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Au Maghreb et au Moyen-Orient, les rédactions arabes sont unanimement solidaires avec « Charlie Hebdo »

Tous se disent « effarés », « outrés » et « consternés ».

Une manifestation de journalistes tunisiens critiquant publiquement le gouvernement, 2011. Photo via flickr.

En à peine trois jours, le monde a assisté au massacre de onze journalistes. Mercredi matin, deux hommes cagoulés et lourdement armés ont fait irruption dans la salle de rédaction du journal Charlie Hebdo et froidement assassiné neuf journalistes et dessinateurs. Hier après-midi également, on apprenait l'exécution de deux journalistes tunisiens, Sofiène Chourabi et Nadhir Ktari, par la branche de l'EI présente en Libye.

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Dans un communiqué apparu sur des forums jihadistes, la faction libyenne de Daesh explique « avoir appliqué la loi d'Allah » à l'encontre des deux journalistes.

[Pour autant, le communiqué comporte des photos de Sofiène et Nadhir, qui n'ont pu être authentifiées. De son côté, le Syndicat tunisien des journalistes met aussi en doute cette exécution, la considérant comme une « simple rumeur ».]

En 2005 et 2006, la publication par le quotidien danois Jyllands-Posten d'une série de caricatures représentant le Prophète Mahomet avait provoqué de nombreuses manifestations ainsi que de vives polémiques au sujet de la liberté d'expression dans le monde arabe. Si aujourd'hui, la presse arabe et africaine condamne unanimement le massacre des membres de la rédaction de Charlie Hebdo, elle fait également part de ses inquiétudes pour le futur, en Europe, au Maghreb et au Moyen-Orient. VICE a joint trois responsables de rédaction en Tunisie, au Maroc et au Liban, pour qu'ils nous livrent leurs réactions.

Capture d'écran de la homepage de Nawaat

TUNISIE – Nawaat.org

Depuis la création du site en 2004, Nawaat fait figure d'élément perturbateur dans le paysage médiatique tunisien sclérosé et soumis au pouvoir. Indépendant et critique, son blog d'information rédigé en arabe et en français et l'un des plus visités du pays. Ayant activement participé aux soulèvements de 2011 au cours du Printemps arabe, il continue de traiter l'actualité politique et sociale de la Tunisie. Riadh Guerfali, cofondateur et rédacteur en chef, se dit « effaré » par le massacre de Charlie Hebdo.

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« C'est un acte barbare, abject, inqualifiable. Aucune justification au monde ne peut absoudre le fait de tuer des hommes de sang-froid. Il s'agit d'actes visant à bâillonner la liberté d'expression et cela a bien sûr des conséquences bien au-delà de Charlie Hebdo et de la France. Le fait que nous soyons un média arabe ne change rien à notre point de vie bien sûr, et ne doit provoquer de fracture.

Les caricatures [du prophète Mahomet], les dessins, tout cela est une question d'appréciation. Intellectuellement, il n'est pas honnête de faire le lien entre un quelconque jugement d'ordre esthétique et une considération sur la religion. Ce dont j'ai peur, c'est que les gens prennent au pied de la lettre ceux qui veulent faire passer ce genre d'acte au nom de l'Islam ! Cette religion ne cautionne pas ça, et aujourd'hui je suis amer pour les fidèles. Je suis aussi amer pour les Français quand je vois des lieux de culte musulmans attaqués, comme hier à Villefranche-sur-Saône.

Dans les deux cas, c'est une écrasante majorité de gens qui se retrouve impliquée dans des actes qu'ils réprouvent. »

Capture d'écran de la homepage de Libération.

MAROC – Libération

Libération est un quotidien d'information générale publié en arabe et en français depuis 1964. Proche de l'Union socialiste des forces populaires (USFP), un parti politique d'obédience social-démocrate dans l'opposition depuis 2011, le journal revendique une ligne éditoriale « progressiste ». Ahmed Saaidi, secrétaire général de la rédaction, est « consterné ».

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« Nous sommes consternés et condamnons fermement cet acte de barbarie. Nous sommes bien sûr solidaires de nos confrères de Charlie Hebdo et leur avons envoyé des lettres de soutien – et ce, même si nous avions par le passé été opposés à certaines de leurs publications.

Il est compréhensible que certaines d'entre elles aient pu choquer. Il est vrai qu'il y a eu parfois deux poids deux mesures à Charlie Hebdo . Nous les avons moins vus s'élever contre le révisionnisme et contre la situation à Gaza et en Palestine que contre la religion. Quoi qu'il en soit, rien ne peut justifier un acte de la sorte.

Je suis inquiet pour l'évolution du climat en France. Ce qui s'est passé montre que les équilibres sont instables, particulièrement en période de crise. Tout cela risque d'alimenter le discours de la droite et de l'extrême droite. Nous espérons que les Français vont serrer les rangs et ne pas écouter tous ces polémistes populistes – notamment cet Éric Zemmour. La France ne doit pas tomber dans le piège des terroristes qui montent la population les uns contre les autres.

Nous-mêmes, au Maroc, ne sommes pas à l'abri d'être attaqués par un barbu ou n'importe quel autre fanatique prêt à tuer au nom du Prophète. Le Prophète n'a besoin de personne pour se venger ! »

_Capture d'écran de la homepage de _L'Orient-Le Jour.

LIBAN – L'Orient-Le Jour

« Nous condamnons évidemment cet acte horrible qui porte atteinte à la liberté d'expression. Le Liban à suffisamment souffert du terrorisme durant son histoire, et nous partageons la douleur des Français. Toute la société libanaise dénonce unanimement cet attentat inacceptable. Bien sûr, Charlie Hebdo avait choisi la provocation comme ligne éditoriale, mais cela relève de la culture et de l'esprit d'un pays laïc tel que la France.

Aujourd'hui, je m'interroge sérieusement pour l'avenir, en France mais aussi au Moyen-Orient. Le gouvernement français a clairement indiqué qu'il déclarait la guerre au terrorisme et cela nous concerne directement dans la région. Les conséquences de cette guerre sont déjà là, et elle s'illustre dans la coalition internationale engagée dans la lutte contre Daesh.

Ces attentats perpétrés sur le sol européen ne sont que les éclats d'un Moyen-Orient en train d'exploser. Autant dans la région qu'en France, la situation à court terme risque de devenir très délicate. Je ne vois que peu d'optimisme. »