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Mon job : responsable marketing d’un réseau de deal

“On a fait la réputation du réseau et j’en suis fier. Maintenant tu parles de Grenoble à un fumeur, il pense direct à Mistral”.
Mon job : responsable marketing d’un réseau de deal

Les pochons Haribo ou Mbappé : très peu pour eux. À Grenoble, les dealers de la cité Paul Mistral ont préféré créer leur propre identité de marque. Sur leurs sachets, leurs plateaux à rouler ou dans leurs vidéos Telegram, une seule et même signature : “Mistral, Capital du Stup”. Le nom de code du cerveau derrière cette stratégie commerciale, Coluche. 

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Il est “né à Mistral”. Un quartier du sud de Grenoble caractérisé par ses trois hautes tours claires, place forte du deal dans la ville depuis une quinzaine d’années. Un simple coup d'œil en Street View sur Google Maps suffit à le vérifier. À l’angle de l’avenue Rhin et Danube et de la rue Anatole France, deux jeunes surveillent les allées et venues des voitures de police. C’est à ce poste que Coluche a débuté dans le métier, avant de prendre en âge et en responsabilités. De guetteur, il a été promu charbonneur pour le réseau : des journées entières passées dans le four, à tenir la sacoche. À troquer des pochons de shit, de weed ou encore de cocaïne contre des billets. Une organisation commerciale somme toute classique dans le monde du deal français. Mais le 17 août 2010, le système chancelle. 

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Il y a treize ans, Brice Hortefeux annonce le remplacement des Unités Territoriales de Quartier (UTeQ) par des Brigades Spécialisées de Terrain (BST). Objectif assumé du ministre de l’Intérieur de l’époque : “mettre fin à la délinquance”  dans les zones sensibles de France grâce à l’intervention d’équipes plus musclées. Pas de “policiers d'ambiance” ni de “grands frères inopérants en chemisette qui font partie du paysage”, avait alors martelé le patron des forces de l’ordre. “Ils ont foutu un vrai bordel”, se souvient Coluche. Les points de deal, auparavant concentrés au cœur de grosses cités, poussent alors “comme des champignons” aux quatre coins des villes, se souvient-il. 

Conséquences : un éclatement de l’offre, et des clients désormais libres de s'approvisionner loin des fours habituels. “Ça a été leur pire erreur”, développe le Grenoblois. “Aujourd’hui, t’as minimum cent façons de te procurer du stupéfiant : chez une daronne improvisée dealeuse, dans les quartiers résidentiels, sur les réseaux…”. Face à la concurrence, Mistral n’a d’autre choix que de se réinventer. 

Se met alors en place une véritable équipe commerciale, dont Coluche prend la tête. À presque trente ans, l’enfant du quartier devient le directeur marketing du réseau. “Un travail à temps plein” pour l’homme aux multiples téléphones, connecté sur Whatsapp à 16h comme à 5h. Sous sa direction, en l’espace de quatre ans, le réseau se forge une image de marque : “Mistral, Capital du Stup”

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“On fera d’la pub à notre façon” - ZKR, “Freestyle 5min #8”

Premier axe de la stratégie de Coluche, viser local. Loin de se satisfaire de pochons à l’effigie des Simpsons ou de Dragon Ball, le directeur marketing appose fièrement les trois tours emblématiques de sa cité sur ses productions. Mais l’innovation ne s’arrête pas là. À la place des sachets rectangulaires classiques, Coluche imagine des pochons aux contours novateurs pour ses différentes variétés de cannabis : des pistolets pour l’Amnesia Haze, des crèmes glacées pour la Caliweed ou encore des cagoules pour la Tropical Blast. 

Autant de graphismes également travaillés sous forme de vidéos, avec lesquelles Coluche démarche sa clientèle sur Télégram. Par exemple, un clip animé de The Notorious Big servant à promouvoir, durant près de deux minutes, la variété de shit “King of Farmz”. “Les autres fours c’est Adidas, Nike, Reebok... nous, on fait du Hermès”, se félicite le responsable commecial. Des créations qui naissent au cours de brainstormings avec son équipe, composée d’amis d’enfance. “On se pose. Chacun fait part de son idée, et on valide tous ensemble la V1 du projet”.

De ces réunions découlent toujours plus de produits dérivés estampillés Mistral. Paquets de feuilles slims, briquets et même plateaux à rouler, avec “éclairage LED, évidemment”, se vante Coluche, visiblement satisfait de sa dernière trouvaille. Chaque nouveau concept s’envole ensuite en Chine, où un collaborateur se charge de sa production. Un travail d’équipe qui paie : la notoriété du réseau grenoblois dépasse aujourd’hui les frontières de la capitale des Alpes. “Même les Marseillais sont choqués”, savoure Coluche, qui voit en son organisation l’une des plus performantes du pays. “Je dis qu’on est dans le top 3 pour ne pas avoir les chevilles qui enflent, mais je pense qu’on peut se considérer numéro un”.

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“Un shlag bien visser ça rappelle” - Kaneki ft. Hornet La Frappe, “Bâtiment”

En matière de marketing, l’image ne suffit plus. Créer l’expérience client est devenu primordial, et Mistral l’a compris très tôt. Le réseau est l’un des premiers à surfer sur la popularité de Snapchat. “Beaucoup nous ont pris pour des fadas, mais tout le monde a fini par faire comme nous”, s’amuse Coluche. En 2019, les dealers organisent leur premier événement commercial sur le compte Mistral Connection : une tombola, avec PS4 à la clef. Pour chaque pochon acheté, un ticket pour participer. Le tirage au sort est filmé et posté sur le réseau social. Les trois tours de Mistral font parler d’elles jusque dans la presse nationale. Le procureur de la République de Grenoble n’en revient pas : "Jusqu’ici, je n’avais jamais vu de telles méthodes de vente du cannabis"

À mesure que les nouveaux canaux de communications émergent sur internet, le pôle marketing du réseau se structure. Il migre vers des applications cryptées, plus sûres. Premier point d’entrée : Télégram. Produits en réserve, conditions de livraison, de paiement… Les différents canaux de discussion Mistral informent les clients avant de les envoyer passer commande sur un compte Whatsapp opérationnel 24h24, 7 jours sur 7. Des intermédiaires grâce auxquels ces derniers peuvent aussi être invités à participer aux festivités organisées par le réseau. Une “buvette” à l’occasion du nouvel an, avec “friandises et cadeaux”. La promesse de “régaler” tous les clients en cas de victoire de la France un soir de finale de Coupe du monde. Ou encore “une dégustation de stup’ gratuite au four, comme dans les grandes surfaces, avec certains produits en tête de gondoles’”, énumère Coluche. Son crédo : “Un client heureux revient”.

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En plus d’un service après-vente “satisfaits ou remboursés”, le directeur marketing met en place un règlement intérieur strict. Une série de consignes visant à assurer le confort du client et créer un climat de sécurité. “On a des clients aisés qui viennent”, explique-t-il. “Beaucoup de filles aussi. Même en livraison, interdiction de draguer !”. Coluche veille au grain : “Je vérifie que ça répond correctement, rapidement, qu’il n’y a pas de plaintes. J’ai un doublon du téléphone de tous les jobbeurs”.

“J’rêve toujours de cette maison sur la mer” - PNL, “La misère est si belle”

Un management qui a permis aux trois tours de la “Capital du Stup” de s’exporter. Les produits signés du logo du réseau sont désormais expédiés et livrés dans toute la France. “Avec le confinement, la plupart des gens ont pris goût au shipping (ndlr : commandes en ligne)”. Elles affluent même de l’étranger, selon Coluche : “Des fours qui ont expédié aux USA, en Turquie, en Belgique, en Italie, au Portugal, au Canada, en Suisse ou en Grèce… j’en connais pas beaucoup. Devenir le Amazon Prime du stup serait un vrai fantasme”. C’est l’une des raisons qui a poussé le réseau à tenter de s’installer sur le darkweb. “On avait mis en place des commandes avec paiement automatique. C’était vraiment lourd mais la mise à jour du XMR (ndlr : cryptomonnaie intraçable) a fait planter le système”. 

Pas de quoi enrayer l’ambition des membres de Mistral. Prochains chantiers en cours : un chatbot Whatsapp, ou encore une application pirate à télécharger. “On redouble d’efforts, mais le chiffre d’affaires reste le même”. En créant “le buzz”, Coluche et son équipe maintiennent les bénéfices du réseau à un niveau semblable à l’avant BST. Ce qui implique d’avoir toujours un coup d’avance sur la concurrence : “En ce moment, je suis à fond dedans. On prépare un coup de com’ que personne n’a jamais fait”.

Le directeur marketing se targue d'exercer “un métier à part entière”, qui lui rapporte “bien plus que le salaire moyen qu’on nous propose en France”. Mais malgré la fierté qu’exprime inlassablement Coluche lorsqu’il évoque Mistral, le trentenaire prend du recul : il occupe ce poste “par nécessité”, à l’insu de ses proches. “Il n’y a rien de glorieux dans tout ça, mais avec un Smic, on survit”. Après une vie entre les tours de sa cité, Coluche a des envies d’ailleurs. De Bali, et de ses plages. Lorsqu’on l’interroge sur ses projets à long terme, il parle d’y acheter une maison. Et, commercial dans l’âme, d’y ouvrir un bar au bord de l’eau.

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