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Des sherpas expliquent pourquoi ils reviennent sur l’Everest après une saison plus meurtrière que jamais

4000 personnes ont escaladé l'Everest. Rares sont les ascensions qui auraient été possibles sans l'aide des Sherpas.

En 1953, Edmund Hillary et Tenzing Norgay ont marqué l'histoire : ce sont les deux premiers hommes à atteindre le sommet de la plus haute montagne au monde. Depuis, 4000 personnes ont escaladé l'Everest. Rares sont les ascensions qui auraient été possibles sans l'aide des Sherpas, devenus indissociables de la montagne.

Ce peuple d'origine tibétaine qui vit dans l'est du Népal guide les alpinistes et porte leur équipement. L'escalade est si ancrée dans la culture des Sherpas qu'elle aurait entraîné une adaptation génétique qui leur donne une capacité presque inhumaine de résister aux effets physiques de la haute altitude.

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Des sherpas et des travailleurs népalais relaxant dans une tente. Toutes les photos : Daniel Oberhaus

Les Sherpas assument de nombreuses responsabilités au cours des ascensions : ils cuisinent, déterminent l'itinéraire, installent les cordes et transportent tout l'équipement des alpinistes à l'aller comme au retour. Certains d'entre eux atteignent le sommet de l'Everest plusieurs fois dans la même saison.

Mais les deux dernières saisons ont été les plus meurtrières dans l'histoire de l'Everest, et les Sherpas ont été nombreux parmi les victimes. En 2014, une large colonne de glace de la cascade de glace du Khumbu s'est détachée, causant la mort de 16 grimpeurs, dont 13 Sherpas. Après cet incident, ils ont fait la grève jusqu'à ce que leur sécurité soit améliorée.

En 2015, un tremblement de terre d'une magnitude de 7,8 a secoué le Népal, provoquant une gigantesque avalanche qui a fait 22 morts au camp de base, dont dix Sherpas, et une soixantaine de blessés. Après la tragédie, toutes les entreprises se sont retirées de la montagne et, pour la première fois en 41 ans, personne n'a atteint le sommet au cours de la saison.

Malgré tout, de nombreux Sherpas sont revenus cette année. Je me suis rendu au camp de base avec un traducteur pour découvrir ce qui les a poussés à revenir après deux saisons tragiques.

Ang Kamy

À 64 ans, Ang Kamy est l'un des plus vieux Sherpas de l'Everest. Il est revenu chaque année depuis 1975 mais, même s'il a participé à 35 expéditions, n'a jamais touché le sommet. C'est qu'il est le leader d'une équipe élite de huit Sherpas qui fixent les cordes et les échelles sur la cascade Khumbu, dont dépendent les grimpeurs pour parvenir au sommet en sécurité.

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La cascade de glace du Khumbu est considérée par la plupart des grimpeurs comme la plus terrifiante partie de l'ascension. C'est un piège mortel fait de blocs de glace instables avec des échelles suspendues au-dessus de crevasses sans fond, qui ont déjà avalé des équipes entières d'alpinistes. Pour beaucoup, l'objectif est de la franchir aussi vite que possible. Pour Ang Kamy et son équipe, c'est presque un deuxième chez-soi.

Deux ou trois semaines avant l'arrivée des alpinistes au camp de base, ce qui marque le début de la saison, son équipe et lui commencent à s'aventurer sur le glacier. Ils installent des cordes, des points d'ancrage et des échelles jusqu'au camp II, deuxième de quatre camps où s'arrêtent les grimpeurs, à 6500 mètres d'altitude.

Comme la cascade est un glacier en constant mouvement, les passages doivent être fréquemment entretenus. La glace qui se détache peut avoir coupé une corde ou une crevasse peut s'être élargie de la longueur de deux ou trois échelles en à peine quelques heures.

C'est un travail dangereux, et c'est en partie ce qui y attire Kamy depuis 1999. « J'ai arrêté d'être porteur pour travailler à la cascade parce que j'aime le danger et j'aime créer un passage pour les expéditions. Ma famille n'arrête pas de me demander d'arrêter à cause du danger, mais j'aime être ici, j'aime rendre les grimpeurs heureux. »

En 2014, quand la colonne de glace s'est détachée, Kamy et son équipe devaient se trouver parmi les victimes. Mais ce jour-là, le déjeuner s'est étiré, ce qui les a retardés et leur a sauvé la vie.

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Et l'an dernier, le matin du tremblement de terre, son équipe et lui étaient revenus de la montagne plus tôt que prévu à cause du mauvais temps. Quand ils sont arrivés au camp de base, le dîner était presque prêt, alors ils ont décidé de se réunir dans une grande tente réservée aux repas.

Vers midi, le tremblement de terre a entraîné l'avalanche qui a rasé toutes les tentes individuelles du camp de base. Les médecins ont survécu, mais Kamy admet calmement que, si chacun avait été dans sa tente, ils seraient tous morts.

Mais il croit que rien n'a changé sur la montagne et qu'il n'y a aucune raison de ne pas y retourner. « Le tremblement de terre, c'est juste l'un des défis de la nature. »

Tenjing Dorji

Tenjing Dorji a commencé à guider les grimpeurs de l'Everest en 1993, quand il avait 24 ans. Depuis, il a atteint de sommet dix fois. « À l'époque, les Sherpas n'avaient pas accès à une bonne éducation. J'ai fait ce travail pour gagner de l'argent et offrir une meilleure éducation à mes filles et à mon garçon. »

Selon Tenjing, les Sherpas ont un salaire de base de 3000 à 4000 dollars par saison, selon l'entreprise pour laquelle ils travaillent. Ils obtiennent une prime de 1000 dollars s'ils guident une équipe jusqu'au sommet. Ce peut sembler peu, mais dans l'un des pays les plus pauvres au monde, ce n'est pas si mal. Le salaire annuel moyen des Népalais est de 700 dollars.

Le fils de Tenjing, qui a maintenant 25 ans, a eu accès à l'éducation promise par son père. Toutefois, il a suivi ses traces et est devenu guide. « La culture dans la région du Khumbu est ainsi, explique Tenjing. Même si on a une occasion de travailler pour le gouvernement ou dans un bureau ailleurs au Népal, on préfère grimper. »

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Il était au camp de base lors de l'avalanche de la saison dernière, mais dit ne pas avoir eu peur de revenir cette année. Le plus difficile avec ce travail, selon lui, c'est de passer près des corps de Sherpas morts dans la montagne. On ne les redescend pas pour des raisons de logistique. Ils nous rappellent qu'on ne peut pas tenir demain pour acquis.

« Nos ancêtres escaladaient l'Everest, c'est notre culture. La sécurité des Sherpas n'est jamais garantie. Il n'y a aucune garantie tant qu'on n'est pas revenus au camp. C'est seulement là qu'on sait si on a survécu. »

Mingma Chhiri

Quand j'ai rencontré Mingma Chhiri, la peau de son visage était brûlée par le vent et le froid. Je lui ai demandé s'il avait grimpé dernièrement et il m'a répondu qu'il avait atteint le sommet de l'Everest pour la première fois deux jours plus tôt. Il installait les cordes pour une expédition commerciale. Son groupe de huit Sherpas était le premier à atteindre le sommet cette saison, et donc le premier depuis deux ans.

Mingma guide des expéditions dans l'Himalaya depuis 2010, suivant les traces de son frère, qui travaille sur de moins hautes montagnes. En 2014, il est parvenu au camp II de l'Everest, mais la catastrophe l'a empêché de poursuivre l'ascension. Quand il y est retourné en 2015, il avait bon espoir d'atteindre le sommet. Mais il y a eu le tremblement de terre, et il a craint pour sa vie.

« Je n'avais jamais ressenti un tremblement de terre pareil et je n'avais aucune idée de quel côté venait l'avalanche. J'avais peur de revenir cette année, mais mon frère m'a demandé de venir. Alors je suis venu. »

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Pour nombre de Sherpas, cependant, le risque n'en valait pas la peine. « Dans le bouddhisme, le nombre trois a un sens particulier. Il y a eu des accidents deux années consécutives. Des Sherpas croient que cette année est aussi dangereuse parce que c'est la troisième, explique-t-il. Beaucoup de Sherpas expérimentés ne sont pas revenus. Si tout se passe bien, je pense qu'ils reviendront tous l'an prochain. »

Phu Chettar

Phu Chettar n'avait jamais prévu travailler sur l'Everest. Le jeune homme de 22 ans a récemment été diplômé d'une université de Katmandou, où il étudiait pour devenir hygiéniste dentaire.

Mais la dentisterie ne le passionnait pas – l'escalade, si. Avant ses études, Phu profitait de ses temps libres pour escalader des montagnes de l'Himalaya, parfois à titre de guide. Après l'université, il s'est inscrit à une formation et, en 2015, s'est ensuite joint à l'équipe de guides qui travaillent sur le glacier. C'était le plus jeune membre de l'équipe.

« J'étais très heureux d'être sur la montagne. Puis il y a eu le tremblement de terre. J'ai eu vraiment peur. Ç'a été une année difficile. »

Malgré cette dure première année, Phu n'a pas hésité pas à revenir cette année. Il s'est laissé convaincre par la soif d'aventure — et d'argent. « Je veux retourner à l'école un jour et me joindre à la faculté de l'université. Pour ça, j'aurai besoin d'argent. Alors je suis de retour sur l'Everest. »

Vidéo tournée à la cascade Khumbu du point de vue d'un grimpeur

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