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Music

La Mverte n'est pas là pour faire de la techno au kilomètre

On a discuté electroclash et polémiques Twitter avec le DJ et producteur parisien.

Photo : Flavien Prioreau

Il est certain que le gueuleton « dark » auquel on s'adonne depuis plusieurs années par chez nous commence à être lourd à digérer. Entre faux beaux gosses à la Ian Curtis, le tampon « approuvé par Etienne Daho » et les 10 000 resucées de la B.O. de Drive, le besoin d'un trou normand commençait à se faire sentir. Et c'est pile à ce moment que La Mverte est arrivé, par la petite porte. Avec deux EP's et des lives qui réconcilient les héritages 80 et 2000 (coldwave vs italoclash pour faire simple), le parisien offre une nouvelle vision d'un genre qu'on avait peur de finir par détester. Et s'il est plutôt discret habituellement, on se rend aisément compte dans ce qui va suivre que son discours devrait faire réfléchir quelques as de la gachette Twitter qui font les choux gras de nos confrères.

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Noisey : Tu t'es fait d'abord connaître en tant que DJ avec le duo Anteros & Thanaton. Comme tu es venu à mixer et jouer en club ?
La Mverte : Ça fait presque 10 ans que je joue en tant que DJ mais ça s'est fait un peu par hasard. Je crois que mon premier vrai DJ set c'était à la Flèche d'or, on m'avait programmé pour boucher un trou. J'écoutais beaucoup de musique quand j'étais jeune. Avec ma mère, on écoutait du disco, la Motown, du jazz. Et j'allais chez mon père tous les 15 jours qui, lui, était plutôt dans la new wave « gentille », New Order, Depeche Mode. Ma double culture vient sûrement de là : musique black chez ma mère et musique froide chez mon père. J'ai eu Internet assez tôt, c'était le début du peer 2 peer, donc j'ai pu me faire une grosse culture musicale. À 10/12 ans j'ai découvert l'electroclash, je me rappelle que j'allais à la Fnac chopper les disques.

C'est un courant qui t'a marqué l'electroclash ? J'ai l'impression que les gens n'osent pas trop le revendiquer, comme Daniel Avery à qui il avait un peu fallu arracher qu'il était rentré dans la musique électronique comme ça…
Je ne trouve pas ça honteux du tout. Après, ça a assez mal vieilli mais les trucs de chez Gigolo restent jouables et écoutables. Moi c'était mon point d'entrée car ça reprenait tous les codes de ce que j'écoutais avec mon père en version plus efficace.

Tu as grandi à Paris ?
J'ai beaucoup suivi ma mère. J'ai habité en banlieue près de Versailles, puis à l'Ile Maurice puis entre Paris et Tours avant un détour par New York. J'ai pas arrêté de bouger.

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Ça te fascinait les clubs ?
Pas vraiment le club en lui-même, c'était plutôt le paysage dans son ensemble et la vie nocturne qui me plaisait. La liberté que ça permettait, la façon dont tu t'habilles, les gens que tu peux rencontrer. Je crois que j'ai dû aller en club pour la première fois vers 16-17 ans. Ado, j'étais toujours plutôt le gars qui passait le disque que celui qui dansait avec les meufs, donc ça remonte à loin…

À quel moment tu as commencé à produire ?
En fait j'ai commencé à jouer de la musique assez tôt. Je faisais de la basse, j'ai appris par moi-même. Pour la production c'est pareil, j'y suis venu d'une manière empirique. J'ai joué dans pas mal de groupes de merde au lycée et puis j'ai enchaîné sur la production sur ordinateur tout seul dans ma chambre. On a fait quelques remixes avec Anteros & Thanaton, on avait bossé avec Acid Washed. Pour la première fois je suis allé en studio, j'ai touché des synthés vintage. Et ça a été un gros choc : je me sentais chez moi.

C'est important pour toi l'outil studio, les « vrais instruments » ?
J'ai jamais eu beaucoup de thunes donc j'utilisais des plugins mais ça me prenait tellement de temps… Ça m'a vite soulé et mené à utiliser de vraies machines. Et puis en geekant tu réalises que c'est telle machine qui fait tel son que tu entendais sur les morceaux que tu écoutais enfant. Tout se rejoint. Après c'est pas simple, tu te retrouves à faire des jobs de merde pour acheter un synthé avec un spectre de sons limités mais au moins tu l'as [rires]. Par exemple le SH101, mon 1er synthé, tu peux tout faire avec, il a traversé les époques et les styles musicaux.

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Comment s'est faite ta rencontre avec Alejandro Paz ?
On est parti à Tokyo ensemble pour la Red Bull Music Academy mais je connaissais déjà son travail avant. Je l'avais vu dans la liste donc je l'ai contacté pour essayer de bosser avec lui. Ça a collé hyper vite musicalement et humainement. Le rythme de travail était intense ; conférences, évènements, lectures, temps en studio. On a dormi 3 heurs par nuit pendant 15 jours. On a squatté un studio avec Alejandro mais sans trop d'arrière pensées. On a gardé ce qu'on avait fait et on l'a retravaillé ensuite à Paris, en studio. Là il est censé venir en Europe en 2016, on va au moins jouer ensemble et peut-être repasser en studio.

Quand tu composes, tu réfléchis à la destination du morceau, si les gens vont l'écouter chez eux ou en club ? Car il y a un peu cette dualité dans tes productions…
C'est plus par goût que par visée fonctionnelle, je ne me dis pas « tiens je vais faire un truc qui bastonne pour les clubs ». C'est ce que je trouve cool avec mon label Her Majesty's Ship. Si j'ai envie de mettre un morceau balearic avec un truc qui tape, ils sont cools avec ça. Ça paraît super pédant à dire mais j'essaie de raconter une histoire dans chaque morceau. Je donne un message esthétique. Ce n'est pas de la musique club au kilomètre comme la techno peut l'être parfois. J'essaie de faire quelque chose d'un peu gris, entre deux eaux.

En parlant de message, il y a pas mal de producteurs qui ont un peu dérapé récemment…
Tu penses à Levon Vincent ? [rires]. C'est pas la première fois en même temps.

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Oui, je pensais aussi à la polémique autour de Berceuse Héroïque aussi par exemple…
C'est toujours ce gros problème : est-ce que tu dois boycotter la musique d'un mec qui est un gros facho ou qui manipule une esthétique limite si ses morceaux sont supers ? Je ne vais pas m'empêcher d'écouter Liaisons Dangereuses parce que le gars était un gros con de droite… Toute la scène indus a joué avec ces codes là, je les écoute et ça ne veut pas dire que je vote extrême droite. Le souci aujourd'hui c'est que tu as les réseaux sociaux qui sont des canaux de diffusion hyper forts et impactants et la donne est complètement différente par rapport aux années 80. Après un mec comme Levon Vincent c'est juste de la stupidité. Son champ d'expression artistique c'est le disque. Si il utilise les réseaux sociaux pour diffuser ses idées limites et que ça pénalise son travail, tant pis pour lui. Regarde Charles Cohen qui fait un travail remarquable et qui est accusé d'attouchements sur mineurs ou Kim Fowley qui a fait des trucs mortels mais qui était taré. Perso, j'ai toujours été enclin à séparer le personnel du professionnel.

Je trouve que le climat artistique est beaucoup plus inspirant et dynamique à Paris ces temps-ci. On revient à quelque chose de recentré sur la musique et moins bling bling et business après les années French Touch et Ed Banger.
Oui, carrément. C'est le revers positif de ces canaux de diffusion dont on parlait et je trouve ça super cool. Après, je ne réfléchis pas trop en termes de « scène ». Avec mon label et mon entourage, c'est plus une famille liée par des affinités humaines et amicales. Quand tu réalises que tu appartiens à une scène, c'est un peu le début de la fin car ça veut dire que tu as adopté des codes et que tu t'enfermes.

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T'as un plan de carrière ?
Pas du tout. J'avance petit à petit, HMS me laisse le luxe de faire ce que je veux. Je comprends les producteurs qui ont 5 alias pour 5 projets différents mais à mon niveau je ne peux faire que ce que je fais aujourd'hui. Je ne me dis pas « je vais prendre un autre nom pour faire de la drum'n bass ». Mais je pense que si je fais autre chose musicalement je garderais ce nom. Je n'aime pas trop cette idée qu'il faut changer de nom en fonction de ce que tu sors pour éclaircir la cartographie. Par exemple, Cosmo Vitelli a fait plein de choses différentes tout en gardant son nom. Je trouve ça super. Il y a Molecule qui faisait du dub et qui fait de la techno maintenant. Les deux points de vue se défendent mais j'ai plutôt envie d'écrire mon histoire musicale avec mon alias d'artiste, plutôt que de multiplier les projets dans tous les sens.

Cette année, il y a eu un gros retour des vieux producteurs, qui étaient jugés assez kitsch il y a quelques années encore (Jarre ou Cerrone par exemple). Tu rentres dans ce jeu de la nostalgie à tout prix qui fait parfois un peu raconter n'importe quoi (Jarre qui serait le père de la techno par exemple…) ?
Non, je ne suis pas d'accord avec ça. Il a fait des trucs cools Jarre comme Oxygene, mais je pense qu'il cherche maintenant une crédibilité car il a surtout été connu pour le côté pompier de ses performances, les pyramides, etc… Et puis j'imagine que ce n'était pas simple non plus de grandir dans l'ombre de son père. Il a fait des choses pour la musique électronique en France mais je trouve qu'on lui donne un crédit beaucoup trop important. Je serais plus enclin à reconnaître l'apport d'un mec comme Bernard Fèvre que Jean-Michel Jarre par exemple. Il y a une major qui m'a approché pour me faire faire un remix pour une veille gloire disco, payé 100 euros sur facture en me disant que ça me ferait beaucoup d'écoutes sur Soundcloud… non merci.

Et si tu pouvais collaborer avec quelqu'un, ce serait qui ?
Richard H Kirk je pense. Même si son live à Paris n'était pas aussi terrible que je l'imaginais [rires].

La Mverte jouera aux Transmusicales de Rennes demain soir.

Adrien Durand est sur Twitter.