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Trop tard pour investir dans l’industrie du cannabis?

Les titres sont surévalués, selon le professeur en finance de l’Université McGill Ken Lester.

Après plus d'un siècle de prohibition, la consommation récréative de cannabis sera légale au Canada d'ici juillet 2018. Le gouvernement Trudeau en avait fait une promesse électorale et les marchés financiers se sont emballés depuis.

Néanmoins, si les titres boursiers des sociétés qui produisent du cannabis à des fins médicales ont grimpé considérablement au cours des derniers mois, ils ont plutôt chuté après le dépôt jeudi du projet de loi sur la légalisation. Normal, explique Ken Lester, les investisseurs achètent avant la grande nouvelle lorsqu'elle est attendue. « Quand tout le monde s'attend à ce que quelque chose arrive, ça veut dire qu'ils ont déjà parié là-dessus, les investisseurs sont déjà là », explique-t-il. L'effervescence est passée quand la nouvelle tombe, donc il est habituel de constater une baisse.

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Certains parlent même d'une « bulle financière » à propos de l'engouement des investisseurs qui ont misé une « ruée verte ». Plus d'une dizaine de sociétés de production de cannabis à des fins médicales sont cotées en Bourse au pays . Un survol des titres des entreprises les plus en vue a permis de constater des baisses oscillant entre 2 % et 8 % pour la journée de jeudi. Parmi elles, la société Canopy Growth, inscrite à la bourse de Toronto sous le sigle WEED, avait vu son titre presque doubler depuis six mois. Jeudi, il est passé de 10,21 $ à 9,91 $. Ou encore, Aphria, dont le titre a atteint un sommet à 8,55 $ le 11 avril, pour redescendre à 7,21 $ le jour de l'annonce.

Ken Lester, professeur en finance à l'Université McGill, discute avec ses étudiants des fluctuations des titres des entreprises de production de cannabis lors de l'annonce du dépôt du projet de loi pour la légalisation.

Un marché de plusieurs milliards

Près d'un Canadien sur cinq consomme régulièrement du cannabis, selon une étude de Deloitte publiée à l'automne 2016. C'est sans compter les 17 % de non-consommateurs qui seraient tentés de l'essayer lorsqu'il sera légalisé. La valeur du marché de base lié à la consommation se situerait entre 4,9 et 8,7 milliards de dollars. Ces chiffres excluent les autres retombées économiques comme l'éventuel tourisme du cannabis ou d'autres activités secondaires comme la transformation.
Car la légalisation aura un effet d'entraînement et investisseurs comme entrepreneurs vont certainement y voir une occasion d'affaires. C'est ce que prévoyait Ken Lester lorsque VICE l'avait rencontré l'automne dernier. Il se montrait alors optimiste quant à la valorisation des titres liés au secteur de la marijuana.

Mais jeudi, après le dépôt du projet de loi, M. Lester décrivait une tout autre situation. « Les titres ont largement monté depuis ma dernière rencontre avec VICE. Le titre de Canopy valait beaucoup moins alors. C'était un bon coup à l'époque, mais ils sont trop chers en ce moment », dit-il.

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Prévisions

Pour la prochaine année, il prévoit que le marché devrait rester stable avec quelques variations qui dépendront de ce que les provinces instaureront comme système pour gérer la nouvelle industrie. « Jusqu'à ce que les provinces dévoilent ce qu'elles feront, il y aura beaucoup d'incertitude. Et le marché n'aime pas l'incertitude. Comme investisseur, je veux que les choses soient plates et prévisibles. En ce moment, l'industrie de la marijuana n'a rien de plate et prévisible », explique-t-il.

Par exemple, lorsque les provinces décideront de l'âge minimum requis pour consommer du cannabis, on pourrait voir le marché fluctuer. Car si le fédéral a fixé l'âge minimum pour se procurer du cannabis à 18 ans, il laisse la possibilité aux provinces d'augmenter cette limite. « On ne se débarrassera pas du marché noir si l'âge minimum est fixé à 25 ans », dit-il.

On pourrait aussi constater une hausse des titres à l'approche de l'entrée en vigueur de la loi l'an prochain.

Marché noir

À l'heure actuelle, on dénombre

43 producteurs de cannabis

à des fins médicales approuvés par Santé Canada, dont seulement un au Québec, où le marché noir contrôle 90 % de l'approvisionnement.

Avec cette loi, le gouvernement Trudeau cherche d'abord et avant tout à décriminaliser la possession et l'usage de cannabis. La transition vers le marché légal pourrait s'avérer longue et difficile, mais les grandes compagnies spécialisées dans la culture de cannabis médicalisée comptent bien jouer un rôle important pour régulariser le produit.

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« Ça va peut-être prendre quelques années, mais je suis persuadé qu'éventuellement il va y voir une transition du marché noir vers le marché légal », avait affirmé Dany Lefebvre, vice-président de Canopy Growth à VICE dans le documentaire sur le sujet diffusé à la fin de 2016. Mais attention, dit Ken Lester : « Ça ne fonctionnera pas si l'âge minimum pour consommer légalement est trop élevé, si les taxes sont trop élevées, s'il y a trop de restrictions. Sinon, les gens vont juste continuer d'acheter de leur dealer et tout ça n'aura été qu'une perte de temps. »

Qui seront les gagnants?

Le groupe de travail chargé d'étudier la légalisation en amont du dépôt du projet de loi suggérait, parmi ses 80 recommandations, la mise sur pied de contrôles de la production pour empêcher le développement de monopoles et conglomérats. Néanmoins, Ken Lester prévoit que l'industrie sera dominée par un nombre limité de gros joueurs qui finiront par acheter les plus petits qui auront moins de succès.

Le marché de la production de cannabis médical est plutôt petit, mais les entreprises qui y œuvrent ont une longueur d'avance sur les autres. Quand le marché s'ouvrira à la consommation récréative, elles seront prêtes. D'où l'engouement pour leurs titres en Bourse.
Mais difficile de prévoir qui seront les gagnants.

« En ce moment, on pense à Canopy ou Aphria, que ce seront ces grosses entreprises qui gagneront, mais c'est rarement les premiers gros joueurs qui gagnent. C'est intéressant, c'est souvent une plus petite entreprise qui arrive, ayant constaté les erreurs commises par ses précurseurs et surprend en faisant mieux », explique M. Lester.

Des multinationales de l'industrie du tabac se préparent depuis longtemps à exploiter le marché du cannabis légal. « C'est un secteur idéal pour elles. Je crois qu'elles occuperont une place importante dans l'industrie de la marijuana. Leurs titres se comportent bien présentement parce que les gens pensent qu'elles seront impliquées dans ce marché », dit-il.

Mais il y aura toujours de la place pour les petits joueurs, qui développeront des créneaux ou des produits spécialisés, ou qui innoveront au plan technique.