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LE NUMÉRO ÉTÉ INDIEN

Miséricordieux soient les métalleux

En 1994, le Père Culat a découvert que le métal n’était pas seulement cette matière avec laquelle on fabrique des crucifix.

Photo : Rinaldi

En 1994, le Père Culat a découvert que le métal n’était pas seulement cette matière avec laquelle on fabrique des crucifix. À l’époque, il avait 26 ans et s’occupait des adolescents de la paroisse d’Orange. En rencontrant deux jeunes ouailles en panoplie heavy metal, le prêtre s’est écrié « Nom de Dieu ! » et, en bon chrétien, a décidé de faire ce que personne d’autre n’aurait fait à sa place : leur parler. Entre trois Pater et deux Ave, il s’est consacré à l’exploration du monde étrange du heavy metal. Dans la perspective d’écrire un livre, il a envoyé des questionnaires à tous les métalleux français pour en savoir plus sur eux. 7 ans plus tard paraissait chez les éditions Camion Blanc L’âge du Métal, une bible.

Vice : Comment un homme d’Église en arrive au heavy metal ? Père Culat : Quand j’ai vu des métalleux pour la première fois, je ne savais pas à quoi correspondait leur style vestimentaire. J’avais une vague idée de ce qu’était le hard rock, mais je n’écoutais que du classique. C’est à partir de ce moment-là que j’ai entrepris mes recherches ; j’ai écouté du métal, lu des magazines et rencontré de plus en plus de fans. En 2000, j’ai décidé d’aller plus loin en faisant circuler un questionnaire destiné aux jeunes métalleux français. J’ai été inspiré par le pape Paul VI qui disait que condamner était beaucoup plus facile que comprendre. Je voulais que ces jeunes puissent s’exprimer librement à propos de leur mode de vie. Qu’est-ce que l’Église pense de votre projet ? Vous semblez convaincu que heavy metal et religion s’opposent. C’est exactement la raison pour laquelle j’ai voulu me pencher sur ce genre musical, et en particulier sur les personnes qui l’écoutent. Lorsque mon projet a pris de l’importance, j’en ai parlé à mon évêque. Il a compris pourquoi c’était important pour moi, et comment l’Église pourrait en bénéficier. Il m’a réellement encouragé, et c’est pourquoi je le remercie dans mon livre. D’autres ont pensé que j’étais courageux d’explorer ce genre prétendument dangereux. Et je sais aussi que certains ont été surpris de ne pas me voir condamner le heavy metal. Vous avez dû rencontrer pas mal de jeunes gens étranges et dépressifs. Avez-vous eu peur par moments ? J’ai rencontré de nombreux fans et des musiciens pour compléter mon livre. C’était la seule manière pour moi d’aller au plus profond du sujet. Je n’ai eu peur qu’une seule fois, quand je suis allé chez Tobias, un musicien qui joue dans un groupe de black metal. Sa maison était si sombre, si lugubre, que je n’ai pas pu fermer l’œil cette nuit-là, alors que j’avais une épée suspendue au-dessus de la tête pour me protéger, au cas où… (Il rit. Ce que le Père Culat ne précise pas, c’est que les fans de black metal n’aiment pas du tout les hommes d’Église. Et qu’il n’avait pas jugé utile d’informer certains de ses nouveaux amis de sa charge de prêtre. Quand Tobias a découvert le secret du Père Culat, il lui a pris la tête entre les mains et lui a dit : « J’vais pas te tuer, mais s’il y avait des potes à moi ici, à ma place, tu serais déjà mort, là. ») Mais j’ai de très bons souvenirs de mes conversations avec Mikael Akerfeldt, leader du groupe de death metal suédois Opeth, et Jochen, chanteur du groupe de black metal australien Dornenreich. J’ai également rencontré beaucoup de fans qui sont devenus par la suite des amis. Parmi eux, Guillaume et David m’ont particulièrement touché. Ils m’ont permis de pousser la conversation plus loin que je ne l’aurais imaginé. Malheureusement, tous les deux sont morts depuis. Les gamins que j’ai rencontrés étaient intellectuellement très curieux, la plupart du temps bien plus cultivés que l’adolescent moyen. Mais ce sont également des enfants qui souffrent. Ça me fait penser à un passage de l’Ecclésiaste dans l’Ancien Testament qui dit ceci : « Avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur. » Comment ont-ils réagi quand vous leur avez dit que vous étiez prêtre ? La plupart d’entre eux sont totalement antireligieux, mais ils ne rejettent pas la spiritualité. David a même essayé de se convertir au christianisme, mais sa tentative a avorté. L’un de mes meilleurs souvenirs est le concert de Morbid Angel. J’étais au premier rang, au pied du guitariste, complètement grillé car je portais ma soutane, et il m’a donné sa guitare. Les fans étaient morts de jalousie ! C’était d’autant plus incroyable que quelques minutes auparavant, le groupe avait interprété un morceau qui s’appelait « Crush the Priest ! » (N.D.L.R. : écrase le prêtre). Que peut, selon vous, apporter votre livre ? Je suis reconnaissant envers Dieu, qui a mis sur mon chemin ces deux jeunes en 1994, me permettant de vivre cette expérience et de créer ce dialogue entre deux mondes qui se méprisent, voire même se haïssent. Grâce à mon livre, j’ai pu parler à des adolescents qui sont très loin de l’Église, et qui ont souvent des idées négatives à propos de celle-ci. Je sais que le Christ amour existe aussi dans le cœur des métalleux et peut les guider vers des chemins spirituels. Mais cette mission ne me revient pas ; c’est celle de Jésus, qui œuvre afin que la toute-puissance de la compréhension remplace la haine. Une mère s’est réconciliée avec son fils après avoir lu mon livre. Je ne pourrais imaginer de meilleures conséquences. J’espère que ce livre pourra contribuer à faire tomber les murs entre le métal et la foi.