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Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur le sexe et les vieux

Au cas où vous en doutiez, les octogénaires français continuent d'avoir des rapports sexuels plutôt libres en maison de retraite.

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Mon arrière-grand-mère est devenue centenaire en mars. Son mari est mort quand elle avait 68 ans. Lors des dix premières années de son veuvage, elle sortait beaucoup, allait régulièrement au restaurant avec ses amies, et s'est même mise à voyager à travers l'Europe. Et puis un jour, elle a tout arrêté, elle s'est assise chez elle et s'est mise à attendre. Cela fait maintenant 20 ans que ses journées sont rythmées par le va-et-vient des auxiliaires de vie puis des aides-soignantes, les quelques visites de sa famille, et les jactances de son insupportable horloge parlante qu'elle sollicite environ toutes les dix minutes.

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Il y a quelques années, je lui ai proposé de lui acheter une petite radio portable afin qu'elle puisse écouter de la musique ou des émissions intéressantes. J'avais également suggéré de lui acheter un lecteur CD et un stock de livres audio, ou de venir moi-même lui faire des séances de lecture à haute voix. Mais rien de tout cela ne l'intéressait. Sur le moment, j'avais trouvé qu'elle était quand même bornée à toujours dire non, à se cloîtrer obstinément dans cette espèce d'attente infernale alors qu'elle avait toute sa tête. J'ai fini par lâcher l'affaire.

L'idée qu'aucune de ces options n'était adaptée à une femme comme elle, une manuelle solitaire qui n'aimait rien tant que le silence de son jardin ou de son établi et se trouvait désormais aux prises avec une époque qui n'était plus la sienne, ne m'a jamais effleurée. Pire encore, à aucun moment je n'ai envisagé la possibilité qu'elle puisse se sentir seule – le genre de solitude à laquelle ni moi, ni le reste de ma famille ne pouvions faire quoi que ce soit.

J'espère ne rien vous apprendre en vous disant que nous faisons partie d'une société vieillissante : une personne sur cinq a plus de 60 ans aujourd'hui et ce ratio sera d'une personne sur trois en 2050 – d'ailleurs faites le calcul, ce sera peut-être vous. Mais, de façon paradoxale, nous n'aimons pas nos petits vieux : on les tient pour responsable du gouffre de la sécu, on les caricature dans les médias, on les boycotte sur le marché du travail, on les maudit dans la salle d'attente du médecin puis dans la file du supermarché, on part du principe qu'ils n'ont rien à dire, rien à apporter, qu'ils sont chiants et qu'ils ne baisent pas.

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Or en dépit de ce regard dévalorisant, étrangement dénué d'empathie, qui est porté sur le troisième âge, celui-ci, non content d'exister, pense et ressent des choses – notamment du désir. J'ai pu constater toute l'étendue du tabou qui pesait encore sur la question lorsque j'ai été confrontée aux réactions hostiles de la plupart des médecins gériatres auxquels j'ai tenté de poser quelques questions. Demandez à un médecin généraliste de vous parler de la sexualité des 16-25 ans, il vous brandira une poignée de préservatifs sous le nez en vous faisant un exposé complet sur la question, à grands renforts de hululements mi-enthousiastes mi-alarmistes. Demandez à un vénérologue de vous parler de la sexualité des plus de 60 ans et de ses conséquences, vous aurez huit chances sur dix de vous entendre dire plus ou moins subtilement que vous êtes un gros porc avant de vous faire raccrocher au nez.

Éric Seguin, qui chapeaute au quotidien trois EHPAD (Établissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes, acronyme qui désigne les maisons de retraite médicalisées) dans le Finistère, et Véronique Lefèbvre des Noëttes, une psychiatre-gériatre visiblement plus couillue que la majorité de ses confrères, m'ont confirmé qu'on ne laissait pas forcément sa libido sur le paillasson au seuil de ses 60 ans, ni même après. Le désir sexuel peut prendre des formes différentes, mais il ne s'amenuise pas avec le temps. « Il y a un regain d'intérêt pour le sexe après 80 ans », me dit carrément Véronique Lefèbvre des Noëttes. « La sexualité est réduite, il ne faut pas non plus en faire un dogme susceptible de stigmatiser ceux qui ne souhaitent plus avoir de vie sexuelle » – apparemment, certaines vieilles dames trouvent que la société leur fout trop la pression sur le plan sexuel « mais elle existe », précise-t-elle.

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Bref, un nombre significatif de femmes et d'hommes pratiquent la totale – pénétration, cunnilingus, fellation – jusqu'à un âge très avancé, sans oublier la masturbation et les caresses qui occupent une place toute particulière chez nos petits vieux. Une des plus célèbres études sur la question conclut que, chez les plus de 57 ans, environ 2 femmes sur 10 se masturbent régulièrement. Chez les hommes, la proportion est plutôt de 5 sur 10, et on ne fera pas de commentaires sur les 14% de participants qui, tous sexes confondus, ont refusé de répondre à la question. Il y a de fortes chances que ces chiffres soient à revoir à la hausse aujourd'hui.

Qui plus est le sexe, et de manière plus vaste, l'intimité avec une autre personne, est susceptible de revêtir une importance capitale pour eux. « Eros et Thanatos sont liés. Quand on est seul, qu'on se sent décliner, la présence d'un corps chaud à ses côtés dans le lit prend tout son sens », ajoute Dr Lefèbvre des Noëttes. « Dans les services gériatriques des hôpitaux, lorsqu'il y a deux lits avec un homme et une femme dans la même chambre, il n'est pas rare que le monsieur enjambe la barrière de sécurité de son lit pour rejoindre la dame au cours de la nuit et qu'on les retrouve tous les deux dans le même lit au petit matin ».

Même son de cloche avec Éric Seguin : « Je schématise, mais plus on vieillit, plus on perçoit les signes de sa dégradation physique – avec une évolution des canons de beauté qui nous sont propres – et plus on est amené à évoluer vers un ressenti d'inutilité, à la fois sur le plan social et sur le plan affectif, qui accélère le vieillissement, la perte d'autonomie, voire la fin de vie ». D'où l'importance d'éprouver et de susciter du désir, et ce besoin tout particulier d'être quelqu'un d'important pour quelqu'un d'autre.

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Les problèmes de dysfonction érectile, d'anorgasmie, de dyspareunie ou de sécheresse vaginale peuvent transformer la baise en véritable parcours du combattant et affecter sévèrement la qualité de vie des plus de soixante ans.

Mais de nombreux facteurs, aussi bien psychologiques que physiologiques, ont tendance à rendre la galipette difficile pour le grand âge. La dépression et le traitement de la dépression, par exemple, sont souvent associés à un dysfonctionnement sexuel et ce pour toutes les classes d'âge. Il a pourtant été démontré que ces troubles sexuels étaient moins susceptibles d'être décelés et traités chez une personne dépressive âgée que chez un patient plus jeune. Non seulement les psychiatres sont plus réticents à se renseigner sur les antécédents sexuels d'un patient âgé, mais ils ont aussi une fâcheuse tendance à ne pas leur accorder les soins adéquats lorsqu'un trouble de cette nature est malgré tout identifié.

En dehors de la dépression, les problèmes de dysfonction érectile, d'anorgasmie, de dyspareunie ou de sécheresse vaginale peuvent transformer la baise en véritable parcours du combattant et affecter sévèrement la qualité de vie des plus de soixante ans. Et pour cette génération, née dans les années 1940-1950, ce temps pas si lointain où le catholicisme structurait encore la société et liait la sexualité à la reproductivité, il est très difficile de demander de l'aide au corps médical. Et on se retrouve dans cette situation très triste où une majorité de petits vieux et de petites vieilles espèrent secrètement que leur médecin osera aborder le sujet – ce qu'il se garde soigneusement de faire – sans se résoudre à faire le premier pas, de peur de passer pour des dégénérés et des obsédés sexuels en exprimant leur désir de poursuivre une sexualité. Une autre raison, plus déprimante encore, les conduit à garder le silence sur la question : leur inquiétude à l'idée de faire perdre son temps au médecin ou d'épuiser de précieuses ressources (c'est-à-dire des médicaments) qui pourraient être utiles aux jeunes.

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Photo via WikiCommons

La question est encore plus épineuse au sein des institutions gériatriques où, très souvent, nos petits vieux passent du statut de sujets à celui d'objets (de soins) et se trouvent dépossédés de leur intimité. Selon le Dr Lefèbvre des Noëttes, 8% des pensionnaires sont actifs sexuellement malgré tout et 15 % « aimeraient bien mais ne le peuvent pas », du fait d'une inaptitude physique ou de l'absence de partenaire. Résultat, 1 membre du personnel sur 4 a déjà assisté soit à un acte masturbatoire, soit à un rapport sexuel – ce qui n'a rien de surprenant quand on sait que la plupart ne frappent pas avant d'entrer dans une chambre. Ces comportements ont tendance à susciter la gêne des aides-soignants comme des infirmiers, dont les réactions peuvent aller du simple embarras à une hostilité franche. Ainsi, les couples sont réprimandés et toute manifestation de libido se voit signalée avec sévérité, sans que la question du libre arbitre des principaux concernés ne soit soulevée.

« Dans ce genre de structure, j'ai pu remarquer que plus la personne est âgée et vulnérable, plus elle est dépossédée d'un certain nombre de ses droits : la possibilité de dire non, d'exprimer une attente ou un désir susceptible de lui faire prendre un risque », m'explique Éric Seguin. « On glisse vers un mode de fonctionnement où on cherche plus à sécuriser l'équipe dans sa pratique que le résident dans ses attentes. Cela induit souvent un système où le résident doit s'adapter au mode de fonctionnement de l'institution, qui est bien rôdé – avec des horaires bien définis et une prestation hôtelière immuable. » On se doute bien que la question de la liberté sexuelle du pensionnaire fout le bordel plus qu'autre chose dans cette petite mécanique bien huilée.

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De surcroît le personnel, rarement au fait du caractère naturel et essentiel du désir et du besoin de désir du grand âge, peut poser un regard ouvertement critique sur les tentatives de séduction des plus de 60 ans – et pour les plus malintentionnés, le leur faire clairement savoir.

J'ai discuté avec une jeune infirmière travaillant en EHPAD qui, comme la majorité de ses pairs, a été confrontée à cette réalité sans avoir reçu de formation sur le sujet. Selon elle, ce n'est pas une question de dégoût – « nous voyons des corps nus tous les jours » – mais une forme de gêne : « La question se pose ponctuellement, mais on évite d'y penser. Dans la culture occidentale, quand on vieillit on est en quelque sorte mis de côté, on n'est plus une personne à part entière. »

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Le sexe est un sujet intime. Le vieillissement est un sujet désagréable qui sent le désinfectant et le sapin, deux odeurs auxquelles on préfère ne pas avoir à penser au quotidien. Et la combinaison du sexe et de la vieillesse chatouille un troisième point, très sensible : la sexualité parentale, sur laquelle nous n'avons pas droit d'ingérence, avec cette idée que ce sont eux qui nous ont conçus et non l'inverse. « Imaginer ses parents au lit c'est dur, imaginer ses grands-parents c'est littéralement obscène – en dehors de la scène, hors de notre champ de pensée » résume Dr Lefèbvre des Noëttes.

D'ailleurs la famille, et tout particulièrement les enfants, sont parfois les premiers à s'opposer aux libertés sentimentales et sexuelles prises par leurs parents en EHPAD. Le cas-type, m'explique la psychiatre-gériatre, c'est la progéniture de 50 ans, qui passe son temps à courir entre les enfants et le parent, sacrifiant une partie de son confort financier pour payer à ce dernier une place dans une bonne maison de retraite. Celle-là, en général, voit rouge lorsqu'elle constate que ledit parent en profite pour se payer du bon temps avec un ou plusieurs autres pensionnaires. Outre le sentiment, au demeurant assez étrange, d'ingratitude que cela peut susciter, le fait que maman, veuve de papa, reconstruise quelque chose avec quelqu'un d'autre peut être difficile à accepter pour la famille – surtout si ce quelqu'un est une autre femme.

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« En EHPAD, il y a un fort déséquilibre du ratio des sexes : 90 % de femmes pour 10 % d'hommes. Cette surreprésentation des femmes donne lieu à des comportements pouvant être caractérisés comme homosexuels. En moyenne, dans le monde, il y a toujours eu entre 8 et 10 % de personnes homosexuelles. En prison et dans les milieux homogènes, ce taux monte à 30 % – parmi ce pourcentage, tous ne sont pas homosexuels, mais adoptent un comportement homosexuel pour répondre à un besoin. On observe exactement la même chose en maison de retraite », m'explique Éric Seguin.

Aujourd'hui encore, la sexualité du troisième âge est tabou – ainsi, le Dr Lefèbvre des Noëttes souligne la nécessité de former le personnel pour le rendre plus tolérant sur le sujet, une démarche que peu d'établissements ont la volonté d'entreprendre.

On informe les personnes qui peuvent émettre des doutes sur leurs capacités sexuelles qu'elles peuvent acheter un canard vibrant, du gel… Mais on ne veut pas non plus les heurter en transformant soudain la boutique de gâteaux, de savons et de brosse à dent en distributeur de capotes, de lubrifiants et de godemichets. C'est trop brutal.

Éric Seguin a été l'un des premiers – si ce n'est le premier – à mettre en place cette formation, une initiative qui avait été récompensée par l'ancienne Ministre de la santé Michèle Delaunay. Il a d'abord organisé, en 2013, un colloque pluridisciplinaire autour de la question de la sexualité, ouvert au personnel comme aux pensionnaires. Il a ensuite mis en place une formation de quatre jours destinée à ses agents pour aborder la question de la sexualité du troisième âge, en insistant sur le respect de leurs envies, droits et libertés. Il les a exhortés à s'adapter, à poser un regard bienveillant sur la question et surtout à laisser-faire les pensionnaires. Dans un même temps il a créé des groupes de parole, animés par deux psychologues, pour les résidents, destinés à leur permettre de verbaliser la situation. Des outils ont également été mis à disposition pour que ces derniers puissent signaler leur besoin d'intimité – en gros : des pancartes « ne pas déranger » – ce qui a eu le mérite de mettre un peu d'ordre dans une activité sexuelle autrement erratique et désordonnée.

Évidemment, le laisser-faire comme l'accompagnement des couples a des limites. Le personnel est incité à rester très vigilant, notamment dans des situations jugées « à risque », où les éléments les plus vulnérables doivent être protégés des abus. Les viols se produisent aussi en maison de retraite et sont toujours traumatisants. Il est toutefois impossible de poser des restrictions générales et la recherche de signes d'accords comme de désaccords doit impérativement se faire au cas par cas. « Nous avions une patiente, complétement démente, qui était en train de se laisser mourir, raconte le Dr Lefèbvre des Noëttes. Elle se repliait sur elle-même et ne mangeait plus : c'est ce que l'on appelle le syndrome du glissement. C'était une nonne, qui en 70 ans n'avait jamais connu d'hommes. Elle a rencontré un monsieur du même âge, dément lui aussi, qui l'a déflorée. Elle a recommencé à se nourrir, et là elle repartie pour plusieurs années. »

J'ai demandé à Éric Seguin si ce vent de liberté nouveau qui s'était mis à souffler sur ses établissements y avait foutu le souk. Il m'a assuré que non et que du côté des aides-soignants comme des pensionnaires, on semblait content que les choses aient été finalement dites, ce que m'a confirmé l'infirmière coordinatrice de l'EHPAD. Il a ajouté qu'une pensionnaire venait juste de demander à ce qu'on lui crée un compte Meetic, et qu'une autre de 78 ans avait commandé des revues érotiques.

Dans l'ensemble, il se réjouit que les choses changent, même si tout cela se fait de manière très progressive : « on informe les personnes qui peuvent émettre des doutes sur leur capacités sexuelles qu'elles peuvent acheter un canard vibrant, du gel… Mais on ne veut pas non plus heurter cette génération en transformant soudain la boutique de gâteaux, de savons et de brosse à dent en distributeur de capotes, de lubrifiants et de godemichets. C'est trop brutal. Mais on crée petit à petit un environnement de plus en plus favorable à l'expression de leurs attentes ». Il n'exclut pas, à l'avenir, une multiplication des demandes à laquelle il est tout à fait prêt à répondre, qu'il s'agisse de sextoys, de magazines ou de vidéos à contenus explicite. « C'est un début, mais quand ça commence à démarrer ça va vite, peut-être même que ça va nous dépasser. D'ailleurs je ne souhaite que ça, que ça nous dépasse ».

Quant à moi, je prendrais ça en compte la prochaine fois que je rendrais visite à mon arrière-grand-mère. Je ne dis pas que je lui mettrai directement une pile de magazines Mamie Fricotin sur les genoux, mais peut-être que j'essaierai lui poser de vraies questions sur elle, sur ce qu'elle ressent et sur ce qu'elle attend.

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