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Culture

Sicario est le seul DVD que vous devriez éviter à tout prix ce mois-ci

En revanche pour ceux qui aiment les trucs bien, il y a L'Année du Dragon et Love Streams.

Antonin et Étienne sont les fondateurs et présentateurs du Cinéma est mort, la meilleure émission de cinéma sur les radios françaises, diffusée sur Canal B. Ils parleront chaque mois sur VICE.com des sorties DVD et Blu-ray qu'ils adorent et des sorties DVD et Blu-ray qu'c'est pas la peine .

SICARIO
Réalisateur : Denis Villeneuve
Éditeur : Fox, sortie le 6 février 2016

Sicario est le meilleur film de Denis Villeneuve – ce qui n'en fait pas un chef-d'œuvre pour autant. Le Canadien est sans aucun doute le réalisateur le plus surcoté du moment, l'exemple du faux prodige que l'on essaie de nous vendre depuis la baudruche Incendies, grand succès dans les salles « Art et Essai » du pays.

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La technique de Villeneuve ne change pas – des petites touches didactiques et des envolées formelles lourdes de sens cherchent à prouver que, derrière la caméra, il y a avant tout un auteur. Sicario ne déroge pas à cette règle et juxtapose un récit balourd d'un papa flic corrompu à des plans stratosphériques de paysages qui évoquent David Fincher et Michael Mann.

Villeneuve fait tout son possible pour tenter de nous convaincre qu'il ne réalise pas qu'un banal film policier sur fond de narcotrafic. C'est un auteur. Par conséquent, la Loi, la Violence et l'Ordre s'écrivent et se filment avec des majuscules – sinon, ô calamité, on pourrait croire qu'il ne s'agit que d'un simple film « d'action ».

Le cinéma américain contemporain manque cruellement d'artisans modestes. Dès qu'un type avec un minimum de culture cinématographique a l'occasion de tourner à Hollywood, il se sent obligé d'imprimer sa marque tel un vulgaire chien pissant sur un territoire à conquérir. Résultat : on a une palanquée de films qui se donnent des airs de chefs-d'oeuvres mais qui s'avèrent être des limousines avec des moteurs de 2 CV. On ne peut qu'attendre avec impatience la sortie de la suite de Blade Runner pour que tout le monde se rende enfin compte de la supercherie.

L'ANNÉE DU DRAGON
Réalisateur : Michael Cimino
Éditeur : Carlotta, sortie le 9 mars 2016

Dans l'histoire du cinéma, aucune hallucination collective n'arrive à la cheville de celle ayant suivi la sortie de La Porte du Paradis en 1980. Personne ne devrait se sentir obligé de parler de chef-d'œuvre mais, de là à évoquer un ratage complet, il y a un gouffre que la critique et le public de l'époque ont franchi sans se poser de questions.

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Michael Cimino, victime d'un lynchage médiatique sans précédent, n'arrivera jamais vraiment à s'extirper de son purgatoire artistique, réalisant quelques films indignes de son talent. Une exception notable : L'Année du Dragon, sorti en 1985, soit la même année que To Live and Die in L.A. de William Friedkin – une très bonne année pour le polar, donc.

Cinq ans après avoir provoqué la faillite de United Artists, Cimino met en scène Mickey Rourke dans le rôle de Stanley White – un flic idéaliste muté à Chinatown et bien décidé à emmerder les triades et les pouvoirs publics, forcément complices. Qu'importe la dimension tragique du récit, on sent la gourmandise du réalisateur à filmer un Rourke hallucinant de classe en flic branleur qui évolue dans cet univers très compartimenté.

Ignorant toutes les barrières – les portes closes, la foule compacte d'un club, les flammes autour d'une bagnole, la flotte inondant la cave d'une teinturerie – White trace son chemin en ligne droite. Il n'y a d'ailleurs que Cimino qui arrive à le suivre. Tout le monde est largué loin derrière, incapable d'emboîter le pas à cette pure force guerrière que la mécanique tragique du récit ralentit à peine. Des types crèvent autour de lui – dont ses proches – mais Rourke poursuit son chemin, complètement allumé.

Si la reconstitution des milieux dépeints n'était pas si remarquable, le caractère improbable de ce flic-cowboy aurait sans doute du mal à passer. Sauf que visionnage après visionnage, le film n'en devient que plus savoureux – grâce à sa richesse, bien entendu, mais aussi grâce à ce sentiment de perte qui traverse les quatre premiers films de Cimino, ses chefs-d'œuvre, et qui se décuple avec le temps. En effet, tous sont hantés par cet immense gâchis qu'est la carrière plus ou moins avortée de leur auteur. C'est triste à dire, mais cela leur sied parfaitement.

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INTÉGRALE JACQUES NOLOT
Réalisateur : Jacques Nolot
Éditeur : Capricci, sortie le 1er mars 2016

Superbe initiative de Capricci qui réunit en un coffret l'œuvre du cinéaste Jacques Nolot. Bon, ce n'était pas très compliqué au premier abord, l'ancien gigolo devenu acteur puis scénariste n'ayant réalisé que trois films pour le moment. Sauf que, d'une part, Capricci a réussi à mettre la main sur un moyen-métrage réalisé par André Téchiné et écrit par Nolot, ce qui n'est pas rien. Surtout, cet intégrale correspond à la première édition vidéo de L'Arrière-Pays – un film que je voulais voir depuis un bail.

Je n'ai pas été déçu, bien au contraire. L'Arrière-Pays est de la trempe de La Gueule ouverte de Maurice Pialat – deux histoires de retour d'un fils exilé, appelé au chevet d'une mère mourante. On y retrouve la même frontalité froide, la même impudeur dérangeante et une même tendresse qui finit par tout emporter.

De L'Arrière-Pays à Avant que j'oublie en passant par La Chatte à deux têtes, Jacques Nolot affirme ses désirs, exorcise ses peurs et dévoile ses maux avec une crudité tempérée d'élégance qui fait tout le sel de son cinéma – un cinéma qui donne furieusement envie d'être gay, aussi.

LOVE STREAMS / UN ENFANT ATTEND
Réalisateur : John Cassavetes
Éditeur : Wild Side, sortie le 24 février 2016

Lorsqu'il tourne Love Streams, John Cassavetes et sa cirrhose ne font plus qu'un. Avant-dernière œuvre d'un cinéaste qui « refuse de prendre le spectateur par la main » et « déteste le divertissement », ce long-métrage n'est pas la porte d'entrée la plus évidente pour qui voudrait découvrir le bonhomme – mieux vaut démarrer par Husbands ou Une femme sous influence selon moi.

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Malgré cela, ceux qui sont familiers de son cinéma ne pourront être que ravis à l'idée de redécouvrir une œuvre marquante de sa filmographie. Si Love Streams et Un enfant attend – l'une des rares incursions de Cassavetes au sein des studios – ne sont pas inédits chez nous en DVD, les voir édités par Wild Side reste réjouissant.

L'objet est, comme toujours, accompagné d'un livre – ici signé Doug Headline, le fils de Jean-Patrick Manchette, qui évoque avec précision le statut particulier de ces deux longs-métrages, sortis à vingt ans d'intervalle.

LA VILLE ABANDONNÉE
Réalisateur : William Wellman
Éditeur : Sidonis Calysta, sortie le 29 février 2016

William Wellman a eu plusieurs vies avant de toucher à une caméra et de donner naissance à 83 films. Celui qui a été tour à tour vendeur, bûcheron, joueur de hockey professionnel puis pilote dans l'escadrille LaFayette lors de la Première Guerre mondiale, sera abonné pendant un temps aux longs-métrages d'aviation – avec en point d'orgue l'indépassable Wings, dont nombre de cinéastes se demandent encore comment son tournage a été possible.

Aujourd'hui, La Ville abandonnée ressort en Blu-ray chez Sidonis Calysta. Le visionnage d'un tel film fait naître deux remarques. 1/, on se demande comment le cinéma de divertissement contemporain a pu tomber aussi bas. 2/, on réalise que le Nouvel Hollywood n'a rien inventé en ce qui concerne l'ambiguïté morale, la sécheresse dramatique et la vision critique de l'Histoire.

Alors que les studios de l'époque cherchaient avant tout à produire des divertissements adaptés au grand public, Wellman n'a pas hésité une œuvre âpre, un grand film sur la soif – d'alcool, d'eau, de femmes, d'or, de meurtre.

La violence de certaines scènes étonne encore aujourd'hui. Il faut dire que William Wellman était réputé pour son caractère bien trempé. Sur le tournage de Wings, il avait invité des producteurs à traverser un champ où étaient reconstituées des tranchées françaises. Il avait simplement oublié de prévenir ces derniers qu'il avait l'intention de faire exploser des bombes autour d'eux. C'est aussi ça, la politique des auteurs.

Les mecs du Cinéma est mort sont sur Twitter.