On m’envoie des démos et je rencontre des gens pendant mes voyages, je les reçois, j’écoute leur travail et si j’entends quelque chose de spécial dans ce qu’ils font je décide de leur donner une chance et de travailler avec eux, « Passing the blessings along ». Car je sais ce que ça fait d’être rejeté, ou de ne pas avoir l’opportunité d’exceller, et ce n’est pas parce que j’ai été traité injustement à l'époque où j'étais sans ressources, et qu’aujourd’hui je les ai, que je dois traiter les autres avec cette même attitude négative.

Mathematics laisse à ses artistes l’intégralité des droits sur leurs œuvres, c’est la marque d’une revendication idéologique, politique ?
Ce n’est ni l’un ni l’autre, c’est juste la bonne chose à faire. Je créé mes propres œuvres donc je n’ai pas besoin de jouer au parasite et d’infliger stress et migraines aux autres artistes. Le label est un outil pour faire la promotion d’autres artistes et leur donner une plateforme afin que leur musique soit écoutée, et peut-être améliorer leur vie. Un mentor m’a dit de toujours partager cette chance avec les autres si tu as reçu cette bénédiction de quelqu’un. En retour, avec un peu de chance, ces gens feront pareil pour d’autres.

Il y a des musiciens, courants, labels contemporains que vous suivez/supportez ?
Il y en a plein, mais en ce moment les gens comme moi recherchent plus les vieux sons, les classiques parce qu'ils sont de plus en plus instruits sur l’industrie et l’histoire de la musique. Ils entendent de nouveaux artistes et recherchent ce qui les a inspiré, qui ces artistes ont samplés, ou repris, et réalisent que ces nouveaux artistes n'ont rien d'original. Pourquoi payer des clones quand on peut simplement supporter la source. J’aime bien Sun Ra, Miles Davis, Peter Gabriel, John Cage, Larry Heard, Wax Trax, Mute, Rough Trade, Blue Note, etc. Maintenant les gens qui s’intéressent à Hieroglyphic Being vont chercher ces artistes/labels qui m’ont inspiré. En fait c’est ce que je souhaite, c’est bien de respecter et de soutenir les auteurs originaux plutôt que les imitateurs.

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Et vous pensez quoi des mecs qui font de la house 80’s aujourd’hui ?
C’est cool c’est une chose magnifique que les gens puissent rendre hommage à une autre forme d’art quand c’est sincère que ça vient du cœur, et je crois que les intentions de ces artistes sont vraies et honnêtes.

Y a-t-il des jeunes à Chicago qui renouvellent le mouvement, comme Kyle Hall à Détroit ?
En ce moment il y a un tas de jeunes qui s’investissent dans les soirées ici, mais ils ne se concentrent pas juste sur la house, c’est un mélange Board Art Noise/Ambient/AfroBeat/Dubstep/Drum & Bass/Industrial/ska Punk, même si le revival disco et soul 60’s est bien plus large en terme d’échelle que celui des autres genres. C’est dû aux facilités d’accès, de recherche et de partage par internet. Et puis beaucoup de vieux artistes house ne sont pas à la recherche de jeunes de moins de 25 ans à signer ou à guider. Les vieux artistes se contentent de se vanter de ce qu’ils ont fait dans les 80's. C’est plus un délire « admirez-moi », donc ça refroidi un peu les jeunes qui pourraient s’intéresser à la Chicago house, ce n’est pas un environnement très productif en ce moment. C’est une des tristes choses qui ont besoin d’être corrigés dans cette ville. 40000 personnes vont sortir pour Daft-Punk ou LCD mais pas pour Frankie (Knuckles) ou Farley ("Jackmaster'' Funk) ?????

Vous avez dit que le son rugueux de vos tracks s’inspirait de ce qu’on entendait dans les clubs à l’époque, c’était vraiment aussi crade ?

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Je gravitais principalement autour de sons/environnements plus ou moins étranges. Ca me plaisait et me motivait, plus que les standards policés de l’industrie musicale et des club. Il y a quelque chose de plus authentique quand quelqu’un a recours à la volonté pure et l’intellect pour créer ou composer une nouvelle forme d’art avec les outils les plus limités à sa dispositions. Tu avais certains DJ/lieux /pionniers de la house originelle/organisateurs de soirées qui se connectaient à l’unisson comme un collectif, et des groupes avaient créé un mouvement, une période de renaissance à Chicago vers la fin des années 70, début 80. C’est l’une des choses à laquelle j’aspire quand je fais du son, je l’ai vu/je l’ai vécu/je le suis/c’est moi. Ne laisse personne te dire autre chose, c’est ce son rugueux (Acid/Jack/Gherkin/Music Box/sons Proto-House/Indus/Italo/ Disco edits) qui a tout fait démarré à l’époque et les quelques DJ qui l’ont supporté et qui n’avaient pas peur de le jouer.

Comment sont conçus vos différents projets (African with mainframe, IAMTHATIAM, Sun God, etc.) ?
Ce sont soit des collaborations qui ont bien fonctionné en studio, soit des projets solo parce qu’il y a certaines personnes avec qui on ne peut pas travailler pour des raisons personnelles ou professionnelles. Certains autres projets sont aussi venus à moi, ou bien m’ont été inspiré par des livres que j’ai lu ou des films que j’ai regardé.

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Lesquels par exemple ?
La liste est longue, j’ai près de 2000 périodiques, magazines, livres, films sur un tout un tas de sujets. J’ai laissé tombé les comics quand j’avais 15 ans. Les lectures/films qui m’intéressent principalement sont Stanley Kubrick/ Jules Verne/John Carpenter/Ray BradBury/David Childress/Milton/Zecharia Sitchin/Toffler/Kuthumi Djwal kul/Edgar Cayce/David CronenBerg/Phillp K. Dick/Avicenna/Siddhartha/Isaac Asimov/Rimbaud/Camus/Robert Heinlein/Brazil/BladeRunner/THX-1138 et ça pourrait continuer à l’infini, la plupart de ces personnes ont influencé d’autres grands auteurs/penseurs/films/livres qui m’ont eux aussi grandement influencés.

Il y a un lien entre vos études d'ethnographie et votre rapport à la musique ?
Oui, d’une certaine façon, mais je ne me concentre pas dessus, ou plutôt je ne le l’approche plus depuis ce point de vue. Essayer de préserver l’Histoire de la Chicago House comme un âge d'or crée un environnement trop négatif. Ce que j’ai appris de mes études d’ethnographie c’est que les hommes ont cette soif de mythes. Afin de rendre des situations ou des histoires bigger than life, ils exagèrent leurs caractéristiques propres, ou celles de leurs proches afin d’apparaître comme des dieux, et aussi afin de diaboliser ou de ridiculiser ceux qui ne leur correspondent pas ou qui ne partagent pas leurs pensée ou leurs ambitions . Cela arrive dans la politique, la religion, l’art, la musique, et tout spécialement dans le milieu de la house. Si vous vous levez et dites la vérité certaines personnes qui ont de l’influence vont vous faire de l’ombre pour pouvoir préserver leur faux héritage. Aujourd’hui j’aimerais appuyer sur reset et démarrer un nouveau chapitre dans le paysage musical de Chicago, sans me retrouver coincé dans un dogme.

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Votre parcours rappelle celui d’Omar S, vous avez acquis une certaine forme de reconnaissance sur le tard dans un milieu hyper indé, après avoir passé votre jeunesse à être refusés par les labels, c’est assez nouveau dans la scène house non ?
Voilà ma situation : je viens d’un milieu où soit vous attendez patiemment et l’on paye ce que l’on doit, soit on ne veut pas passer les rites de passage ou d'initiation et alors on doit sortir et créer sa propre destinée. Parfois vous ne voulez pas jouer le jeu, vous voulez créer vos propres règles et laisser les autres y jouer. Cela s’applique à tous les aspects de la vie : vous pouvez être nourris à la cuillère, attendre les miettes, ou apprendre à planter et faire pousser votre propre nourriture et subvenir à vos besoins. Dans les années 90 les labels n’essayaient pas de digérer ce que je faisais ou de nourrir leur audience-cible avec mes productions. Il ne s’agissait que de consommer/copier ce qu’ils donnaient aux masses de dance music, et cela se passe toujours ainsi aujourd’hui, encore plus qu’à l’époque. Il y a beaucoup de H.Being’s & Omar s entre 18 à 25 ans qui essaient de percer mais qui n’ont pas les ressources, ou un mentor pour les guider et les aider à surmonter ce jeu égoïste. Et les gens en haut de la chaîne alimentaire ne veulent pas en bouger après avoir dû monter cette super longue échelle qui les y a mené. Plus il y a d’artistes nouveaux, moins il y a de concerts, moins il y a d’albums vendus pour les labels, et moins il y a de place dans les magazines. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde, mais chacun doit participer, comme dans un village planétaire et pas comme des tribus guerrières. Chacun doit travailler plus dur et atteindre plus de gens grâce aux aspects positifs de cette culture musicale afin que la scène puisse grandir au lieu d’imploser. Plus on attire d’amoureux et de consommateurs de musique électronique bonne et authentique, plus les acheteurs, danseurs, le public, les personnes travaillant dans des clubs ou pour des festivals, les lecteurs de magazines et de blogs donneront naissance une économie florissante pour tous, et une meilleure compréhension de l’ebm et des autres genres.

Vous pensez quoi du regain d’intérêt pour la Chicago house en ce moment, toutes ces rééditions et ces inédits, ce que sortent Clone, Rush Hour, 7inches, etc. ?
J’essaie de ne pas trop y penser, j’y suis assez indifférent. En ce moment c’est à la mode, c’est un peu traité comme une tendance par quelques uns. Pas par les gens que t’as cité, je crois qu’ils ont les meilleures intentions, mais combien de temps cet engouement va-t-il durer avant que tout le monde ne se tourne vers la Jungle ou le D&B/Gabber/Happy Hardcore/French house/ New York Garage/ Classic Detroit ou la Rave ? Je pense que n’importe quelle musique de qualité devrait être supportée, un point c’est tout. Pas parce que tu veux te faire de l’argent rapidement ou être un poseur profitant de l’héritage et du travail des autres. Pense au nombre de DJ de minimale d’il y a cinq ans, qui sont maintenant passés à la deep house, ou sont à fond disco. « People keep it real ».

Il y a quelques années vous confiez à RA qu'il vous était difficile de trouver des dates en Europe (vous deviez payer votre billet d’avion vous-même, etc.), c’est toujours la galère ?
Oui, toujours. Je n'y suis pas retourné depuis. Je refuse de le refaire, de payer le trajet pour donner des concerts, sauf si je suis en vacances ou que je rends visite à des amis. Il y a quelques personnes ici et là qui travaillent pour m’obtenir un billet pour un concert en août, après ça il se pourrait que je n’y retourne pas pendant deux ans. Je pense qu’il me faudrait un agent, mais je n’ai jamais eu les bonnes relations ou connections qui me permettraient d’en trouver un sur qui compter. Alors je vais juste m’investir plus encore dans ce que je fais, attendre le bon moment, et me réjouir de ce que j’ai accompli jusqu’ici.

Vous pouvez trouver le mix de John Heckle ici

Et les deux tracks de Jamal Moss ici