Rencontre avec les skinheads montréalais qui font vivre la principale scène skin au pays
Illustration par Mathieu Rouland

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Culture

Rencontre avec les skinheads montréalais qui font vivre la principale scène skin au pays

À l’occasion du Montréal Oi! Fest, on a parlé de ce qui se passe dans la scène skin ces temps-ci.

Le mouvement skinhead célèbre ses 50 ans cette année. En 2019, Trojan Records lui rend d’ailleurs hommage dans un film intitulé Rudeboy: The Story of Trojan Records. Un documentaire qui raconte l’histoire de cette importante maison de disques de musique jamaïcaine.

Les skinheads apparaissent pendant l'explosion du rocksteady et du reggae dont l'impact en Grande-Bretagne en fait les principaux amateurs vers la fin des années 60.

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IIs connaissent un important revival avec l’arrivée du mouvement punk quelques années plus tard. L’extrême droite alors très forte finit par séduire certains adeptes qui deviennent néonazis. La réponse à l’intérieur du mouvement est immédiate et plusieurs skinheads antiracistes s’opposent à ces nouveaux « skinheads ». Ils vont utiliser un terme péjoratif pour les qualifier : boneheads (tête d'os). Ils trouvent que c’est complètement contradictoire d’être raciste et skinhead, puisqu’il s’agit d’un mouvement multiculturel qui n’aurait jamais pu voir le jour sans la contribution des Jamaïcains.

Les skinheads de la Belle Province

Au Québec, les skinheads s’implantent dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce à Montréal en 1980. Ils prennent un petit moment avant de se positionner contre le racisme, mais les boneheads néonazis apparaissent rapidement et gagnent du terrain partout à travers le Québec.

Éventuellement, des skinheads antiracistes surgissent en réaction au développement de ce courant. Ils seront très actifs afin de combattre leurs ennemis jurés dans une lutte contre le racisme organisé. Ils mettront sur pied plusieurs concerts afin de reprendre le monopole de la scène. À cela s’ajouteront des manifestations, services d’ordre et protections d’événements, mais, surtout, de multiples confrontations physiques pour tenter de freiner cette vague indésirable.

Près de 40 ans plus tard, VICE Québec s’est intéressé à la situation des skinheads à l’occasion du Montréal Oi! Fest, leur rendez-vous annuel depuis maintenant sept ans, qui se déroulait le week-end dernier. Cette année, le festival a attiré de 200 à 300 personnes chaque soir.

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« Être skin, c’est appartenir à un mouvement qui s’en va dans une certaine direction. Contrairement à certains, je pense que ça porte aussi des valeurs politiques : une remise en question de l’autorité, une conscience de classe, de nos conditions de vie et de s’affirmer comme on est », répond d’emblée Chloé, une skingirl qui n’a manqué aucune édition du Montréal Oi! Fest.

Si plusieurs personnes ne s’entendent pas sur la politique, comme l’antifascisme, dans le mouvement, tous les skinheads que nous avons rencontrés le week-end dernier s’entendent pour dire que c’est une contre-culture où le racisme n’a pas sa place. Ils partagent aussi des intérêts, dont la musique.

« Tout le monde le sait qu’au Canada, c’est à Montréal que tu veux jouer. Souvent, les bands vont à Toronto le lendemain et ils disent tous que c’était ben plus le fun à Montréal », raconte Sylvain, l’organisateur du Oi! Fest, également chanteur pour la formation montréalaise The Prowlers. Actif depuis 20 ans, le groupe est un classique de la scène internationale. Il a tourné un peu partout : au Mexique, en Colombie, en Angleterre, en Allemagne et en France, où des scènes skinheads sont également présentes.

Karl, musicien des groupes King Cans et Force Majeure, tous deux à l’affiche du Oi! Fest cette année, rapporte que le reste de la scène au Canada n’est effectivement pas aussi vivant. Le Montréalais d’origine qui a habité à Edmonton pense que la scène ouest-canadienne est un peu moribonde. À la blague, il raconte qu’il doit y avoir quelque chose dans l’eau à Montréal pour donner autant de bons bands.

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« La scène n’a jamais été aussi bonne. Un moment donné, il y a eu une nouvelle vague oi [sous-genre du punk rock surtout associé aux skinheads], et même les punks et les hardcore kids sont embarqués. Ça a fait éclore beaucoup de groupes », affirme un skin qu’on surnomme Pwel. Il fréquente la scène depuis 20 ans et s’occupe aujourd’hui de HoM Records, un petit label montréalais très productif. En 2018, le producteur a fait paraître 12 albums, signe que la scène est bien vivante.

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The Prowlers Photo par Jonathan Blanchard

Si la scène d’ici est aussi constante, c’est que la plupart des membres s’investissent activement pour la faire rayonner : Chloé monte elle aussi des événements; Sylvain, lui, en plus de chanter dans les Prowlers, organise les tournées du groupe et plusieurs autres concerts en marge du Oi! Fest; Karl, de son côté, joue dans cinq groupes de musique; puis, finalement, Pwel gère HoM Records depuis quatre ans, met sur pied plusieurs soirées et chante pour les King Cans.

Un mouvement beaucoup moins violent qu’à ses débuts

Surtout reconnue comme une scène violente, les skinheads à qui nous avons parlé racontent que le mouvement n’est plus ce qu’il était. Dans les années 90, les antiracistes devaient faire face à une menace néonazie qui est aujourd’hui moins importante, voire inexistante.

À cette époque, la question politique se résumait surtout à être antiraciste ou non. L’organisateur du Oi! Fest, qui a produit son premier show en 1996, raconte que l'homophobie et le sexisme étaient plus présents, même au sein du courant antiraciste. Puis, les antifascistes étaient peu nombreux. Ce sont les skinheads antiracistes qui « s’occupaient » de l’extrême droite. Ces groupes, composés de boneheads, venaient directement dans les spectacles afin de les confronter.

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« On avait toujours notre poing américain sur nous autres et un bâton dans l’auto. On était prêts. Aujourd’hui, on n’a plus vraiment besoin de ça. Les groupes d’extrême droite n’en ont plus rien à chier de nous autres. Ils ont un agenda politique pis une image à garder. Ils ne perdent pas leur temps à venir taper sur des gars saouls dans un bar », précise-t-il.

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« Un moment donné, ça a fait son temps. Quand tu sors et tu te bats toutes les fins de semaine, tu te dis que tu vas finir par tuer quelqu’un », relativise l’organisateur du Montreal Oi! Fest.

« Maintenant, les jeunes n’ont plus vraiment à faire leurs preuves, parce qu’on ne croise plus vraiment de boneheads, explique à son tour le leader de HoM Records. Si tu sortais avec nous autres, tu ne pouvais pas vraiment partir en courant. Tu devais backer les boys », ajoute le dénommé Pwel, qui précise qu’aujourd’hui, les gens sont plus au courant que les skinheads ne sont pas synonymes de nazis.

Une réalité que Chloé, qui se considère antifa, note aussi. « C’est une dimension moins présente à Montréal. Il n’y a plus vraiment de néonazis. Si oui, ils ne sont pas organisés », explique-t-elle.

En effet, si la lutte contre l’extrême droite était auparavant plus dirigée contre les boneheads, la militante affirme que la situation change depuis un certain temps avec des groupes comme La Meute. « Au début, on s’est posé des questions. On se demandait si on devait adapter nos méthodes. Il y a même des skins qui se sentaient perdus, parce qu’on devait changer nos patterns », raconte-t-elle, en faisant référence à l’action directe et la confrontation physique face à des groupes d’extrême droite moins violents qu’à l’époque. « Pour les groupes comme La Meute, on va maintenant utiliser des stratégies comme la manifestation et l’éducation populaire », précise la militante antifasciste. Ils seront d’ailleurs présents ce dimanche au centre-ville de Montréal pour assurer la sécurité à un grand rassemblement contre le racisme.

En 2019, la scène skinhead montréalaise est donc bien en santé et, heureusement, la présence de leurs ennemis néonazis se fait de moins en moins sentir.

Samuel Daigle-Garneau est sur internet ici et .