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LE NUMÉRO DU JOUR MALADE

Les nouvelles technologies ont-elles amélioré la vie des travailleurs indépendants ?

Ce que signifie vraiment être freelance en 2016.

Collage : Adam Mignanelli

Cet article est extrait du numéro du « Jour malade »

À première vue, la vie d'un travailleur indépendant peut sembler bien solitaire ; mais à y regarder de plus près, on s'aperçoit qu'il mène une vie à peu près intense.

Tout comme vous, il se retrouve assis dans un café face à son ordinateur et se démène comme il peut avec un tas d'inconnus afin de gagner sa vie. Il se peut même que ces travailleurs indépendants soient en train d'envoyer des mails aux mêmes patrons, dans le même café. Toujours est-il que leur apparente solitude est l'une des raisons pour laquelle ils se font facilement – et souvent – escroquer.

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Il faut croire qu'ils sont peut-être mieux traités à Wellington, la capitale de la Nouvelle-Zélande. La ville abrite en effet les locaux d'Enspiral, objet de tous les fantasmes au sein du monde du free-lance, et univers parallèle dans lequel le travail indépendant n'est plus synonyme d'isolement et d'impuissance.

De 2003 à 2010, Enspiral était simplement le nom de domaine utilisé par Joshua Vial, un développeur de logiciels résidant à Wellington. Puis, à partir de 2012, souhaitant se détacher des travaux rémunérés pour se consacrer à d'autres projets bénévoles, Vial a transformé Enspiral en une plate-forme où il encourageait ses utilisateurs à faire de même. La société est alors devenue une coopérative, dont les membres sont tous copropriétaires. Ils sont actuellement une quarantaine. Enspiral regroupe également quelque 250 « contributeurs » qui œuvrent tous sur la plate-forme, ainsi que 15 sociétés amies, qu'ils appellent des sociétés « à risques ».

La plupart des membres sont des technophiles passionnés d'informatique, mais sur le papier, à peu près tous les métiers sont les bienvenus.

Vial ne fait plus partie de la direction. Il a décidé d'avoir le même statut que n'importe quel autre membre. En 2016, Enspiral prône une gestion sans gaspillage, mais surtout, elle permet aux travailleurs indépendants d'entrer en relation avec un grand nombre de petites entreprises.

À l'intérieur du réseau, les membres d'Enspiral naviguent d'un job à l'autre en vue de contrer les aléas nombreux de la vie en free-lance. Aussi, ils financent les projets des uns et des autres, ou leur apportent une aide en cas d'imprévus. Enfin, ils organisent des séminaires deux fois par an.

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Parmi les compagnies amies dites « à risques », on retrouve des entreprises telles qu'ActionStation, une plate-forme organisationnelle qui met en contact divers acteurs, Scoop, un site d'informations alternatives, ou encore Chakle, une jeune plate-forme éducative en ligne.

J'ai passé une matinée avec Vial dans une salle de conférences de la Dev Academy, une formation de développement Web intensive qu'il a ouverte en 2014. La coopérative dispose de plusieurs espaces de co-working à travers la ville et tend à se développer en dehors de Wellington. Toutefois, c'est le réseau en ligne qui permet à tous ses membres de rester en étroite collaboration, via GitHub ou Slack.

À mesure que Vial me présentait le grand nombre d'outils et de tâches dont la coopérative dispose, je lui ai demandé comment il arrivait à se protéger des gens mal intentionnés. En effet, que se passe-t-il si quelqu'un fausse une décision sur CoBudget afin de récolter de l'argent pour sa propre boîte ? Et que se passe-t-il si ledit projet n'est qu'un simulacre ? Je n'ai eu droit qu'à un haussement d'épaules. « La confiance règne à l'intérieur du réseau », m'a affirmé Vial.

Dans ce qui ressemble le plus à un bureau de direction, j'ai rencontré Alanna Kause, originaire de Californie. Elle était là lorsque l'entreprise n'en était qu'à ses prémices et elle a participé à sa transformation en collectivité. Désormais, elle occupe divers postes mais est avant tout en charge de Loomio.

« Si l'un de nous se fait voler son ordi, on va lui en racheter un, me dit Krause. La maison de quelqu'un brûle ? On va lui payer une location. L'une des entreprises doit réduire son effectif ? On va embaucher ceux qui n'auront plus de job. » Ils prennent aussi en charge les séances de thérapie lorsque cela s'avère nécessaire. Et le résultat de toutes ces mesures de sécurité est, selon elle, une « véritable nouveauté ».

« La copropriété est l'un des facteurs qui nous permet d'avoir confiance », ajoute Hannah Salmon, une artiste qui a fait partie de la classe inaugurale de la Dev Academy et qui a codé pour Loomio. Comme les membres d'Enspiral sont tous copropriétaires, Loomio fonctionne à la façon d'une compagnie autogérée.

J'ai également remarqué que de nombreuses relations amoureuses s'étaient nouées au sein d'Enspiral – monogames comme polyamoureuses. Ceci m'a emmené bien loin de l'univers gris et aseptisé qui règne traditionnellement sur les lieux de travail. Les remparts qui séparaient jusqu'alors la vie professionnelle du travailleur indépendant de sa vie privée se sont écroulés. On m'a garanti que cela ne posait « aucun problème » entre les différents membres, et que les câlins entre collègues ne « dérangeaient personne ».

Les problèmes se manifesteront peut-être dans le futur, ou peut-être jamais. La doxa qui veut que toute relation amoureuse soit impossible sur un lieu de travail se retrouve à présent supplantée par l'idée de confiance et de copropriété. Peut-être en réalité que le travail ne devrait pas être systématiquement séparé de notre vie privée et de nos ambitions personnelles – enfin, si nous arrivions, comme Enspiral, à ériger l'égalité au-dessus de toute autre valeur.